Jean-Christophe Cambadélis : "Je trouve la théorie d'une alliance du PS avec le centre un peu dangereuse"<!-- --> | Atlantico.fr
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Le premier secrétaire du Parti socialiste, Jean-Christophe Cambadélis.
Le premier secrétaire du Parti socialiste, Jean-Christophe Cambadélis.
©Reuters

Grand entretien

Par ailleurs, le Premier secrétaire du Parti socialiste ne partage pas l'idée d'une victoire du Front national dans deux régions aux prochaines élections. Pour lui, si le FN est performant au premier tour, 70% des Français ne souhaitent pas qu'il arrive aux responsabilités.

Jean-Christophe Cambadélis

Jean-Christophe Cambadélis

Jean-Christophe Cambadélis est le Premier secrétaire du parti socialiste depuis avril 2014. Député PS de Paris, il est également premier vice-président du Parti socialiste européen.

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Atlantico : Dans la tribune que vous avez publiée dans le Monde, vous abordez la question du front républicain. Jusqu’alors les socialistes ne l'avaient jamais remis en question, vous le faites aujourd'hui. Est-ce à dire que le FN est moins dangereux qu'avant ? Que la démocratie n'a plus besoin de s’en prémunir en unissant ses forces ?

Jean-Christophe Cambadélis : Non, pas du tout. Le FN est beaucoup plus dangereux qu'avant. Avant, il était dirigé par un faluchard, Jean-Marie Le Pen. Aujourd'hui, il s'est fixé comme but d'accéder au pouvoir et il s’appuie sur un mouvement qui n'est pas seulement franco français. Dans toute l’Europe, on assiste à la montée d'un souverainisme xénophobe qui constitue un phénomène politique majeur. Dans la période qui vient il faudra donc être en capacité de le combattre et pas seulement au second tour mais au premier tour et je dirais même tous les jours.

Mais alors, si le FN est aussi dangereux qu'avant, pourquoi ouvrir le débat sur le front républicain ?

C'est l'occasion de préciser quelque chose : qu'est-ce que le front républicain ? Le front républicain ce serait un accord entre la droite et la gauche, sur la base d'un programme, comme dans l'histoire de la République française cela a pu exister pour combattre un extrémisme qui menaçait la République. Aujourd'hui, il ne s'agit pas de cela. Au second tour, il y aura différentes possibilités. La première : la gauche est largement majoritaire auquel cas il n'y a aucune raison de se retirer. Il y aura d'autres scénarios bien évidemment, mais je crois qu'il n'y a pas de risque que le FN l'emporte. Je pense qu'il sera haut au premier tour mais ne l'emportera pas au second parce qu'il y a 70% de la population qui ne veut pas du Front national. Je m’appuie, pour dire ça, sur deux exemples : celui des législatives d'abord. Marine Le Pen a fait 40% au premier tour ce qui ne l'a pas empêchée d'être battue au second. Deuxièmement, les élections départementales : tout le monde nous annonçait la victoire des candidats du FN dans l’Aisne, or ils ont été battus. Le Front National a un problème, c'est l’extrême mobilisation du second tour contre lui. Au second tour, les abstentionnistes viennent car ils redoutent l'extrême droite. Je crois donc que la situation est beaucoup plus ouverte qu'on veut bien le dire. De plus, enfermer les partis républicains dans le débat : allez-vous ou pas vous désister mettrait le focus sur deux ou trois régions et surtout cela ferait du FN la question centrale de l'élection régionale alors que la question centrale c'est de savoir qui, de la droite ou de la gauche, va emporter le maximum de régions.

Vous ouvrez quand-même une porte au "ni-ni" lorsque vous mettez dans le même sac Xavier Bertrand, Christian Estrosi et le FN...

Je suis halluciné par la campagne de monsieur Estrosi et par celle de monsieur Bertrand. Monsieur Estrosi a quand même déclaré qu'il y avait, en France, une cinquième colonne et qu'il existait des Français de souche et des Français de papier. Il mène, en outre, une campagne pour le moins islamophobe. Ça ne le qualifie pas comme le candidat le mieux à même de combattre madame Marion Maréchal Le Pen. Quant à Xavier Bertrand, il a fait cette déclaration hallucinante : "Marine parle, moi j'agis" comme s'ils étaient, tous deux, sur le même registre. L’extrême droitisation de la droite rend peu crédible sa prétention à combattre le Front national. Certains de ses candidats veulent siphonner les voix de l’extrême droite en étant sur les thèmes de l’extrême droite et ça c'est dommageable.

Associer FN et droite républicaine, cela ne banalise-t-il pas le Front national alors que vous le déclariez récemment en voie de débanalisation ?

Moi, ma crainte c’est que se constitue, élection après élection, un bloc réactionnaire où l’extrême droite banalisée rejoindrait une droite extrémisée.

N’avez-vous pas le sentiment d’être en train de perdre la bataille des idées quand vous voyez que Philippe de Villiers ou Eric Zemmour vendent leur livre à plusieurs centaines de milliers d'exemplaires ?

Le populisme est évidemment plus vendeur que le réalisme.

Ça n'a pas toujours été le cas...

La gauche a, en effet, perdu son hégémonie. La droite identitaire a pris le pas sur la gauche égalitaire, ce combat-là a été perdu. Il faut lancer la reconquête. Et de ce point de vue là, il y a un débat au sein de la gauche entre ceux qui pensent que la reconquête doit se faire par la protestation et ceux qui préfèrent reconquérir par la preuve.

La montée en puissance de cette droite-là vous parait-elle dangereuse ?

Elle est inquiétante car, au fond, cette droite veut une alliance avec le FN. Qu'est-ce qu'un Zemmour, un Villiers, un Buisson regrettent ? C'est qu'il n'y ait pas un Mitterrand à droite qui fasse cette alliance pour attirer les couches populaires vers la droite classique. Or, le PCF, ça n'est pas le FN. Mais surtout, ce qui est extrêmement dangereux, c'est que cette fusion se fasse sur les bases du FN. François Mitterrand avait fait cette alliance sur les bases du PS qui étaient loin de la rupture souhaitée par le PCF. A droite, l'alliance s'organise sur la thématique de la préférence nationale qui est une des thématiques de l’extrême droite. Il faut faire attention à ce qui est en train de se passer dans les tréfonds de la société : il y a un doute démocratique, un doute sur le fait que le politique soit en capacité d'améliorer la vie quotidienne et enfin un doute sur le fait que nos valeurs pourraient perdurer. Si vous coagulez l'ensemble de ces doutes cela donne une offre politique qui tourne le dos à la République.

Selon vous, l’unité à gauche est le seul paravent contre le FN. Ceux qui n’ont pas voulu cette unité, notamment dans le Nord-Pas-de-Calais-Picardie, seront-ils tenus pour responsables si Marine Le Pen était élue ? Y aura-t-il des leçons a en tirer pour 2017 ?

L'arrivée du FN dans une région serait une blessure sur le visage de la démocratie française et tout le monde porterait une part de responsabilité. Il ne s'agit pas de décerner, ici ou là, de mauvais points. Mais, encore une fois, je n'y crois pas. Aujourd’hui, Xavier Bertrand tourne le dos à la tradition démocrate chrétienne du Nord-Pas-de-Calais-Picardie, il est trop à droite et donc je pense que Pierre de Saintignon peut, tout à la fois, rassembler la gauche et réunir une partie des électeurs qui se reconnaissent dans cette tradition démocrate chrétienne, comme le faisait Pierre Mauroy.

Certes, mais la liste EELV-Front de Gauche peut être en situation de se maintenir. Cécile Duflot a menacé de le faire pour protester contre la reprise des travaux de Notre-Dame -des-Landes. Est-ce un risque ?

Oui, je comprends qu'ils soient mécontents, mais je pense qu'ils jugeront que la victoire est possible. Ensuite, il s’agit d’une élection régionale et non du débat national. Enfin et surtout, ils ne voudront pas être ceux qui, par une bouderie, permettront à Marine Le Pen de s'installer dans le Nord-Pas-de-Calais.

Quelles conclusions en tirez-vous pour 2017 ? Pensez-vous que l'union de la gauche sera indispensable pour que le candidat du PS ait une chance d'être présent au second tour ?

L'union de la gauche est toujours nécessaire pour gagner. Mais il faut poser le problème autrement. Tout d'abord, je ne crois pas que Marine Le Pen sera à l’élection présidentielle aussi haut qu'on le prétend aujourd’hui. Deuxièmement, je ne crois pas que la primaire réglera le problème stratégique de la droite. Si Nicolas Sarkozy l'emporte, nous aurons la candidature de Bayrou. Si Juppé l'emporte, on voit bien qu'est en train de se constituer une droite dure qui pourrait s'exprimer alors. Elle s'exprime d’ailleurs déjà par la voix de Nicolas Dupont-Aignan qui est entre 7 et 10% des intentions de vote en Île de France. Donc, ce que nous observons actuellement dans les régions, c’est à dire une droite en tête devant le FN, ne se reproduira pas à la présidentielle car il y a aura un deuxième candidat de droite qui affaiblira le candidat désigné lors des primaires des Républicains. La droite est aujourd'hui confrontée à un problème stratégique : doit-elle aller à droite, courir derrière le FN, comme le font Xavier Bertrand et Christian Estrosi ou bien faut-il être plus classiquement au centre-droit pour réunir la droite ? Cette question ne sera pas définitivement tranchée par la primaire. Et puis, dernier élément, la politique du gouvernement portera enfin ses fruits, les efforts commenceront à être récompensés. Une nouvelle période s'ouvre donc à partir de 2016.

Vous êtes finalement, à gauche, prisonniers de la même difficulté. Si vous vous tournez vers votre aile modérée, vous prenez le risque de voir émerger des candidatures à votre gauche et si vous tendez la main à votre aile gauche, les plus modérés du PS pourraient fuir vers le centre. N’êtes vous pas devant le même dilemme ?

Moins qu'on veut bien le dire parce que nous avons fait notre aggiornamento lors du dernier congrès. Nous sommes sur une orientation sociale et écologique. Les débats qui ont animé l'année 2014 sont en train de s'estomper. Le PS se rassemble et pas uniquement en son sein. Nous allons devoir unir autour de nous, c’est toute notre stratégie d'alliance populaire qui consiste à dépasser le PS afin de construire une nouvelle donne dans le paysage politique français qui soit à la fois sociale et écologiste et qui permette de préparer la présidentielle.

Que pensez-vous de la théorie des réformateurs qui souhaitent que, pour être cohérent avec le cap emprunté durant son quinquennat, François Hollande réfléchisse à une coalition avec le centre ?

Je reste Mitterrandien. Pour moi, le centre reste à droite, il n'a pas manifesté de volonté de s'émanciper. Je trouve même cette théorie un peu dangereuse car si le PS accréditait l'idée que le centre est fréquentable, il contribuerait à le renforcer. Or moi, je ne suis pas pour un parti socialiste subordonné au centre mais pour un PS au centre du débat politique, rassemblant. Ce n'est pas tout à fait la même chose. Je crois donc que cette analyse est une mauvaise interprétation de la situation politique.

En affirmant, à Sciences Po, qu'il enterrait le projet de donner le droit de vote aux étrangers Manuel Valls abandonne un des totems de la gauche. Vous vous êtes d'ailleurs opposé à lui. Est-ce que cette évolution du PS, cette vallsisation, vous inquiète ?

D'abord, je fais la différence entre ce que le gouvernement pense et ce que le PS pense. D'ailleurs, Manuel Valls le fait aussi puisque il dit que le sujet ne peut pas être remis à l'ordre du jour du gouvernement vu la composition des deux assemblées mais il a voté, comme moi, lors du congrès, un texte qui défend l'idée du droit de vote des étrangers comme perspective politique. Donc, je crois qu'il n'y a pas de vallsisation du Parti socialiste comme il n'y a pas de cambadelisation du gouvernement. 

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