Primaire : ce que les reports de voix potentiels de Bruno Le Maire et François Fillon nous disent du match Sarkozy-Juppé<!-- --> | Atlantico.fr
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54% des électeurs de Bruno Le Maire et 49% de ceux de François Fillon voteraient pour Alain Juppé au second tour des primaires des Républicains.
54% des électeurs de Bruno  Le Maire et 49% de ceux de François Fillon voteraient pour Alain Juppé au second tour des primaires des Républicains.
©Reuters

Sur le ring

Une majorité des électeurs de Bruno Le Maire (54%) et de François Fillon (49%) reporteraient leurs voix sur Alain Juppé plutôt que sur Nicolas Sarkozy, dans le cadre de la primaire des Républicains, si leur candidat était évincé au second tour. Un report qui semble démentir la proximité idéologique entre Sarkozy, Le Maire et Fillon.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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54% des électeurs de Bruno  Le Maire et 49% de ceux de François Fillon voteraient pour Alain Juppé au second tour des primaires des Républicains, c’est ce que révèle un sondage BVA pour la presse régionale paru ce lundi 2 novembre. Le résultat semble, a priori, étonnant car l’ancien Premier ministre, comme son ex-ministre de l’Agriculture, ratissent des terres bien plus à droite que celles d’Alain Juppé et pourtant… A choisir entre Nicolas Sarkozy, clairement plus proche idéologiquement, et son adversaire, les électeurs sont prêts à faire des concessions pour ne pas revoir le match de 2012. La personnalité de Nicolas Sarkozy reste, pour beaucoup, un problème. Les électeurs de Fillon se sont unis dans l’opposition à l’ancien président, ceux de Le Maire sont en quête d’un homme neuf, qui parle clair et sans excès. Et tous, à l’heure où les programmes des uns et des autres ne sont pas encore publics, préfèrent Alain Juppé.  Lorsque viendra le débat politique, les choses changeront peut-être. Les alliances, négociées entre les deux tours, seront elles aussi déterminantes. En 2012, au PS, les électeurs d’Arnaud Montebourg ont suivi l’appel de leur leader et sont allés voter François Hollande alors qu’ils se trouvaient idéologiquement plus proches de Martine Aubry.

Atlantico : D'après un sondage BVA (voir ici) pour la presse régionale, les reports de votes dans le cadre des élections de la primaire des Républicains ont de quoi surprendre. Les électeurs de Bruno Le Maire, crédité à 11% des intentions de vote et François Fillon (8%) devraient se tourner vers Alain Juppé plutôt que Nicolas Sarkozy à 54% et 49% respectivement. Comment l'expliquer, au vu et au su des proximités idéologiques entre Nicolas Sarkozy, Le Maire et Fillon ? Quels sont les mécanismes qui peuvent pousser un électorat marqué à droite à préférer un "centriste" ?

Jean Petaux : Les explications sont forcément multiples. La principale est assez banale : croire que les électeurs agissent en fonction d’une rationalité fondée sur une étude minutieuse et critique des propositions formulées par les uns et les autres relève de l’angélisme, de la naïveté et d’une confiance immodérée dans les vertus de la démocratie. En d’autres termes ce qui structure le comportement électoral, y  compris dans une élection primaire ressort bien plus du ressenti, des croyances, des sentiments antipathiques ou empathiques que d’autres prolégomènes. En l’espèce les électeurs de François Fillon (8% au premier tour, ce qui est très peu) se déterminent bien plus dans leur report de voix vers Alain Juppé à cause de la détestation que leur inspire Nicolas Sarkozy qui a donné l’impression d’humilier pendant 5 ans leur candidat favori (ce qui est formellement inexact, de l’aveu même de François Fillon dans son dernier livre) qu’en fonction d’une éventuelle adhésion au programme d’Alain Juppé. Pour ce qui est de Bruno Le Maire, à peine mieux loti au soir du 1er tour que François Fillon (il est crédité de 11% des suffrages) la raison est assez comparable. Il est important de noter qu’aussi bien Le Maire que Fillon obtiennent assez peu de voix chez les sympathisants "Les Républicains" (respectivement 10 et 9%) alors que leur électorat du 1er tour compte pour Le Maire 16% d’UDI et 5% de MODEM et pour Fillon 7% d’UDI et 4% des MODEM centristes. Pas étonnant que cet électorat se reporte sur Alain Juppé qui recueille, selon l’estimation de BVA, 68% des sympathisants du MDEM et 66% des sympathisants de l’UDI.

Ce qui est très intéressant c’est que les électeurs de François Fillon et de Bruno Le Maire se reportent majoritairement sur celui des finalistes de la primaire à Droite qui apparaît le plus modéré des deux. En tous les cas celui qui a déjà fait part de sa volonté certes de réformer mais de ne pas "casser" la société française : Alain Juppé. Alors que dans son livre programmatique, très volontariste et parfois même franchement néo-thatchérien, François Fillon prône des réformes audacieuses voire radicales qui devraient, selon toute probabilité, faire descendre généreusement les Français dans la rue. Ce n’est pas le moindre des paradoxes d’une élection primaire qui s’apparente, qu’on le veuille ou non, à un concours de beauté pour savoir qui sera le champion de la Droite. Concours dont on s’aperçoit qu’il pourrait être arbitré par les sympathisants Front national qui semblent avoir envie de s’inviter en nombre dans le choix du casting. Avec d’ailleurs un comportement totalement absurde. S’ils favorisent la désignation de Nicolas Sarkozy comme candidat de la Droite républicaine, ils se tirent, de facto, une "balle dans le pied" puisque celui-ci sera un adversaire bien plus coriace pour Marine Le Pen que ne le serait un Alain Juppé qui mordra sur l’électorat de centre-gauche s’il est le candidat désigné au sortir des primaires et dégagera, automatiquement, un véritable "boulevard" à Marine Le Pen à même de rallier sur son nom, dès le premier tour de la "vraie présidentielle" un électorat de la Droite forte (tendance Sarkozy ou Morano) qui refusera, par principe, de voter Juppé et trouvera en Marine Le Pen un produit de substitution tout à fait acceptable. Autrement dit si les sympathisants "Bleu marine" veulent interférer dans le cours du jeu de la Droite républicaine, ils ont tout intérêt à faire battre Sarkozy et donc à ne pas voter pour lui comme ils envisagent de le faire à 40% contre 15% pour Juppé et 16% pour Morano….

En réalité les électeurs ne semblent pas avoir vraiment compris quelle doit être la bonne stratégie pour une élection primaire : il faut faire en sorte que soit désigné celui ou celle que vous estimez le ou la moins capable de supplanter votre propre champion… Et ne pas voter pour le candidat qui vous semble le plus proche idéologiquement…

Quels sont, aujourd'hui, les points forts d'Alain Juppé ? Les repports annoncés aujourd'hui sont-ils représentatifs d'une tendance durable ou faut-il considérer ce sondage comme une photographie à un instant donné ?

Ce sondage comme tous ceux qui l’ont précédé et ceux qui le suivront est une photographie, un instantané, qui fige une situation. Ce qui permet d’avoir une vision un tant soit peu dynamique c’est la tendance que constitue une série de sondages. Ce que l’on constate, depuis de nombreux mois en effet, c’est qu’Alain Juppé est populaire et majoritaire à l’extérieur du groupe des sympathisants du parti "Les Républicains". Pour autant son résultat parmi les sympathisants de son seul parti n’est pas médiocre : 26% des sympathisants LR disent avoir l’intention de voter pour lui. C’est certes 23% de moins que Nicolas Sarkozy qui agrège un sympathisant "Les Républicains" sur deux (48%) mais qui ne "cartonne" pas non plus dans ce groupe. On remarque d’ailleurs qu’il recueille 40% de voix chez les sympathisants FN ce qui est considérable surtout en comparaison avec la proportion de ses soutiens parmi les sympathisants "LR" (seulement 8% de plus que les "frontistes"). Les atouts d’Alain Juppé se situent d’ailleurs dans ce très gros soutien du centre et même des sympathisants de "Debout la France" qui le choisissent en premier (34%) loin devant Sarkozy et Fillon. Sans doute en souvenir d’une authenticité "gaulliste" irréprochable chère à la nostalgie des amis de Dupont-Aignan. Je ne vois aucune raison pour qu’Alain Juppé perde son socle centriste. En réalité s’il est battu aux primaires, François Bayrou n’aura qu’à se baisser pour récupérer cet électorat-là qui aura été mobilisé par Alain Juppé et qui ne se reportera pas sur Nicolas Sarkozy. Certainement pas lors du 1er tour de la "vraie présidentielle", peut-être pas non plus (tout dépendra de l’adversaire d’un Sarkozy finaliste) au 2nd tour…

En dépit de ces reports de voix, Nicolas Sarkozy est néanmoins donné vainqueur de cette primaire. Qu'est-ce que cela traduit du combat que devront mener Nicolas Sarkozy et Alain Juppé ? Quelle place pour le projet politique ?

Quand on regarde aussi bien les principaux enseignements du sondage BVA que le détail et la structuration des choix caractérisés par le sondage on constate que la situation est un peu plus complexe que celle que vous résumez. Nicolas Sarkozy l’emporte sur Alain Juppé seulement si la mobilisation des sympathisants FN est importante… S’ils restent chez eux, s’ils estiment que "ce combat n’est pas le leur" et qu’ils n’ont pas à interférer dans le choix du candidat de leurs adversaires de Droite alors Nicolas Sarkozy n’est plus élu face à Alain Juppé. Pour être très clair : au vu du sondage, ce sont les sympathisants FN qui "font" la désignation de Nicolas Sarkozy. J’ai dit plus haut que ce comportement, s’il devait se confirmer, serait une pure idiotie stratégique de la part des sympathisants FN… Je pense d’ailleurs que Marine Le Pen, excellemment avisée de la chose politique, saura rappeler en temps et en heures à ses propres électeurs qu’ils doivent s’occuper à autre chose, les 20 et 27 novembre 2016, plutôt qu’à aller voter à des primaires qui ne sont pas leur affaire… 

Pour ce qui est du projet politique, les "primaires citoyennes" de l’automne 2011 ont amplement montré qu’il est secondaire dans cette affaire. Qu’Arnaud Montebourg et Manuel Valls (sans parler du Radical de gauche Jean-Michel Baylet) se retrouvent côte-à-côte à soutenir François Hollande contre Martine Aubry, avec deux lignes politiques parfaitement antinomiques et contradictoires, montre bien que le projet passe au second plan. Ce qui compte en l’espèce ce sont les ralliements pour de futures rétributions ultérieures à la victoire éventuelle : un poste de "grand ministre" à chacun (le "Redressement productif" à Montebourg et "l’Intérieur" à Valls). Le vainqueur du duel Sarkozy – Juppé ne manquera pas de faire pareil… En prenant à peine le soin de faire croire aux électeurs qui se déplaceront pour le second tour de la primaire, le 27 novembre 2016, qu’ils auront assisté à des ralliements programmatiques, basés, (bien sûr !...) sur des convergences fortes entre tel ou tel projet politique… Et tel le Petit Chaperon "rouge" qui ne demandait qu’à croire à l’histoire du "grand méchant loup" se faisant passer pour "mère grand", l’électorat de la primaire à Droite acceptera cette fable…

Fondamentalement, au vu de ce que ces reports traduisent de la proximité idéologique des électeurs, la question est-elle encore d'être de droite ou du centre ?  

Contrairement à ce que disent les électeurs de gauche (socialistes ou autres) il y a de vraies différences entre les électeurs de droite ou du centre. Celles-ci sont sans doute davantage fondées sur des sentiments inspirés par telle ou telle personnalité politique que sur les contenus programmatiques développés par les uns et les autres. Incontestablement (à tort ou à raison) la personnalité d’un Nicolas Sarkozy heurte l’électorat qui se reconnait et s’auto-désigne comme centriste. Sa manière de faire, son style, son passé, les différentes situations qui jalonnent toute sa vie politique, tout cela constitue un faisceau de représentations construisant une image négative de l’ancien président de la République. Inversement Alain Juppé incarne lui aussi, pour un électeur de Droite désireux d’entendre une parole forte, clivante, mais aussi "populaire" et débarrassée des précautions oratoires qui caractérisent un discours de modération et de tolérance, tout ce qui est exécrable. Pour cet électorat tenant d’une Droite forte et sans complexe, Juppé est un mou et Sarkozy un dur, un leader et donc un champion. Peu importe (au risque de surprendre) ce que l’un et l’autre disent, peu importe l’examen minutieux et pointilleux de leurs divergences (ou plutôt et très majoritairement de leurs convergences) ce qui reste, in fine, dans les têtes, ce sont des images : Juppé est au centre, Sarkozy est à droite… Fillon est au centre-droit et Le Maire entre les deux… Quant à Nadine Morano, on ne l’a pas assez dit, elle réussit une excellente percée et pourrait bien être le "cinquième homme" de cette aventure… En tous les cas elle a, d’un coup, renvoyé Xavier Bertrand, NKM, Mariton et Copé au rayon des abonnés absents… Comme quoi, sans appartenir à la "race des vainqueurs" on peut en vantant les mérites de la "race blanche" aisément "black-lister" ses chers "compagnons" (comme on disait jadis dans les rangs du parti gaulliste et chiraquien…).

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