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Les pièges de la rigueur
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Une prochaine décennie sans croissance ?

Face à la crise, les États européens sont mis sous pression pour établir des politiques de rigueur. Mais ces dernières ne risquent-elles pas d'aggraver l'endettement ? Première partie de notre série en deux volets sur les remèdes à la crise européenne.

Jean-Luc Schaffhauser

Jean-Luc Schaffhauser

Jean-Luc Schaffhauser est ancien député européen apparenté RN.

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Atlantico : Partout en Europe, sous la pression des marchés, les États se lancent dans des politiques de rigueur. Or, avec les experts du CAPEC, vous affirmez, pour votre part, que ce choix sera impuissant à enrayer la crise, voire qu’il va même l’aggraver. Pourquoi ?

Jean-Luc Schaffhauser : Il faut de la rigueur, oui, mais pas rien que de la rigueur et pas n’importe laquelle ! À notre sens, la rigueur ne doit viser qu’à la réduction des dépenses non-productives et prendre garde à ne pas casser la consommation intérieure. Il faut une rigueur ciblée. Il ne faut pas qu’elle casse la classe moyenne qui tire la consommation et la production, sans quoi, le remède va aggraver les maux dont elle prétendait nous guérir. 

Pourquoi les marchés financiers sont-ils devenus si puissants ? C’est à cause de l’importance des besoins de financements générés par les déficits publics, à cause aussi du niveau de la dette en général. Mais c’est surtout parce que nous faisons beaucoup plus appel aux marchés financiers internationaux qu’à notre marché domestique pour financer ces besoins, ce que révèle le déficit de notre balance des paiements.

A l’exception du Japon ce sont majoritairement des capitaux étrangers qui financent les dettes publiques européennes par exemple. La rigueur, pour moi, ça n’est donc pas que l’austérité : c’est aussi ne pas dépendre d’un autre, d’un étranger pour me financer ; c’est donc une question de souveraineté !

Je ne nie donc pas qu’il faille une certaine rigueur car il est bien évidemment tout à fait sain de ne pas s’endetter pour assurer son fonctionnement courant. En revanche, la rigueur est un instrument à manier avec beaucoup de finesse et d’intelligence. En effet, malgré l’internationalisation de l’économie, aujourd’hui encore, la consommation intérieure tire la croissance à hauteur de 75 % du PIB.

Si, par la rigueur, on casse la croissance, alors les recettes fiscales baisseront également et, loin d’assainir les comptes et l’économie, on n’aura réussi qu’à créer une spirale récessive. Pis ! Dans le même temps, les importations, elles, ne baisseront quasiment pas car, sans même parler de l’énergie et des matières premières, un grand nombre de produits de première nécessité ne sont plus produits sur notre sol.

Y’a-t-il des leçons à tirer de la manière dont le problème de la dette grecque a été géré par Athènes depuis 18 mois ?

La voie qui a été choisie sous la pression des marchés financiers et des technocrates a été d’exiger des programmes drastiques de réduction des dépenses des plus pauvres plutôt que de miser sur l’augmentation des recettes fiscales en allant les chercher auprès de ceux ayant de l’argent…

Cela dit, notre propos ne vise pas à exonérer les gouvernements grecs de toute responsabilité.  Le problème de la Grèce est avant tout et le plus simplement du monde, un problème d’adéquation entre les dépenses et les recettes. Afin de rétablir l’équilibre, l’urgence aurait dû être de trouver des moyens d’augmenter les recettes qui ne cassent pas la consommation, en s’attaquant à l’évasion fiscale, aux revenus exonérés des plus riches.

D’autant qu’au cours des dix dernières années, l’État grec a considérablement alourdi ses frais de fonctionnement en augmentant le nombre de ses fonctionnaires et en augmentant aussi les salaires de ceux-ci, ce qui posait problème à un double titre.

D’abord parce qu’il s’agit là de dépenses non productives : la Grèce, comme d’ailleurs la France, n’avait pas besoin d’un nombre si important de fonctionnaires pour bien faire fonctionner l’État et ses services. Ensuite parce ces dépenses nouvelles n’étaient pas financées par des recettes suffisantes. En effet, en Grèce, les recettes fiscales représentent 10 % de PIB de moins qu’en France.

Plus qu’ailleurs en Europe, la Grèce est victime de l’évasion fiscale des plus riches et d’une multitude d’exonérations, comme celle dont jouit, par exemple, l’Église orthodoxe dans ses activités lucratives ou bien les armateurs.

Il faut bien voir que lorsqu’on réduit les dépenses de façon brutale, on provoque la destruction du marché intérieur, on casse la croissance, on affaiblit donc les recettes, si bien que les déficits ne sont, in fine, pas comblés du tout. Dans ces conditions, les marchés qui devaient être rassurés par les mesures prises se retrouvent d’autant plus inquiets et augmentent en conséquence les taux auxquels ils prêtent de l’argent … Au final, loin de se résorber, le poids de la dette s’aggrave encore. En d’autres termes, le malade n’est pas guéri et il meurt !

A l’inverse, l’augmentation des recettes peut être d’autant plus vertueuse si elle porte sur des réductions de niches fiscales improductives, l’évasion ou la fraude fiscale, rétablissant ainsi la justice nécessaire face à la rigueur.

A-t-on tiré les leçons des erreurs commises en Grèce dans les autres pays européens à leur tour sommés de choisir la rigueur ?

Pas du tout !  D’ailleurs le processus est déjà en cours au Portugal et en Italie où il n’y a pas de perspective de croissance et même en France où la croissance va être très faible ou nulle.

Ici aussi, le mécanisme infernal résultant des exigences des marchés financiers est à l’œuvre comme on le voit avec les menaces pesant sur la note attribuée aux pays triple A par les agences de notation. La logique folle qui résulte de ces choix se retrouve d’ailleurs dans les chiffres. 

Aujourd’hui, la dette française, d’un montant de 1700 milliards d'euros est soumise à un taux moyen de 3,5 %. Elle nous coûte donc environ 60 milliards d’euros, à ce jour. Mais si, demain, les marchés nous font payer notre dette à un taux de 5 %, elle nous coûtera alors 85 milliards par an.
 Si bien que les 30 milliards d’économie escomptés des plans de rigueur seront quasi intégralement absorbés par le renchérissement du coût de la dette résultant du manque de croissance. Dès lors, les efforts consentis ne l’auront été qu’en vain… Ou presque, car ils ne seront pas perdus pour tout le monde puisqu’en étant attribués au paiement des intérêts de la dette, ces 30 milliards d’économies seront, en fait, mécaniquement transférés vers le système financier et les spéculateurs qui s’enrichiront ainsi à bon compte.

Lire la 2ème partie de notre série en deux volets
sur les remèdes à la crise européenne :
Oui, il existe des solutions pour que l’Europe échappe à une décennie sans croissance !

Propos recueillis par Franck Michel

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