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Les tenants de la démondialisation ne voient-ils pas qu'ils nous tireraient une balle dans le pied ?
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Protection rapprochée

La vision des partisans d'un protectionnisme sans nuance oublie bien souvent des obstacles très pratiques à la mise en oeuvre de leurs projets... Les bonnes feuilles de Jean-Luc Sauron, "L'Europe est-elle toujours une bonne idée ?". Extraits (1/2).

Jean-Luc  Sauron

Jean-Luc Sauron

Jean-Luc Sauron est professeur associé à l'Université Paris-Dauphine.

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En réponse à l’instabilité du monde, certains proposent de « démondialiser » nos relations économiques extérieures. Cette thèse repose sur l’idée que les États Nations ont encore une capacité déterminante à agir sur le cours des choses. [...]

Progressivement, la renationalisation de l’Espace économique européen s’insinue dans les esprits. Cette régression est-elle préparatoire à d’autres ?

La divergence exprimée par les personnes interrogées sur la fixation des droits de douane (au niveau français ou au niveau européen) se retrouve dans les positions des tenants de la démondialisation. Elle ignore totalement la réalité politique et juridique de la souveraineté française.

D’un point de vue pratique, le souhait d’un protectionnisme ciblé aux frontières européennes pêche par l’impossibilité de déterminer une « grille » de produits ou d’États visés qui serait partagée par tous les États membres de l’Union européenne. Admettons un instant que les responsables politiques français déterminent cette grille, elle ne vaudrait qu’en tant que réponse à la situation de l’emploi et de l’économie en France ou dans chacun des États dont la population se montre sensible à cette position. Mais les partisans de ce protectionnisme européen pourront-ils faire accepter cette grille par nos vingt-six partenaires au sein de l’Union européenne ?

La question n’est pas anodine. En effet, comme nos politiques le savent, la France (comme les autres membres de l’Union européenne) a perdu ses compétences extérieures sur le régime douanier depuis 1957, date de la constitution de la Communauté économique européenne. Ainsi depuis cinquante-quatre ans, nos politiques sont censés savoir qu’ils ne peuvent plus décider unilatéralement des droits de douane, comme dans toutes les unions douanières d’ailleurs. En cas d’impossibilité d’adopter à vingt-sept une augmentation des droits de douane aux frontières européennes, la responsabilité de nos difficultés serait attribuée aux autres États membres de l’Union qui se verraient accusés d’empêcher les Français de se protéger.

Les seuls membres de l’Union européenne qui ont pu contourner cette règle sont les Britanniques qui, au lieu d’une augmentation de 27 % de leurs droits de douane (impossible comme nous venons de le voir) ont pratiqué une dévaluation « compétitive » de 27 % de leur monnaie, la Livre sterling. Cette dévaluation ne semble pas les avoir mis à l’abri de la crise et elle n’a de portée que si elle reste unique. Si d’autres pays la pratiquaient (par exemple en abandonnant l’euro), nous reviendrions à une guerre des monnaies dont l’issue serait plus qu’incertaine !

Certains auteurs pro-démondialisation admettent l’impossibilité d’une telle démarche concertée et proposent tout simplement d’en revenir au rapport de force intra-européen. Selon Emmanuel Todd, « Pour lesdirigeants français qui voudraient réellement agir,la négociation avec l’Allemagne devrait inclure leséléments suivants : - admettre que l’Allemagne est lecœur industriel de l’Europe et cesser de se comporter comme si la France pouvait protéger quoi que cesoit toute seule ; - faire comprendre à l’Allemagnequ’elle a plus à gagner à une relance de la demandeintérieure européenne qu’à une poursuite indéfiniede la demande extérieure chinoise ou mêmemondiale ; - avertir les dirigeants et le patronat de laRépublique fédérale que dans le cas où ce travail depersuasion échouerait, en l’absence de réorientationprotectionniste de la politique commercialeeuropéenne, la France devra quitter la zoneeuro, ou plus exactement la détruire, puisqu’elleserait immédiatement suivie par l’Italie, encore plusasphyxiée qu’elle par l’euro fou ».[1]

Les derniers soubresauts boursiers de l’été 2011 ont, à l’envie, donné un avant-goût de la sanction par les marchés mondiaux de l’absence de coordination au sein de l’Union européenne. Cependant, les partisans de la démondialisation ne sont-ils pas en capacité de lancer, dès avril 2012 et après avoir réuni 1 million de signatures de citoyens européens, une initiative citoyenne européenne en faveur d’un protectionnisme européen, demandant à la Commission européenne de proposer une modification du tarif douanier partagé par les vingt-sept États membres visant à l’augmentation des taux pratiqués sur les produits en provenance des pays émergents ?

A cette crise politique intra-européenne, née de la division entre les Etats-membres sur la nécessité ou non de rétablir des barrières douanières aux frontières de l'Europe, pourrait s'en ajouter une seconde liée à l'impossibilité de scinder les libertés économiques entre elles.

Les démondialistes affirment sans l'expliquer vraiment, qu'il serait possible de cantonner les effets de leur protectionnisme à la seule circulation économique de marchandises (droits de douane) sans peser, dans une deuxième étape, sur la libre circulation des hommes (immigration).

Certes, certains sont de bonne foi comme Arnaud Montebourg lorsqu'il déclare que "moins de barbelés pour les hommes et plus de contrôles douaniers sur les produits et les marchandises".

D'autres ont bien vu le problème, mais affirment que l'enfermement économique sera une protection contre la xénophobie : "nous devons comprendre que la lutte pour l'équilibre économique et la lutte contre la xénophobie sont désormais étroitement liées. Seule la définition d'un horizon économique décent nous permettra d'échapper à la généralisation d'une politique du ressentiment tournée contre les plus faibles de nos pays, enfants et petits enfants d'immigrés. Seule une conception égalitaire des rapports entre les peuples européens permettra de trouver une solution à la crise économique. Seul un monde économique réorganisé selon le principe d'un protectionnisme coopératif, assurant une croissance par les demandes intérieures plutôt que par la recherche de débouchés extérieurs et par le désir d'écraser la concurrence permettra une bonne entente entre les peuples". ("L'Europe, la burka et la crise, extrait d'une tribune de Hakim El Karoui et Emmanuel Todd parue dans la tribune le 11 mai 2010).

Autrement dit, l'absence d'échanges économiques entre les populations empêchera la concurrence sauvage qui monte les peuples les uns contre les autres ! Cette belle théorie suppose que chacun s'auto suffise : un retour à l'économie de la cueillette sans doute !

Mais d'autres, moins angéliques, font clairement le lien entre lutte contre la mondialisation et lutte contre l'immigration comme Umberto Bossi, le leader de la Ligue du Nord en Italie qui, en 1998, parlait de "projet mondialiste américain" visant à détruire l'Europe et à garantir les intérêts des "banquiers juifs à travers une société multiraciale" ("Les barrières douanières font recette en Italie ? par Robert Lavéran, La Tribune 17 juin 2011).

Il est intéressant de rapprocher le slogan du Front national des années 1970 ("un million d'immigrés, c'est un million de chômeurs") et le non-dit actuel des "démondialistes" : x milliers de produits nationaux produits à la place, au bénéfice et par nos nationaux.

Aux rapports de force interne à l'Union européenne pour imposer à nos "partenaires" européens, s'ajouterait l'affrontement avec les producteurs extérieurs à l'Union. Mais cette dernière position repose sur l'idée, peut-être simpliste, que l'industriel à qui il est demandé de se réinstaller n'ait pour seul débouché que le marché qui se protège. En dehors de ce cas, aujourd'hui peu probable, la menace posée tient davantage du sabre de bois que de l'arme atomique !

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Extraits deL'Europe est-elle toujours une bonne idée ?  Souverainetés nationales, Union européenne, Mondialisation, Gualino Éditeur (6 décembre 2011)



[1] Emmanuel Todd, Après la démocratie, Folio actuel, mai 2011, page 297.

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