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Sexe, origine… Pourquoi les discriminations reviennent à 10 milliards d'euros par an à la France
©Filckr

Talent gâché

Selon Virginie Martin et son Think Tank Différent, la discrimination coûte très cher à la société française. Dix milliards d'euros de manque à gagner chaque année, car l'État investit et forme une jeunesse qui, faute d'embauche, ne contribue pas ensuite à produire la richesse du pays. Faute d'embauche, en grande partie due à une discrimination généralisée...

Virginie  Martin

Virginie Martin

Virginie Martin est Docteure en sciences politiques, habilitée à Diriger des Recherches en sciences de gestion, politiste, professeure à KEDGE Business School, co-responsable du comité scientifique de la Revue Politique et Parlementaire.

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Pour le collectif dirigé par Virginie Martin, directrice du Think Tank Different, la discrimination des individus coûterait cher à la France. Nourrie par la persistance d'un repli communautaire "mal défini" selon les auteurs, car "de fait, un nombre croissant de débats politiques, médiatiques et intellectuels" sont "saturés de représentations racialisées et souvent racistes du monde social ", ces discriminations toucheraient en grande partie les individus en provenance des banlieues défavorises. Si "à l’échelle d’une vie, on peut estimer qu’une personne possédant un bac + 5 ne peut faire valoir correctement ses diplômes, le manque à gagner pour un bac + 5 victime de discriminations est de l’ordre de 230 000  euros." Mais pour les auteurs de Talents gâchés, ces différences de salaires auraient aussi un coût pour l'Etat et ses recettes, car elles modifient directement ce que la collectivité aurait dû recevoir en matière de cotisations sociales, impôts et TVA. Sans compter le coût des études supérieures réalisées : "Sur toute une vie de travail", la manque à gagner serait de 260 000 euros pour l'Etat par individu.

Atlantico : Vous venez de publier avec la collaboration du Think Tank Different, que vous présidez, " Talents gâchés, le coût de la discrimination" aux éditions de l’Aube. Quel était votre point de départ de réflexion ? Quel est le poids financier aujourd’hui de la discrimination ?

Virginie  Martin : Nous sommes partis d’un constat : nous relions toujours argent et immigration. Généralement de manière plutôt négative. Dans le Think tank, nous travaillons beaucoup sur la question de discrimination. A titre personnel, j’ai travaillé sur le plafond de verre au féminin. J’ai bien vu que les plafonds de verre qui touchent les femmes au sein de l’entreprise coutent cher, car à un moment donné, il y a un retour sur l’investissement. Nous avons donc voulu travailler sur ce parallèle entre la discrimination des origines et la question du coût. Nous ne nous sommes pas contentés d’évaluer ces discriminations aujourd’hui, car cela a déjà été fait de nombreuses fois depuis des années. Nous nous sommes donc penchés sur leur coût au regard de ce que j’avais pu évaluer sur les femmes et en évaluant le manque à gagner. 

Aujourd’hui les discriminations reviennent à 10 milliards d’euros. Il s’agit d’un manque à gagner tellement important, que nous voulions faire quelque chose. Après avoir étudié ce manque, nous avons soumis à la fin de l’ouvrage quelques pistes de propositions.

Justement, la première mesure que vous proposez, est de changer le sens du mot banlieue. Qu’entendez-vous par là ?

Je tiens beaucoup au parallèle avec les stéréotypes féminin / masculin. A force de voir les femmes toujours comme des mamans ou des objet sexués, nous ne les voyons plus comme professionnelles. Cela engendre une série de conséquences, dont des salaires plus bas etc. Il en est de même pour les banlieues. A force de voir les banlieues, de les nommer comme telles et de dire "C’est là que se réunissent les groupes, les racailles, etc", finalement, cela forme des ilots complètement enclavés. Le premier ministre parlait d’arpatheid et je suis assez d’accord. Ce mot banlieue est aujourd’hui stigmatisé et stigmatisant. Stigmatisé d’abord, car une personne en fonction de son lieu d’origine va être mise au ban de la société, sera regardée différemment. Stigmatisant ensuite car la personne issue de ces quartiers, elle même aura intériorisé le stigmate. Nous savons que les stigmates jouent à la fois à l’intérieur et à l’extérieur. Par ailleurs, la question de la banlieue est importante. Je donne souvent cet exemple d’une fille qui habite à St Ouen et qui avait trouvé un travail dans le centre de Paris.  Elle expliquait qu’elle n’avait pas pu rester plus d’un mois, car cet univers n’était pas pour elle, et qu’au delà du périphérique, elle n’avait pas les codes.

Est-ce que changer un mot suffit selon vous à changer la réalité ?

Le fait de désenclaver cette banlieue de manière symbolique et linguistique me parait aussi important que de la désenclaver de manière géographique.

La réalité est faite de mots et les mots ont un sens. Si, lorsque je vois une femme, les représentations dominantes qui me viennent à l’esprit sont celles d’une prostitué, d’un objet sexuel ou d’une maman, comprenez bien que derrière il est difficile de voir une collaboratrice de travail. Si lorsqu’on parle de la banlieue, j’ai dans la tête les mots : délinquance, sous qualification, sortie de route… Bien sûr cela joue sur notre perception et notre comportement. Qu’est-ce-qu’une banlieue ? C’est toujours la périphérie d’un centre. Cela veut dire quoi ? Qu’il s’agit des colonnes françaises d’aujourd’hui ? Cela veut dire qu’il s’agit de ceux qui ne sont pas dedans ? Symboliquement, le mot est très très fort. Il est excessivement violent.

Si vous êtes à la banlieue de moi-même par exemple, qu'est ce que cela signifie ? Vous êtes mon objet secondaire ? Mon salaire d’appoint ?  Ma deuxième personne ? Vous ne pouvez pas être central dans ma vie si vous êtes ma banlieue.

Il faut travailler sur les représentations. Des initiatives, qui consistent à transmettre l’idée que les banlieues ont du succès ou que les banlieues ont du talent, travaillent à changer la question de la banlieue. Il faut également se poser la question de manière urbanistique. Le grand Paris aura dans ce cadre certainement un rôle à jouer.

Après les banlieues, vous soumettez en deuxième proposition, l’idée de supprimer le mot intégration du dictionnaire. Pourquoi ? N'est-ce pas dévier un problème que de bannir l'utilisation d'un mot ?

La question de l’intégration est toujours étrange. N’est-il pas surprenant de dire à des Français "intégrez-vous" ? Cette injonction à l’intégration me parait vraiment étrange. Est-ce que cela signifie qu’il y une citoyenneté à deux vitesses ? Je ne comprends pas. Je comprends que des personnes qui viennent d’arriver en France doivent s’intégrer, s’accommoder, apprendre la langue… Mais pour des Français qui sont dans l’hexagone depuis 2, 3 ou 4 générations… On leur demande de s’intégrer à quoi ? Vis-à-vis de quoi ne sont-ils pas intégrés ? Est-ce que ça veut dire par exemple que la pratique de l’Aid n’est pas légitime en France ? Est-ce que ça veut dire que par exemple regarder Al-Jahzeera à la télévision ne permet pas l’intégration ? Je ne sais même plus ce que cela veut dire, et nous disons sans-cesse à des Français "intégrez-vous". Mais intégrez vous à quoi ? On ne sait pas exactement.

Jean-Sebastien Ferjou avait titré sur mon dernier livre (Ce monde qui nous échappe, aux éditions de l’Aube) "Pleurez conservateurs (et surtout mâles blancs dominants) ce monde est en train de vous échapper" (voir ici). Mais non ! Ce n’est pas cela ! Nous souhaitons juste avoir de la place pour les autres ! L’intégration est une chose bizarre. Intégrez-vous : quelle drôle d’injonction lorsque vous êtes français. 

Nous ne valorisons pas les atouts des populations issues de l’immigration. Pourtant, elles me paraissent être très raccord avec le monde tel qu’il se présente. Aujourd’hui, si nous avions pris le bénéfice de ces immigrations maghrébines, même italiennes et portugaises, cela aurait été un atour majeur pour notre pays. Or, nous leur avons demandé d’abandonner leur culture et leur langue. Que ce serait-t-il passé si nous n’avions pas agit ainsi ? Nous résidons dans un pays monolingue. Les Français ne savent pas parler de langues étrangères, et nous ramons avec le peu d’Anglais que l’on tente de nous enseigner. Nous aurions pourtant pu bénéficier de ces différences apportés par l’immigration. Maintenant, nous souffrons de cette politique. 

Nous n’avons pas accepté les différences. Nous leur avons dit "intégrez-vous", ce qui signifie : "blanchis toi, rends toi invisible. Finalement, ne sois plus rien : je ne veux plus entendre parler de tes origines, je veux que tu sois français à 3000%. Tu sera comme cela et pas autrement, je ne veux pas savoir ni voir tes différences". Sauf que ce discours nous étouffe. Les différences existent, et sont souvent discriminatoires. A force de ne pas les regarder, nous nous sommes privés de talents considérables. Aujourd’hui, je vous défis d’apprendre l’arabe en France. Mis à part dans des très grands lycées parisiens, ou dans des associations inaccessibles, ce n’est pas possible. Est-ce normal ?

Vous accusez la société et principalement l’éducation nationale de transmettre des représentations très négatives de l’Islam, sur quels arguments vous fondez-vous ?

Avec le Think thank, nous avons constaté lors de nos études et des nuages de mots que nous avons réalisé, que l’Islam dans les manuels des professeurs est toujours lié aux attentats, au terrorisme… Il n’y a jamais l’Islam culturel, religieux. L’Islam n’est jamais vu comme cela.

Pourtant, dans les programmes d’histoire de 5ème, il y a justement toute une partie du programme sur l’histoire de l’Islam …

Je ne dis pas que cela n’existe pas, je dis simplement que ces nuages de mots ont été faits à partir de manuel de terminale et de lycée et que de manière dominante quand vous faites tourner le logiciel qui analyse les mots, ces idées arrivent en premier. Cela ne veut pas dire que nous ne parlons pas du tout du prophète et de l’histoire. Lorsque nous avons fait ce nuage de mots, nous avons été surpris de voir que l’Islam est associé à des cartes négatives, et nous pensons donc qu’il est nécessaire de créer d’autres story-telling. Cela peut s’avérer très utile. Pour la religion catholique, petit à petit une autre histoire a pu être racontée. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de terrorisme pour autant. Il y a un Islamisme certes. Je parle de l’Islam. 

Le problème, est qu’affirmer aujourd’hui que la question de l’Islam n’est abordée que comme une question négative est politiquement incorrect. Dire que l’Islam est aussi une religion l’est tout autant. Aussitôt, tout le monde vous rétorque "il y a du terrorisme". Tous les débats le confirment. Pour tous, l’islamisme est la continuité naturelle de l’Islam. Comme si l’intégrisme catholique était la continuité du catholicisme normal. 

Donc oui, nous voulons changer le story-telling qui est fait sur cette religion, car aujourd’hui les populations arabo-muslmanes en France sont violemment heurtées dans leur croyance et que la stigmatisation est très forte. Ces messages sont si difficiles à passer, car l’extreme droite a gagné une grande partie des représentation dominantes. Déjà dans les années 70, Jean-Marie Lepen expliquait qu’un million d’arabe revenait à un million de chômeur. Aujourd’hui il apparait davantage plaisant d’acheter du Zemmour, Onfray, Finkelkraut plutôt que d’acheter des réflexions plus complexes autour du vivre-ensemble. Cela devient insupportable.

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