Mon facteur prend des cours de Kamasutra

– Oui, la Poste, service distribution, j’écoute ?

– (Lafesse, voix de madame Ledoux, une femme âgée.) Bonjour,

monsieur.

– Madame ?

– Madame Ledoux à l’appareil.

– Oui.

– Je voudrais des nouvelles de mon facteur.

– Lequel facteur ?

– Ben j’le connais pas moi, hein... c’est celui...

– (L’interrompant.) Oui. Dites-moi où est-ce que vous habitez, je vous connais pas non plus, hein...

– Rue de Valdois.

– Rue de Valdois ?

(Il demande à son collègue : Qui c’est qui fait la tournée rue de Valdois ? Son collègue lui répond : C’est Maurice, je crois.)

– Ouais, pourquoi, qu’est-ce qui se passe, madame ?

– Ben, écoutez, il est pas passé, enfin...

– Il est pas passé ?

– Si. Il passe de plus en plus en retard...

– Et... euh, ben, écoutez, c’est qu’il a du travail sur sa tournée et donc il va pas... À quelle heure il passe habituellement ?

– Oh ! Bon, il passe vers 9 heures, 9 heures et demie.

– (Le postier a l’air vraiment étonné.) 9 heures, 9 heures et demie ? Puis il est pas passé aujourd’hui ?

– En général, il passe vers 9 heures, 9 heures et demie, mais là il passe de plus en plus en retard.

– Il vient de plus en plus en retard ? Ah bon ! Comment ça se fait ?

– Ah ! Ben, ça, j’en sais rien, moi...

– Vous savez pas ?

– Je sais qu’il s’arrête chez ma fille tous les matins.

– Ah ?!... Ouais...

– Qui habite deux numéros avant.

– Mmm...

– Mais avant ça durait cinq minutes, hein. Et puis maintenant, il vient une demi-heure en retard.

– Ah bon ?... Et il reste un peu plus tard chez votre fille, alors ?

– Oui.

– Ah, ouais ?... Et... (Il étouffe un rire.) Et vous, vous...

– Il passe chez moi après être allé chez ma fille.

– Ah ! Ouais, d’accord.

– À 9 heures et demie, il est chez ma fille.

– Oui ?

– Alors, je crois que ma fille lui donne des cours de Kamasutra ou quelque chose comme ça. C’est une langue du... oriental, m’a-t-il dit.

– (Il se met à rire, un peu gêné.) Ah bon ?... Alors là, excusez-moi, mais ça me surprend quand même... qu’il prenne des cours... sur sa tournée, c’est quand même pas normal !

– C’est pour ça que je vous appelle.

– Ouais, ouais, bon, ben, on va surveiller, on va le surveiller un peu et puis on va lui demander ce qui se passe, hein, vraiment, et puis le surveiller.

– Il arrive chez ma fille toujours juste après que son mari soit parti, hein, mon gendre, hein.

– (Le postier semble gêné par cette situation qu’il trouve quand même amusante.) Ouh, là, là ! Oh, là, ben, attends...

– Oui. Parce que ma fille m’a dit qu’il était très appliqué.

– Pardon ?

– C’est très compliqué, hein, m’a-t-elle dit, parce qu’il paraît qu’il faut être une fois à genoux, une fois accroupi...

(Il éclate de rire.)

– Oui. C’est ce que ma fille m’a dit.

– (En riant.) Oui, ben, écoutez, normalement... (Il éclate de rire.)

– Qu’est-ce qui vous fait rire ?

– Excusez-moi. (Il continue de rire.) Mais non, parce que...

(Il n’arrive plus à parler tellement il rit.)

– (Madame Ledoux, toujours aussi sérieuse.) C’est une nouvelle langue ou quoi ? (Personne ne lui répond et elle les entend rire.)

Allô ! Qu’est-ce qui se passe ?

– Écoutez, madame, ce que je vais faire...

– Non, non, mais rassurez-moi...

– Non, non, ce que je vais faire, on ira le suivre sur sa tournée pour voir si le... si le... (Il perd ses mots et ses collègues qui rientderrière le déconcentrent.) ... si la rue dure vraiment plus longtemps que de coutume, hein... C’est pas normal qu’il prenne des cours de langue sur sa tournée, hein. (En continuantde rire.)

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Extraits de300 grammes de Lafesse, Le Cherche Midi (novembre 2011)