La tension monte entre l'Inde et le Pakistan... Une guerre nucléaire qui menace ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des soldats pakistanais lors d'une parade, le 13 mars 2015.
Des soldats pakistanais lors d'une parade, le 13 mars 2015.
©Reuters

Bombe au Cachemire

Aux Etats-Unis, plusieurs experts de la politique de Défense s'inquiètent d'une montée des tensions entre l'Inde et le Pakistan. Cette réactivation des craintes s'explique notamment par le changement de doctrine des instances militaires pakistanaises, qui miseront désormais sur les armes nucléaires tactiques.

Isabelle Saint-Mézard

Isabelle Saint-Mézard

Isabelle Saint-Mézard est enseignante et chercheuse à l'Université Paris VIII. 

Elle a publié en 2022 un ouvrage intitulé "Géopolitique de l'Indo-Pacifique" aux éditions PUF.

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Edouard Valensi

Edouard Valensi

Edouard Valensi est l'auteur de "La dissuasion nucléaire, les terrifiants outils de la paix" aux éditions de l'Harmattan

Il est resté pendant dix ans à la tête de la cellule qui a programmé la force de dissuasion française au sein de la Délégation générale pour l'armement.

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Atlantico : La crainte d'un affrontement nucléaire entre l'Inde et le Pakistan ne date pas d'hier, mais le débat est relancé avec notamment l'emploi de l'expression "flamant rose" par le chercheur Américain spécialisé dans les questions de Défense Frank Hoffman pour qualifier l'affrontement. Il utilise cette expression pour qualifier une situation de conflit potentiel visible mais pourtant ignorée par les décideurs politiques. Reprenant cette thèse, un ancien lieutenant de l'armée américaine et une universitaire spécialisée défendent l'idée qu'une guerre nucléaire entre les deux pays est plus que possible, dans une tribune publiée jeudi 5 novembre dans la presse américaine. Partagez-vous cette crainte?

Edouard Valensi: Non, pas vraiment. Certes, les crises entre l’Inde et le Pakistan sont récurrentes, et la montée des extrémismes religieux de part et d’autre contribue à leur résurgence, mais, depuis la fin des années 1990, les deux pays savent qu’en cas de guerre nucléaire ils déploreront des millions de morts et verront leurs capitales détruites. Ils sont condamnés à la sagesse. 

Isabelle Saint-Mézard:La réactivation des craintes internationales – notamment américaines – concernant le conflit indo-pakistanais est liée au fait que l’establishment militaro-sécuritaire pakistanais a choisi de développer des armes nucléaires tactiques. L’expert Feroz Assan Khan, un ancien haut-gradé pakistanais, aujourd’hui basé au Naval Postgraduate School de Monterey, CA a été parmi ceux qui ont récemment tiré la sonnette d’alarme à ce sujet (voir son papier publié en septembre par l’IFRI sur ce même sujet).

Pour comprendre les raisons motivant la décision pakistanaise de déployer des armes nucléaires tactiques, il faut évoquer l’évolution du débat stratégique côté indien sur la dernière décennie. Une partie de la communauté stratégique indienne a en effet évoqué la possibilité d’adopter la doctrine dite du "Cold Start" dans l’hypothèse où le pays ferait l’objet d’une attaque terroriste d’origine pakistanaise. Conçue comme une opération punitive, le Cold Start consisterait à lancer une offensive aéroterrestre rapide sur le territoire pakistanais, dans les 72 à 96 heures suivant l’attaque. De nature conventionnelle, cette offensive serait - en théorie - suffisamment rapide pour prendre de cours la chaine de décision pakistanaise, et pour neutraliser le risque d’escalade nucléaire.

Cette doctrine du "Cold Start", qui apparaît en soi très risquée, n’a jamais été officiellement adoptée par le pouvoir politique indien. Son statut reste donc incertain. Les militaires pakistanais estiment néanmoins qu’elle représente une menace réelle, notamment parce que de leur point de vue, l’Inde planifierait et structurerait une partie de ses forces armées en conséquence.

Pour parer la menace d’une offensive de type "Cold Start", les militaires pakistanais ont donc entrepris de développer des armes nucléaires tactiques. En avril 2011, le Pakistan a annoncé avoir mis au point un missile balistique mobile de courte portée (le missile Nasr d’une portée d’environ 60 km). Ce type de missile est destiné à être déployé sur le théâtre d’opération, non loin de frontière indienne, en contexte de crise. Il est donc clair que l’introduction de ce type d’armes ajoute un degré d’instabilité et d’imprévisibilité à la dynamique de conflit entre l’Inde et le Pakistan.

Depuis quand les deux pays sont-ils dotés de l'arme nucléaire et pour quelles raisons ont-il pris la décision de se la procurer à l'origine? 

Edouard Valensi :L’Inde s’est lancée dans un programme nucléaire militaire dès 1948. En 1974, elle faisait exploser un engin expérimental, et elle a poursuivi son effort jusqu’à l’explosion d’une bombe thermonucléaire, une bombe H, en 1998.

Le Pakistan, se sentant menacé par l’Inde, s’est aussi lancé, mais beaucoup plus tard. Le programme est devenu une priorité absolue après la première explosion indienne. Zulifkar Ali Bhutto déclare alors : "Nous mangerons de l’herbe, mais nous ferons cette bombe atomique". En 1984, grâce à l’appui de la Chine et des Etats-Unis via le Président Carter, le pays atteint le seuil nucléaire ; en 1989 il aurait été doté de 6 têtes militaires.

Depuis 1991, l’Inde et le Pakistan  sont assurés de pouvoir faire exploser des têtes nucléaires sur les mégapoles adverses. 

Isabelle Saint-Mezard : L’Inde a décidé de développer le volet militaire de son programme nucléaire suite à l’essai chinois de Lop Nor en 1964. Le pays avait subi une cuisante défaite militaire face à la Chine deux ans plus tôt sur les zones frontalières. Il lui paraissait donc indispensable de garder ouverte l’option d’une dissuasion nucléaire. Après avoir pendant des décennies cultivé l’ambiguïté sur le statut de ses arsenaux, l’Inde s’est ouvertement affichée comme un pays doté de l’arme nucléaire en procédant à une série d’essais en 1998. Elle a néanmoins rapidement pris un engagement au non emploi en premier.

Le Pakistan s’est lancé "à corps perdu" dans la quête de la bombe après avoir vécu l’équivalent d’une deuxième partition en 1971, c’est-à-dire lorsque sa partie orientale a gagné la guerre d’indépendance grâce à l’appui de l’Inde. Cette quête de la bombe a débouché sur des pratiques de prolifération de grande ampleur (cf les multiples réseaux du docteur A.Q. Khan).

A-t-on récemment observé des signes prouvant un accroissement notable des arsenaux nucléaires dans l'un ou l'autre de ces pays ?

Edouard Valensi : Les deux pays, comme toutes les puissances nucléaires, poursuivent des programmes de recherche pour obtenir des têtes nucléaires, plus légères, plus robustes et toujours plus fiables, donc plus faciles d’emploi. (La France est à l’optimum). Mais il n’y a rien là qui puisse modifier la stature nucléaire des deux pays. Ils disposent  d’un arsenal modéré mais suffisant pour infliger des pertes insupportables à l’adversaire ; des morts par millions.

Quel rôle les Etats-Unis ont-ils joué par le passé pour assurer une médiation entre l'Inde et le Pakistan ? Quelle sont leurs responsabilités dans cet affrontement?

Edouard Valensi : Tous les présidents Américains, comme d’ailleurs tous les premiers Secrétaires du parti communiste Soviétique, ont considéré que la guerre nucléaire vaudrait l’anéantissement de leurs pays, et qu’il fallait  tout faire pour qu’un tel conflit reste impossible, même s’ils n’étaient pas directement concernés.

La politique américaine a d’abord été pédagogique : il s’agissait de ne rien cacher des effets monstrueux des armes. En ce qui concerne l’Inde et le Pakistan, ils ont été beaucoup plus loin. Lorsqu’en 1990, pendant la guerre du Cachemire, le Pakistan, sur le point d’être envahi se met en condition d’engager une frappe nucléaire, les Etats-Unis en informent l’Inde qui ne l’imaginait pas. Elle renonce alors à pénétrer au Pakistan ; la dissuasion a joué. Depuis 1999, et avec la bienveillante médiation des Etats-Unis, les deux pays se sont engagés, par une forme de traité, dans la coexistence nucléaire. Ils entretiennent une consultation régulière au niveau de leurs Etats-majors depuis cette date.

Isabelle Saint-Mézard: Les Etats-Unis ont joué un rôle important par le passé pour sortir des graves crises qui ont opposé l’Inde au Pakistan. Cela a été particulièrement le cas lors de la longue crise de 2001-2002, qui a vu les deux armées se faire face pendant plusieurs mois. Particulièrement inquiets concernant le risque de dérapage nucléaire, les États-Unis ont multiplié les médiations pour que les deux Etats démobilisent leurs armées. Suite aux attentats terroristes contre Mumbai en 2008, ils ont expliqué aux dirigeants pakistanais qu’une nouvelle attaque de cette ampleur sur sol indien serait interprétée comme une attaque contre les intérêts américains. De fait, aucune attaque terroriste aussi massive ne s’est depuis reproduite en Inde (et il faut espérer que cela continuera ainsi).

Il convient aussi de noter que la Chine a potentiellement un rôle important à jouer car sa capacité d’influence sur le Pakistan est importante. Et si elle trouve un intérêt à ce que le Pakistan continue de gêner et de déstabiliser l’Inde, en aucun cas, elle ne voudrait voir une guerre nucléaire se déclarer dans son voisinage.  

De quelle façon les armes nucléaires peuvent-elles être utilisées dans le cadre d'un politique extérieure, dans un contexte géopolitique tel que celui de l'Asie du Sud?

Edouard Valensi :Les armes nucléaires sont là pour prévenir l’adversaire qu’il va trop loin. Depuis maintenant soixante ans, il a suffit de mettre les forces stratégiques en alerte, comme pour la guerre du Cachemire, pour qu’il comprenne. Je ne crois donc pas à la possibilité d’un affrontement nucléaire. Là n’est pas le danger.

En revanche, la possibilité de l’arrivée au pouvoir au Pakistan d’un d’islam extrémiste est plus réaliste. Ce nouveau pouvoir pourrait hériter alors des armes nucléaires, aujourd’hui étroitement et sagement contrôlées par le régime pakistanais et son armée. On veut croire, et l’on aimerait s’assurer que les dispositifs de sécurité des bombes, actionnés à temps, permettraient alors de neutraliser ou de détruire les engins, si la sagesse de leur nouveau détenteur n’était pas assurée.

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