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TTIP : pourquoi il ne faut pas avoir peur des points de crispations
©Reuters

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Jeudi 5 novembre, le think tank GenerationLibre a relayé une note dans lequel l'avocat Hervé Guyader regrette l'attentisme, voire la réticence dont font preuve les acteurs français dans cette négociation. Pour Atlantico, il revient sur ses principaux arguments.

Hervé Gayader

Hervé Gayader

Hervé Gayader est avocat au Barreau de Paris et Président du Comité français pour le Droit du Commerce International.

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Atlantico : Du 19 au 23 octobre s'est tenu à Miami le 11ème round de négociation du  TTIP («Transatlantic Trade and Investment Partnership»), le traité de libre-échange transatlantique négocié entre les Etats-Unis et l’Union européenne. Ce jeudi 5 novembre, vous avez publié une note, relayée par le think tank GenerationLibre, dans laquelle vous regrettez l'attentisme voir la réticence dont font preuves les acteurs français dans cette négociation. Selon-vous quelles en sont les causes?

Hervé Guyader : Les causes de rejet sont multiples.

La chute du mur de Berlin, de l’URSS, la libéralisation des flux … ont participé d’une globalisation des échanges économiques. Résultat, une myriade de pays en développement ont accédé au commerce, ont vu leur croissance se décupler, ce qui les a transformés en pays exportateurs de matières premières comme de produits manufacturés à bas coût. La concurrence mondiale apparait donc déloyale puisque les standards de production de ces pays (coût du travail, obligations sociales, obligations environnementales…) ne sont pas les mêmes que les nôtres. Les producteurs français ne peuvent donc pas rivaliser sur certains produits de grande consommation.

Il y a également des causes politiques. S’intéresser au commerce international n’est pas réellement une préoccupation de gauche. En cette époque de grave crise économique, de chômage omniprésent, et à quelques semaines d’une séquence électorale lourde (élections régionales puis campagne présidentielle), il peut être utile à un gouvernement de gauche, parfois en délicatesse avec ses bases, de manifester son dédain pour les questions de commerce international et les relations atlantiques. Le désintérêt pour le commerce, a fortiori international, est un puissant marqueur de gauche !

Ensuite, le débat transatlantique est monopolisé par les opposants qui ont toutes tribunes de presse grandes ouvertes. Les idéologies sont déversées à longueur d’antennes à grand renfort d’images fortes : les OGM, le bœuf aux hormones, le poulet… Il est très difficile de faire entendre une voie favorable au principe d’un traité transatlantique.

Pour finir, il faut s’accorder sur la complexité extrême des problématiques juridiques qui sont liées au commerce international. Si l’appréhension économique de la mondialisation est finalement accessible du plus grand nombre qui comprend, par exemple, que grâce à internet, il est possible d’acheter peu cher n’importe où, l’analyse juridique relève de concepts de droit international, de droit commercial … peu communs du profane. Ce que l’on ne connait pas, et ce que l’on ne comprend guère, effraie toujours. C’est aux juristes de faire œuvre de pédagogie.

Vous militez en faveur de la procédure d'arbitrage, fortement controversée. Pourquoi ?

L’arbitrage international existe depuis bien longtemps. On peut en trouver traces codifiées au début du XXe siècle. Contrairement à ce qui est souvent présenté, il ne s’agit en rien d’une « justice privée à la solde des puissants », sorte de petits conciliabules entre vieux amis (quand l’on connait la violence des litiges), mais d’un « service privé de justice » qui a donné de tous temps satisfaction.

L’arbitrage est rapide quand les procès complexes courent sur des dizaines d’années. Il est tranché par des spécialistes ayant des connaissances juridiques très pointues, disposant d’une grande expérience des enjeux économiques internationaux et d’une hauteur de vue appréciable. Il reste peu onéreux en comparaison des procès s’étalant sur de longues périodes.

La procédure est codifiée, en France, par le décret du décret du 13 janvier 2011, inscrit dans le code de procédure civile. Il n’est donc, en rien, question d’une justice privée, dépourvue de cadre juridique et de règles.

Affirmer que les arbitres manquent d’indépendance témoigne d’une méconnaissance absolue de la pratique et des obligations de révélation de tout élément pouvant mettre en doute leur impartialité et dont les sanctions sont lourdes.

Affirmer, enfin, que l’arbitrage ISDS manque cruellement de transparence illustre la méconnaissance de la Convention des Nations Unies de Maurice signée le 17 mars 2015 relative, précisément, aux obligations de transparence.

Par ailleurs, adopter une vision géopolitique de l’arbitrage international rend plus amer encore son rejet, simplement parce qu’il est confronté aux américains. Comment pourra-t-on ensuite chercher à l’instaurer quand il sera question de négocier des traités avec des pays aux traditions judiciaires moins impartiales comme la Russie, la Chine ou d’autres ? Si l’on refuse tout arbitrage international, il s’agira, alors d’aller plaider en Russie, devant un juge russe, contre l’Etat russe. Si vous imaginez une seconde que le juge vous écoutera, vous êtes naïfs.

De façon plus générale, vous soutenez: "le TTIP constitue un atout majeur pour les entreprises, surtout les PME, et les consommateurs". Quels sont vos arguments en ce sens?

Le TTIP peut constituer un atout majeur pour l’ensemble des acteurs de la société française car il vise à structurer le commerce de demain et à favoriser les échanges, donc la croissance ainsi que les emplois. Puisque la mondialisation est jugée comme étant néfaste, un acte de structuration devrait être le bienvenu. D’autant que voir dans le TTIP un acte visant uniquement à détruire les normes et au-delà le modèle social français est purement idéologique puisque les négociateurs ont acté, par écrit, de leur volonté de ne produire aucun sacrifice normatif qui ne serait d’ailleurs pas acceptable.

Le commerce international a changé. Jadis, il était le jeu des exportateurs qui avaient besoin d’infrastructures et de faibles droits de douane pour pouvoir commercer.  Celui de 2015 est désormais centré sur les aspirations des consommateurs qui exigent des normes de sécurité, de qualité strictes.

Par ailleurs, le TTIP peut être l’occasion d’une harmonisation des normes techniques, ce qui permettrait à un fabricant français de vendre son produit partout de Californie en Pologne. C’est un sujet qui n’est jamais abordé parce qu’il fait consensus et permet de faire émerger un argument favorable.

Au-delà, le TTIP pourrait être le moment de rendre un peu de liberté et donc de responsabilité aux citoyens français. Confronté à des choix de produits, à eux de prendre la décision d’acheter français ou américain. Il est devenu trop facile de se cacher derrière d’innombrables prétextes pour se plaindre de la mondialisation. Si vous n’aimez pas les produits américains, il suffit simplement de ne pas les acheter ! Si d’autres les apprécient, en quoi cela est-il une gêne ? Il faut cesser ces démarches sectaires où les comportements sont dictés par certains bien-pensants.

Vous écrivez aussi :"le TTIP est une chance de favoriser des échanges profitables à tous, dans un ensemble homogène regroupant les pays occidentaux". Quelles sont les conditions à réunir, et les dispositions à intégrer au futur texte - dont la rédaction n'a pas encore débutée-, afin d'assurer des échanges équitables tels que ceux que vous défendez?

Il me faut avant tout défendre le principe transatlantique d’un point de vue géopolitique. Ceux qui rêvent d’une France isolée, cernée de barrières et de miradors ne trompent d’époque. La France est versée, comme tous les autres pays, dans la mondialisation. Celle-ci suppose des alliances, des intégrations, afin de pouvoir peser. L’idée formidable d’une structuration mondiale, unique, du commerce international, l’aboutissement d’une OMC régulatrice du monde économique n’est pas encore venue. Est-il plus raisonnable d’aller s’allier avec les américains ou faut-il préférer les russes, les chinois ou les BRICS ? Mon expérience des dossiers internationaux me fait privilégier la vision atlantiste.

Une fois ce principe posé, négocier le traité suppose d’adopter une vision ambitieuse de la place de la France. Nul ne conteste la position de superpuissance des USA et leur hégémonie économique, juridique et culturelle. La France est bien petite en comparaison. Mais, avec les 27 autres pays européens, elle pèse plus de 500 millions d’habitants.

Un TTIP juste devra intégrer le principe de réciprocité dans l’ouverture des marchés, une certaine forme d’égalité permettant une harmonisation normative par le haut, en respectant certains particularismes (l’agriculture). Il faut également intégrer le principe de précaution qui est un socle juridique européen. Quand il y a un doute, le droit européen justifie que l’on interdise certains produits. C’est le cas, par exemple, des OGM. La directive du 11 mars 2015 permet aux Etats de refuser les OGM. On voit mal comment le TTIP pourrait revenir sur cette question.

Au delà de ces points, pensez-vous à d'autres éléments de négociation sur lesquels la France devra être particulièrement vigilante lors des prochains round ? Si oui, lesquels?

La question des appellations d'origine va être cruciale car les USA sont réticents à les accepter et la France a construit son agriculture sur ces appellations.

Il y a également la question des services qui, puisqu’elle ne sera sûrement pas réellement traitée dans le TTIP (sujet trop polémique) fera l’objet d’un probable prochain traité, le TISA (Trade In Service Agreement).

Au-delà de cela, il faut réfléchir aux incidences de l’annulation par la Cour de Justice de l’Union Européenne du « Safe harbor » qui encadrait le transfert de données personnelles de l’Europe vers les USA. Un « Safe harbor » 2 qui est en cours de négociation devient urgent quand l’on connait la tendance des grands groupes américains à capter nos données personnelles pour les valoriser.

Puissé-je en finir par déplorer une nouvelle fois, aux côtés du manque d’implication étatique, le désintérêt du MEDEF et des entreprises françaises, grandes comme petites, qui désertent ce débat quand leurs homologues des pays nordiques notamment prennent toute leur part.  

Propos receuillis par Adeline Raynal

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