Israël : dur dur à Washington mais fin de l’isolement au Proche-Orient <!-- --> | Atlantico.fr
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Benyamin Netanyahou.
Benyamin Netanyahou.
©Reuters

Alliés consolidés

Benyamin Netanyahou rencontre Barack Obama lundi 9 novembre, après 18 mois de désaccord sur la gestion du dossier iranien. Le Président américain a en effet changé de stratégie d'alliance au Moyen-Orient, obligeant l’État d'Israël à trouver (ou renforcer) d'autres appuis dans la région.

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Atlantico : Alors que Benyamin Netanyahou se rend aux Etats-Unis pour une visite officielle, que peut-on dire de l’état des relations entre Israël et son allié traditionnel ? 

Alexandre Del Valle : Lorsque Barack Obama est arrivé au pouvoir, il a mis en œuvre une politique de rapprochement avec le monde arabe et le monde musulman. Bien qu’il ne soit pas pour autant l’anti-israélien dépeint de manière caricaturale par certains, cette politique a fortement déplu à l’Etat israélien, en particulier à l’entourage de Benyamin Netanyahou qui est très anti-iranien (il faut d’ailleurs noter qu’il n’y a pas d’unanimité sur ce sujet en Israël). Cette position de reset avec le monde musulman dont fait partie l’Iran - qui parraine les ennemis directs d’Israël que sont le Hamas et le Hezbollah - provoque un refroidissement des relations, non pas entre les Etats-Unis et Israël, mais entre l’administration Obama et l’administration Netanyahou. Cette distinction est importante car l’administration Obama est très critiquée aux Etats-Unis par les conservateurs et néo-conservateurs. Ces tensions existent donc avant tout entre deux administrations. On ne peut donc pas dire qu’Israël et les Etats-Unis se sont éloignés, mais plutôt qu’une administration israélienne de droite tendance populiste est en totale opposition avec une administration américaine démocrate dont l’objectif est de se rapprocher de l’Iran. Un objectif qui est rejeté par les conservateurs américains.

Israël a néanmoins intérêt à dépasser ces tensions avec l’administration Obama pour ne pas se couper du reste du corps politique et de la société américaine qui doit rester son allié indéfectible. Israël peut s’appuyer sur un courant sioniste extrêmement fort aux Etats-Unis qui dépasse les milieux juifs. L’existence de ce courant n’est pas sans liens avec les mythes fondateurs de ce pays et à l’attachement viscéral d’une part importante des protestants au peuple de la Bible. M. Netanyahou qui connait parfaitement la culture et la mentalité américaine pour y avoir vécu peut s’adresser au peuple américain quasiment comme s’il faisait de la politique interne aux Etats-Unis. Quand il était venu parler devant le Congrès, il avait d’ailleurs parlé comme un Américain à des Américains, dans un anglais parfait. Ainsi donc quand il critique les Etats-Unis, c’est l’administration Obama qu’il vise en réalité, et il le fait en parlant exactement comme le ferait un Républicain ou un néo-conservateur américain.

On remarque que parallèlement à ce refroidissement entre les administrations Obama et Netanyahou, Israël effectue des manœuvres militaires communes avec la Jordanie et a récemment bénéficié d’un vote de l’Egypte en sa faveur à l’ONU ce qui n’était pas arrivé depuis 1948. Assiste-on nous à un rapprochement d’Israël avec ses voisins arabes ?

Contrairement à ce que l’on croit, Israël n’a jamais eu une relation tout à fait mauvaise avec l’ensemble des pays arabes. Cependant la cause palestinienne est un mythe fondateur dans les pays arabes, donc la collaboration avec Israël reste quelque chose de tabou, officiellement. La décision du maréchal Sissi de faire voter l’Egypte en faveur d’Israël au Bureau des affaires spatiales des Nations-unies était une décision tactique, un deal entre les deux pays : il s’agissait de permettre l’adhésion de nouveaux pays arabes dans cette organisation de l’Assemblée générale des Nations unies. L’Egypte vote pour Israël et Israël vote pour l’adhésion de pays arabes modérés comme Oman.

Comme dans les pays arabes, Israël est devenu le monstre par excellence, cela suffit aux islamistes et même à certains nationalistes pour utiliser ce prétexte pour dire qu’Al-Sissi est pro-Israël alors qu’il est seulement pragmatique. Sissi est pour tous les Etats qui ont le même ennemi que lui. Il peut ainsi être pro-Russe, pro-Israël et pro-Etats-Unis en même temps.

Dans ce contexte il faut aussi rappeler que les Etats-Unis ont également beaucoup critiqué le maréchal Al-Sissi pour sa prise de pouvoir en Egypte qui a été jugée illégitime. Ce n’est pas sans rapport avec le fait qu’Al-Sissi combattait les Frères musulmans et que les Américains essayent depuis les années 90 de mettre en place dans la région des régimes islamistes relativement modéré face à un islamisme terroriste. Les Etats-Unis sont contre le régime d’Al-Sissi, comme ils sont contre les régimes comme celui d’Assad, de Bouteflika ou de Moubarak. L’Egypte s’est donc éloignée de son ancien parrain américain en essayant de renforcer sa souveraineté en étant plus autonome et en diversifiant ses alliances. Israël et l’Egypte sont aujourd’hui dirigés par des administrations qui rejettent la politique de M. Obama, et, sans rompre complètement avec leur allié américain, s’emploient à diversifier leurs alliances, en se rapprochant de la Russie, des Emirats arabes unis ou d’autres Etats qui peuvent équilibrer le poids de leurs alliances.

Israël se rapproche aussi de la Jordanie qui, à l’instar de l’Egypte, n’a jamais rompu ses relations avec elle. Avec la Jordanie, la coopération sécuritaire n’a jamais cessée d’exister, notamment via des échanges de renseignements.

Qu’est-ce que cette évolution des relations qu’entretient Israël avec les Etats-Unis et certains de ses voisins arabes peut nous faire préfigurer de l’avenir de la situation géopolitique au Proche-Orient ?

Du point de vue israélien, toute la stratégie internationale et la diplomatie d’Israël depuis sa fondation a toujours été fondée autour d’un pilier immuable : essayer d’avoir des accords bilatéraux avec des voisins pour diviser le front extérieur arabe. La pire chose pour Israël serait que le monde arabe soit uni. Son intérêt est qu’il soit divisé. Israël conduit depuis toujours une politique dite de « paix séparée ». Elle l’a mis en œuvre avec la Jordanie, avec l’Egypte – c’est d’ailleurs ce qui a coûté la vie au Président Anouar El-Sadate – et c’est ce qui était en train de se passer au Liban juste avant l’assassinat de Béchir Gemayel en 1982 qui avait accepté l’idée d’une paix séparée avec Israël.

Demain elle pourrait faire de même avec l’Etat résiduel de Bachar Al Assad quand la Syrie sera coupée en trois. Elle le fera et l’a même déjà fait avec des pays musulmans non-arabe comme le Kurdistan irakien ou le Soudan du Sud après sa séparation d’avec le Nord. Un des premiers voyages diplomatiques du premier président de ce pays a été en Israël.

Par ailleurs, on constate de manière générale au Proche et Moyen-Orient un retour du nationalisme face au danger que constitue l’islamisme transnational, que ce soit dans sa version démocratique qu’incarnent les Frères musulmans ou dans sa version djihadiste qu’incarnent Daesh ou Al-Qaïda. Ce nationalisme fort semble être désormais le seul véritable obstacle à l’islamisme radical. On a malheureusement le choix entre l’islamisme terroriste ou démocratique et le nationalisme arabe autocratique ou dictatorial. Dans ce contexte, on assiste à un retour de la realpolitik. Un Etat comme Al-Sissi réagit donc de manière totalement pragmatique en traitant avec tous ceux dont il partage les ennemis. Les circonstances font qu’il n’hésite pas à collaborer sur certains dossiers avec Israël s’il en va de son intérêt, sans que cela veuille pour autant dire qu’Israël est réhabilité dans le monde arabe. Par ailleurs, il est nécessaire de souligner qu’il peut se permettre d’agir de la sorte en raison de son poids militaire. Tous les Etats arabes ne pourraient se permettre de tels compromis. L’Egypte est l’une des grandes - sinon la grande – armée des pays arabes.

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