Comment Jean-Paul II a permis aux jeunes catholiques de se défaire de l’attitude d’enfouissement de leur foi qui existait pour leurs parents<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
Comment Jean-Paul II a permis aux jeunes catholiques de se défaire de l’attitude d’enfouissement de leur foi qui existait pour leurs parents
©Reuters

Génération réincarnée

Le 24 mars 2013 a certainement marqué les esprits avec 1,4 million de Français dans la rue contre la loi Taubira. Parmi eux, un grand nombre de catholiques, que jusque-là les Français croyaient éteints. Dans son dernier ouvrage, Jean Sévilla décrit l’émergence d’une nouvelle génération de catholiques, éloignés de la pudique discrétion de ses aînés.

Jean  Sévillia

Jean Sévillia

Jean Sévillia est rédacteur en chef adjoint au Figaro Magazine et membre du conseil scientifique du Figaro Histoire. Essayiste et historien, il a publié de nombreux succès de librairie, notamment Zita impératrice courage (Perrin, 1997), Le terrorisme intellectuel (Perrin, 2000), Historiquement correct (Perrin, 2003), Le Dernier empereur, Charles d’Autriche (Perrin, 2009).

 

Voir la bio »

Atlantico : Comment décrire ce nouveau courant de catholiques ?

Jean Sévilla : Cette génération s’est avant tout formée dans un contexte familial. Il s’agit d’enfants de la première génération de Jean-Paul II. C’est à dire, des enfants de catholiques qui vivaient à la lumière du pontificat de Jean-Paul II, dans une Eglise qui invite à ne pas avoir peur de prendre la parole. L’invitation de Jean-Paul II à ne pas avoir peur a d’ailleurs marqué les esprits et semble encore résonner : "n’ayez pas peur". Ils ont donc été élevés dans cette idée que les catholiques devaient vivre dans la société en affirmant leur foi et en s’engageant. 

Ces familles qui vivaient dans l’enseignement de Jean-Paul II puis de Benoit XVI avaient pour particularité d’être un peu rebelles par rapport à une certaine prudence qui avait caractérisée la génération catholique précédente en France. Cette dernière, des années 1960-1970 post-concile Vatican II, pratiquaient une pastorale "de l’enfouissement". Le christianisme était à cette époque d’abord vu comme un phénomène social. Les catholiques devaient s’enfouir dans la société. Certes, les chrétiens étaient invités à agir dans la société, mais sans montrer de particularité chrétienne. Une certaine pudeur imprégnait toute l’Eglise en occident. 

Jean-Paul II a vraiment travaillé à faire sortir l’Eglise de cette vision de la foi. La caractéristique de cette nouvelle génération est qu’elle veut s’affirmer en tant que chrétienne, catholique. Elle ne cherche pas à cacher son identité chrétienne et à mettre de l’eau dans son vin. Pour celle-ci, un chrétien doit affirmer sa foi en société, sans agressivité pour autant, sans triomphalisme, mais elle ne doit pas rougir de l’Eglise.

Sur quelles valeurs principales fondent-ils leur combat ?

Selon cette formule que nous retrouvons dans la tonalité du nouveau pontificat émerge des écologies globales autour de l’homme. L’idée principale est que l’homme est héritier d’un environnement dont il doit être respectueux, qu’il doit transmettre ensuite. Cela signifie qu’il existe des réalités dont nous avons héritées et que le progrès matériel n’est pas un absolu. Pour autant, il ne faut pas comprendre qu’il faille revenir en arrière, mais il y a des valeurs supérieures et au nom de l’argent et du consumérisme nous ne pouvons pas tout faire. Nous n’avons pas le droit de tout faire, car il faut retransmettre un capital qui nous a en amont été transmis par nos ancêtres.

Leur combat repose autour d’une conception de la création : une idée que l’argent n’est qu’un moyen, et qu’il n’est pas une fin en soi. Que le libéralisme, s’il est conçu au sens d’une liberté sans frein est un système qui ne permet pas un ordre tranquille dans la société. Ils défendent donc une image de l’homme héritier qui doit transmettre son capital à ses descendants, voire même à le faire fructifier. 

Les médias ont montré l'image de catholiques jeunes, plus conservateurs que leurs aînés, mais aussi de milieu social plus élevé. Est-ce que cette image donnée dans les médias traduit la réalité des catholiques d'aujourd'hui ?

Effectivement, les médias caricaturaient les catholiques par une image qui est en réalité sociologique. Le catholicisme populaire a fondu. Il n’a pas complètement disparu mais il a beaucoup régressé. Le catholicisme est aujourd’hui un phénomène urbain et plutôt bourgeois. Cela peut-être d’ailleurs un danger, car l’Eglise est une communauté de fidèles, quelque soit le milieu social. Aujourd’hui, il faut veiller à ce que les catholiques ne soient pas tentés par faire de "l’entre soi" ou du communautarisme. Cela serait l’exact inverse de ce que dit l’évangile. 

Le réseau catholique d’aujourd’hui n’existait pas autrefois. Il peut être une force, une cohésion, une cohérence, et aussi être le garant d’une certaine  pérennité des engagements.

Cette nouvelle génération ne semble pas vouloir prendre exemple sur leurs aînés mais s'inspirer davantage d'un besoin profond de retourner aux sources, de se former, de revenir à des valeurs traditionnelles, à une exigence tant envers les autres qu'envers eux-mêmes, à certaines mœurs dont les plus anciens avaient essayés de se séparer, notamment après mai 68 et le Vatican II. N'y a t-il pas la crainte d'avoir deux grands courants au sein de l'Eglise qui évoluent à deux antipodes : une ancienne génération plus progressiste, et une jeune génération naissance, plus traditionaliste ?

Ce danger peut tout à fait exister. Sur le long terme, il s’agit d’un danger modéré, car je pense que si on regarde l’équilibre démographique des deux forces que vous évoquez, les traditionalistes sont jeunes, et les progressistes sont plutôt plus âgés. Nous allons vers une Eglise de France qui sera plus resserrée, moins nombreuse, mais avec des divisions moins fortes. 

L’histoire est faite de divisions. Les combats d’hier étaient dix fois plus durs que ceux d’aujourd’hui. L’opposition politique des catholiques dans les années 1970 était violente. Aujourd’hui cela est apaisé. A ses débuts, Jean-Paul II n’avait par exemple pas fait l’unanimité parmi les catholiques. Certains le voyaient notamment comme un pape trop conservateur. Il n’y aura jamais de toute façon d’unité parfaite. La différence de sensibilité est propre à l’homme, mais je crois qu’il y a quelque chose de supérieur aux idées politiques. Je vois plutôt la période actuelle comme relativement apaisée par rapport à ce que nous avons pu connaître à un autre moment. Des tensions existeront toujours, mais elles seront moins fortes dans les années avenir. La division progressistes / conservateurs qui existait il y a 20-30 ans va devenir très faible en raison de l’écart d’âge des deux courants.

Parmi le combat des catholiques, nous avons l’impression qu’ils cherchent davantage à préserver leur héritage. Héritage qu'ils sentent menacé par les pouvoirs publics, par une conception de la laïcité qui consisterait à mettre toutes les religions à la même place. Cette crainte des catholiques est-elle justifiée ? Est-on entrain de vouloir arracher l'héritage chrétien de la France ?

Oui, cela parait évident. Mon livre veut justement encourager les forces catholiques à se montrer sereinement catholiques, mais aussi à savoir défendre leurs positions. Il y a dans la société tout un courant qui fait une interprétation extrêmement restrictive de la laïcité, jusqu’à transformer le mot pour l’adapter à leurs idées. Pour eux aujourd’hui, la laïcité ne signifie plus seulement la neutralité de l’Etat, elle comprend la neutralisation religieuse de la société. Pour eux, il faut pratiquement réduire la pratique religieuse et chasser la religion de l’espace publique ou la réduire à des opinions privées. Ce qui est absolument incohérent et impossible à accepter pour les catholiques et pour l’ensemble des religions. La pratique d’une religion comprend forcement une dimension sociale.

Il est évident que dans les temps qui viennent, les catholiques auront des combats à mener de front. Il faudra qu’ils se démènent avec les armes des catholiques qui sont ses moyens pacifiques mais aussi spirituels. 

Le combat d’aujourd’hui est de faire face à ces courants qui voudraient interdire aux chrétiens d’avoir un héritage et une histoire et qui ne veulent pas donner aux chrétiens une place dans la société. Cette dernière a hérité d’un antichristianisme issu de la révolution française. Une génération soixanthuiarde n’a pas encore lâché la main. 

La question de l’Islam provoque souvent une réaction laïque qui a tendance à prendre le pas sur la vision historique de la France qu’est aujourd’hui le christianisme. Elle représente un défis pour l’ensemble de notre société et devient une composante massive des sociétés européennes. Il ne s’agit pas que d’un défi religieux, il est est aussi social et culturel. Cependant, il ne faut ni le sous-estimer, ni vivre dans des fantasmes.

Dans 30 ans, nous aurons près de 35 millions de baptisés en France. Les catholiques resteront une masse considérable dans la société française. D’ici là beaucoup d’autres choses peuvent se passer, notamment un grand réveil de la foi. Il est bien possible que nous assistions à un réveil de l’Eglise de France. Il se passe des choses souterraines en ce moment qui sont très fortes. L’avenir n’est jamais écrit d’avance.

Les églises semblent de plus en plus pleines le Dimanche dans les grandes villes, et cette nouvelle génération semble prendre de la place. De nouvelles formations ou communauté apparaissent pour répondre aux besoins de formation des jeunes issus de ville… N’y a-t-il pas un réveil du catholique citadin ? Le catholicisme n’est-il pas en train de se transformer et prendre un nouveau visage ?

L’Eglise d’avant était fondée sur de vielles appartenances et de fortes pratiques religieuses en Alsace et en Bretagne, mais ces pratiquants ont aujourd’hui une moyenne d’âge élevée. Aujourd’hui dans des villes comme Paris, Bordeaux, Nantes nait cette nouvelle génération catholique forte. Elle est ultra minoritaire dans sa tranche d’âge : les jeunes catholiques de 18-24 ans ne représentent même pas 1% de leur tranche d’âge. En revanche, une minorité peut faire beaucoup de choses. Dans l’histoire, les renversements ont toujours été faits par des minorités. Surtout quand cette minorité a des réseau internes, une force spirituelle qui est forte.. Il s’agit de facteurs très déterminants pour l’avenir.

La France est-elle en train de se re-catholiser ?

En chiffre brut, la France se décatholicise. La demande de baptême s’est effondrée. Aujourd’hui nous sommes à 47% du nombre d’enfants baptisés, soit en dessous de la moitié de la population. De ce point de vue-là, il y a évidemment un recul massif du nombre de catholiques en France à court et moyen terme. Maintenant, nous ne savons pas de quoi est fait l’avenir. L’histoire est faite de période de haute ou de basse intensité pour l’Eglise. Nous sommes en Europe occidentale dans une période de basse intensité, comme le décrivait Jean Paul II, une période "où les hommes vivent comme si Dieu n’existait pas." Ceci dit, tout peut nous faire imaginer un renouveau religieux dans 20 ans. Je pense que les jeunes courants au sein du catholicisme actuels annoncent ce renouveau. L’annoncer ne veut pas dire pour autant que tout se jouera à court terme. Mais je vois ces courants comme une promesse, un message d’espérance pour l’Eglise. L’Eglise catholique n’a pas dit son dernier mot.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !