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Neurotechnologie : comment le cerveau pourrait devenir une arme aux mains des militaires (ou des terroristes)
©Flickr/IsaacMao

Côté obscur

Les neuro-technologies sont considérées comme des outils à "double usage", ce qui signifie qu'en plus de servir à la résolution de problèmes médicaux, elles peuvent aussi être appliquées (ou déviées) à des fins militaires. La possibilité d'une "prise de contrôle" sur le cerveau d'autrui n'est pas (plus ?) forcément une idée réservée aux fans de SF...

André Nieoullon

André Nieoullon

André Nieoullon est professeur de neurosciences à l'université d'Aix-Marseille.

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Atlantico : Dans un laboratoire de l'université Duke, deux singes ont pu faire bouger un bras virtuel en deux dimensions grâce à des électrodes implantées dans des zones de leur cerveau régissant l'activité motrice. Comment cela est-il possible ? Est-ce que l'homme peut effectuer cet exercice ?

André Nieoullon : Les concepts à la base de ces travaux sont anciens et stipulent qu’en imaginant mentalement un mouvement, il est possible d’activer les régions du cerveau qui le contrôlent normalement. A partir de ce concept de base, la première idée qui est venue a été de proposer que si l’on était capable de "récupérer" le signal ainsi généré par les neurones "imaginant" le mouvement, alors ce signal pourrait éventuellement permettre la commande d’une prothèse dans le cas de personnes paraplégiques. Après une courte phase de travaux chez l’animal, ce fut chose faite assez rapidement chez l’homme et dès 2006 John Donoghue et son équipe aux USA montraient qu’il était ainsi possible de permettre un certain degré d’autotomie dans le cas d’un patient où le signal de la région du cortex commandant normalement le mouvement, ce que l’on appelle le cortex moteur, était réinjecté dans un ordinateur commandant lui-même la prothèse.

Dans le cas de l’expérience que vous mentionnez, il s’agit de montrer qu’une certaine coopérativité est possible entre deux individus en utilisant le signal issu non pas d’un seul cortex moteur mais de deux cortex moteurs de deux individus différents. Evidemment il faut imaginer que ces deux animaux ont appris à "coopérer" préalablement à cette expérience et qu’ils ont appris à se coordonner au service de l’obtention d’une récompense. Pour illustrer ce propos, imaginons que l’un des singes ait appris à "déplacer" par la pensée (le signal du cortex moteur ne commande pas directement son bras mais un ordinateur qui déplace un levier) un levier horizontalement et qu’un autre animal ait la faculté de déplacer le levier verticalement, alors si les deux animaux comprennent qu’ils sont interdépendants et que pour obtenir une récompense ils doivent de concert suivre une ligne "oblique" sommation des déplacements verticaux et horizontaux, alors ils "travailleront ensembles" pour une meilleure efficacité. Sur le principe, les choses sont plutôt simples ; en pratique cela nécessite vraisemblablement un long apprentissage pour obtenir une telle coopération…

Les neuro-technologies sont des outils à "double usage", elles peuvent aussi être appliquées à des fins militaires. Le développement de neuro-armes semble irrémédiable et ne plus relever de la science-fiction. Existe-t-il un vrai risque que des scientifiques les utilisent à ces fins militaires?

Le biologiste n’est pas naïf mais préfère s’inscrire dans un cadre d’une éthique de la recherche qui garantisse que les résultats de ses recherches ne seront pas pervertis par d’autres… Cela étant, dans un monde où les technologies progressent à vitesse fulgurante, il n’est pas exclu que certains esprits mal intentionnés aient des visions de "prise de contrôle" du cerveau de l’autre. Un certain nombre de fictions ont  déjà montré quelles pourraient être certaines de ces applications…

Pour ma part, je vais prendre deux exemples illustrant comment il est imaginable que l’on puisse interférer avec le comportement de l’autre. Le premier exemple en droite ligne avec ce qui a été décrit plus haut : Imaginez que, par le "mouvement imaginé", il soit possible de piloter un avion par la pensée. Pilote et copilote pourraient se partager les tâches harmonieusement… mais dans ce cas qui pourrait s’opposer à ce que les actions de l’un ne soient pas contraires à celle de l’autre ? Les conséquences ne sont pas difficiles à imaginer…

Le second exemple est beaucoup plus réaliste car il emprunte à des technologies bien ancrées dans le quotidien des thérapeutes. Certaines pathologies du mouvement comme le tremblement ou les troubles du mouvement de la maladie de Parkinson peuvent être traitées oh combien efficacement par des neurostimulations par électrodes implantées dans le cerveau. Et avec ces succès des applications sont développées pour d’autres pathologies, y compris certaines formes de dépressions… Mais ce que révèlent aussi ces travaux c’est qu’il est aussi possible, même si ce n’est évidemment pas le résultat recherché par le neurochirurgien, de modifier par-là quelque peu le comportement de ces patients, dans un certain nombre de cas. Dès lors toutes les précautions se doivent d’être prises pour que la neurostimulation ne soit pas détournée à des fins de modifications de la personnalité et d’induction de comportements non désirés. Aujourd’hui toutes les précautions sont prises pour éviter ces dérives mais il faut se souvenir que la psychochirurgie a un lourd passé en ce domaine au regard des lobotomies pratiquées sans contrôle dans les années 1950... Difficilement imaginable de voir des "armées" de neuro-stimulés tous au service d’un fanatisme quelconque. Nous sommes dans la fiction et tout porte à croire que nous n’en sortirons pas, par bonheur !

Quel est l'intérêt de cette avancée pour la science ? Cette innovation pourra-t-elle aidée les personnes victimes d'AVC ou celles malades d'Alzheimer ?

Comme cela a été mentionné, si l’on s’en tient aux applications pour lesquelles ces technologies ont été développées, il s’agit bien de développer des thérapeutiques innovantes, permettant de traiter des patients résistants aux médicaments dans le cas de la neurostimulation ou, plus audacieux encore, utiliser le signal nerveux lui-même pour permettre une certaine rééducation du patient après un accident qui ne lui permet plus l’autonomie de la commande motrice. Le développement de ces technologies fabuleuses suppose que l’on poursuive les découvertes sur le fonctionnement du cerveau normal, seules à même de nous permettre de comprendre et de corriger celui du cerveau "pathologique".

Dans le contexte que vous évoquez des accidents vasculaires cérébraux, il s’agit de vraies avancées thérapeutiques et chacun peut s’en réjouir. Maintenant, s’agissant de maladie d’Alzheimer, je suis beaucoup plus sceptique. L’enjeu pour cette maladie et pour les maladies neurodégénératives dans leur ensemble, est de trouver une solution qui "enraye" la mort neuronale, ce qui se retrouve dans une démarche que l’on désigne par la "neuroprotection". Beaucoup de travaux sont réalisés dans cette voie, mais rien de positif à cette heure… Si maintenant vous pensez qu’il soit possible de "rétablir" quelque peu la mémoire d’un patient atteint de cette maladie, alors oui la démarche scientifique est justifiée pour aller dans cette direction mais, en dépit d’un immense progrès sur les mécanismes de cette mémorisation, il est aujourd’hui impossible de "préserver" cette mémoire. Mais que ce soit impossible aujourd’hui ne signifie pas que cela sera encore le cas demain et les travaux doivent se poursuivre dans cette direction.

Les méthodes d’imagerie cérébrale pourraient permettre de "lire dans les pensées" les plus intimes des individus. Comment ?

Il est indéniable que le développement de l’imagerie cérébrale depuis une vingtaine d’années, et plus exactement de ce que l’on nomme l’imagerie cérébrale "fonctionnelle", a permis de faire progresser de façon quelque peu fulgurante les connaissances sur le cerveau humain. Plus exactement, ces méthodes expérimentales dites "non invasives" ou "peu invasives" (juste une petite injection intraveineuse dans le pire des cas) ont permis de remettre l’Homme au centre des recherches en neurosciences. Jusque-là, l’expérimentation était limitée à l’animal et l’abord des fonctions cognitives en était très limité. Ici le sujet humain, qu’il soit normal ou souffre d’une pathologie neurologique ou psychiatrique, va être soumis à des tests plus ou moins sophistiqués permettant l’exploration de ces fonctions cérébrales dites "supérieures", du langage à la mémoire en passant par les processus attentionnels…

Alors si nous visualisons les zones qui s’activent spécifiquement dans le cerveau d’un sujet en train de réciter un poème de Verlaine, il est de fait que nous accédons à un degré d’intimité qui permet de dire ce que vous mentionnez dans votre question. Beaucoup a été dit sur les fabuleux pouvoirs de cette imagerie. Et beaucoup a été dit de ses limites, en particulier lorsqu'il est imaginé pourvoir détecter le mensonge dans un prétoire dans une démarche de "neuro-justice". A ce stade, beaucoup de prudence s’impose face à l’utilisation de ces technologies et le mirage de l’image ne doit pas nous faire oublier notre ignorance et nous conduire à plus de modestie face à ces technologies, quelles qu’elles soient…

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