Marion Maréchal-Le Pen - Henri Guaino, l’ébauche de flirt qui signe le réveil d’une droite anti-libérale et nationale 25 ans après la chute du mur de Berlin<!-- --> | Atlantico.fr
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Henri Guaino laisse entrevoir une rupture de digue entre les Républicains et le Front National.
Henri Guaino laisse entrevoir une rupture de digue entre les Républicains et le Front National.
©Reuters

Tombés du lit

En se déclarant "prêt à travailler" avec Marion Maréchal-Le Pen jeudi 29 octobre, Henri Guaino réveille une nouvelle droite qui s'oppose à celle incarnée par Wall Street, Christine Lagarde ou Alain Juppé. Une droite qui, à l'inverse de celle plus "traditionnelle", n'aurait pas que le capitalisme en guise d'horizon politique.

Julien Gonzalez

Julien Gonzalez

Julien Gonzalez est l'auteur pour le think tank Fondapol de "Trop d’émigrés ? Regards sur ceux qui partent de France" où il s'intéresse aux raisons et aux coûts de l'émigration des Français.

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Ivan Rioufol

Ivan Rioufol

Ivan Rioufol est essayiste et éditorialiste au Figaro. Il tient quotidiennement le blog Liberté d'expression. Il vient de publier un nouvel ouvrage, La guerre civile qui vient (Editions Pierre-Guillaume De Roux).

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Atlantico : En annonçant qu'il serait prêt à "travailler" avec Marion Maréchal Le Pen, Henri Guaino laisse entrevoir une rupture de digue entre les Républicains et le Front National. En quoi ce mouvement peut-il correspondre à l'élaboration d'une nouvelle, (ou de la restauration d'une ancienne) droite, déconnectée de l'offre actuelle ? Entre une droite qui se repose sur le tout économique, et une droite plus traditionnelle ?

Ivan Rioufol : Je pense qu'il est important de revenir sur ce qu'a pu dire Henri Guaino. Il s'est dit prêt à collaborer avec Marion Maréchal-Le Pen, il ne faut pas pour autant en faire un événement politique : il s'est aussi dit prêt à collaborer avec le Parti communiste. Fondamentalement, il s'ancre dans une approche républicaine et considère que Marion Maréchal-Le Pen fait partie de ce spectre républicain. Il est dans cette posture que François Hollande évoque régulièrement : celle de l'apaisement. A ceci près que si le Président ne cesse d'appeler à l'apaisement, et ne cesse d'inviter en permanence au dialogue avec tous les Français, il est le premier à tenir un discours de guerre civile verbale vis-à-vis du Front National. Nicolas Sarkozy tient un discours du même ordre quand il explique qu'il est en "guerre totale" avec le Front National. Il est temps d'arrêter avec cette hystérie anti-FN, anti-populiste et Henri Guaino ne dit que cela.

Pour l'heure, il n'a pas jeté de ponts entre sa droite, la droite traditionnelle ; et celle populiste, nationaliste de Marion Maréchal-Le Pen. Il a simplement invité à la discussion, invité à mettre fin à cette ambiance de guerre civile. Elle est en train d'exclure le Front National d'une manière d'autant plus ridicule qu'il semble être porteur, aujourd'hui, d'une grande vague  européenne qui se retrouve dans tous les mouvements souverainistes. L'histoire se retrouve dans ce genre d'événements. Par conséquent, ce serait nier l'histoire que de vouloir empêcher l'accès à la reconnaissance élémentaire du débat publique pour le Front national.

Le système politique est intellectuellement bloqué. C'est ce qui empêche un rapprochement des droites pourtant logique, souhaitable et qui, je le crois, finira par se faire. Dans les faits et à travers les hommes qui représentent ces partis, il est tout à fait impossible aujourd'hui. Ni Marine Le Pen, ni Nicolas Sarkozy ne le souhaitent aujourd'hui : ils sont dans une guerre de tranchées absurde, qui déconcerte tous les électeurs. Au final, ce seront ces derniers qui forceront le rapprochement, une fois qu'ils auront pris la mesure de la déconsidération du discours politique, ainsi que celle de l'inefficacité des partis politiques eux-mêmes. A partir de quoi, ils forceront le discours politique, les partis, leurs dirigeants, à s'ouvrir à ce que eux désirent. Et quand on prête l'oreille à ce que souhaitent les adhérents et les sympathisants des Républicains ou du Front National, on réalise qu'une majorité d'entre eux souhaiteraient qu'ils se parlent, voire qu'ils se rassemblent. Je ne visualise pas, par ailleurs, où se situerait l'outrance de voir se rassembler une partie de ces deux droites. Particulièrement en sachant qu'après le congrès d'Epinay, François Mitterrand a provoqué le rassemblement du Parti communiste (qui avait un passé autrement plus dramatique et plus mortel que le FN) et du PS. Tous les crimes communistes n'ont pas empêché François Mitterrand d'avaler le parti du même nom. Je suis de ceux qui ont toujours pensé que la droite, plutôt que de se soumettre à la gauche, aurait dû réaliser ce même processus d'avalement du FN, plutôt que d'alimenter sa radicalité et sa radicalisation. Cette guerre de tranchées absurde ne profite à personne d'autre qu'au Parti socialiste. C'est pour cela que la gauche sermonne la droite pour qu'elle ne s'avance pas vers le Front National : une droite désunie reste le meilleur moyen pour François Hollande d'espérer gagner en 2017. Il faut arrêter de faire le jeu du Parti socialiste.

Ce rapprochement finira par se faire. Il est logique. Encore une fois, ce sont les égos, les personnalités politiques, les partis en place, qui ne voient pas que le monde a changé. Chaque semaine apporte son concours d'évidences : un vent souverainiste souffle et ne demande qu'à être représenté par des courants politiques. C'est le cas, en Europe de l'Est notamment. Aujourd'hui, en France, c'est par le Front National qu'il est représenté. Mais si les Républicains se décidaient à entendre ce courant-là, ils pourraient également le représenter. Or, à vouloir faire du FN l'ennemi prioritaire, ils font également de ses soutiens autant d'ennemis invisibles. Le vrai ennemi de la France, ce n'est pas le Front National, c'est l'islamisme radical contre qui la France est en guerre.

Julien Gonzalez : La sortie d’Henri Guaino a été abondamment commentée, mais il ne faudrait pas oublier que dans la même interview (voire la même phrase) il dit également être prêt pour un travail avec M. Chassaigne (président du groupe communiste à l’Assemblée nationale) ou des parlementaires socialistes, et qu’il nie toute possibilité de participer à un éventuel gouvernement frontiste. En voulant témoigner d’une certaine ouverture d’esprit, le voilà qualifié de passerelle entre Les Républicains et le FN !

Cela dit, il serait faux de nier un certain rapprochement idéologique entre la droite dite "républicaine" et la droite dite "extrême". Cette situation a selon moi deux explications : le naufrage des "idées démocratiques devenues folles" dont parle Finkielkraut, et le nouveau visage du FN version Marine Le Pen. La première permet de comprendre la droitisation de l’électorat ; la seconde entraîne la comptabilité du discours FN avec le jeu démocratique français. Partant de là, de nombreux constats peuvent être partagés sur les questions identitaire, sécuritaire, sur le terrain des valeurs. Est-ce être réactionnaire ? Peut-être simplement l’expression d’un bon sens partagé. Mais pour constituer un ensemble homogène, il faut une plateforme de propositions communes sur l’Europe, la place du travail, le rôle de l’Etat dans l’économie... Qui peut voir un début d’homogénéité entre la droite et le FN sur ces sujets ?

Historiquement, quelles sont les causes qui ont pu provoquer cette "scission" ou cette disparition de cette droite ? Ce que Patrick Buisson appelle "la droite la plus pure" c'est à dire "la droite contre-révolutionnaire et le légitimisme", sur fond de catholicisme social. Ceci en opposition à une droite post-chute du mur de Berlin, portant le capitalisme comme seul horizon possible ?

Ivan Rioufol : Sans être historien, je crois qu'on peut malgré tout attribuer une grande responsabilité à Jean-Marie Le Pen. L'ensemble des discours qu'il a pu tenir, toutes ces provocations inutiles, sur la collaboration, la guerre d'Algérie… Cette manière qu'il avait d'affronter trop crânement le politiquement correct en tenant des propos au mieux douteux, au pire insupportables comme sur les chambres à gaz ; toute cette posture l'a rendu répulsif.

Toute une partie de la droite qui aurait pu se reconnaitre dans ce qu'il disait ou dans ses alertes (sur la montée de l'immigration, celle de l'islam) ne s'est pas associée avec lui en raison de ses discours qui, au fond, l'ont rendu quelque peu inaudible. Le Front National représenté par Jean-Marie Le Pen a été le premier responsable de cette fracture de la droite.

La deuxième grande part de responsabilité échoit bien évidemment au grand conformisme politique des années 80. La droite s'est, de plus en plus, rassemblée autour de concepts imposés par la gauche, dans une sorte de mimétisme impensé. L'aboutissement de ce courant s'est vu dans l'ouverture à gauche tentée par Nicolas Sarkozy pendant son mandat de Président de la République. Il continue, en outre, à s'ouvrir aux gens de gauche plutôt qu'à son camp quand il donne des gages à Jean-Christophe Cambadélis vis-à-vis de Marine Le Pen chez Des Paroles et des Actes ou de Nadine Morano quand il la fustige pour un mot de trop, maladroit, qui ne méritait pas une telle sanction. La droite d'aujourd'hui est devenue honteuse, par la force des choses. Dans les années 90, le RPR tenait le discours du Front National d'aujourd'hui.

Julien Gonzalez : La droite rêvée de Patrick Buisson est quelque chose qui ressemble au maurrassisme et à la "Révolution nationale", celle de Guaino renvoie à la République des instituteurs, Marine Le Pen se drape dans le laïcisme le plus intransigeant... Tous puisent leurs inspirations dans le passé mais lequel ? Qu’entend-on par "vraie" droite ? Ce qui est en jeu, c’est la mort de la droite gaulliste, qui n’a pas été remplacée doctrinalement, et dont tant de Français – consciemment ou pas – sont aujourd’hui orphelins.

Je vois deux événements majeurs qui peuvent expliquer la perte de repères de la droite contemporaine : mai 68 et le tournant libéral des années 80. Le premier est une incontestable victoire idéologique de la gauche politique et sociétale. L’héroïsme gaullien, les valeurs chrétiennes, la morale conservatrice, face à une sorte de concurrence idéologique déloyale : comment la contrainte au service d’un grand projet collectif pouvait-elle lutter face à la promesse d’une jouissance individuelle sans entrave ? Le camp du bien était né – l’égalitarisme, l’universalisme, l’antiracisme – complexant pour plusieurs décennies la droite intellectuelle.

Le deuxième élément est l’avènement du libéralisme version Reagan et Thatcher avec, concomitamment, l’essor de la construction européenne et du capitalisme mondialisé. Cette fois, c’était la souveraineté nationale et le patriotisme qui étaient ringardisés par les événements, ôtant au gaullisme et à la droite leur plus flamboyant atout.

Dans un ouvrage récent de Geoffroy Lejeune, le rapprochement de Marion Maréchal et de Henri Guaino était déjà évoqué, en soutien de l'apparition de cette "union des droites" (portée par Eric Zemmour). En quoi cette prédiction semble aujourd’hui plus probable ?

Ivan Rioufol : Il est peu probable qu'Eric Zemmour soit Président de la République, et je ne souhaite pas tomber dans un jeu de prédiction. Néanmoins, il faut toujours prendre un peu de distance quand on prétend observer ce genre de problématique. Entre un Chevènement, un Guaino, un Philippot, un Dupont Aignan, un Philippe de Villiers, une Marine Le Pen ou une Marion Maréchal Le Pen, on constate qu'il existe une espèce de filiation, dans l'intérêt que toutes ces personnalités portent à la France, à la préservation de la Nation, de son homogénéité, de son histoire, de sa culture… Ces gens-là n'ont pas vocation à se tirer dans les pattes et ils le font de moins en moins. Guaino montre qu'il n'a pas envie d'un combat avec eux.

Cela étant, je crois que pour l'instant l'histoire est trop figée. Les rapprochements se feront par la force des électorats et des opinions. Ils ont déjà obligé les partis politiques à bouger, au travers de pressions. Les partis politiques sont aujourd'hui déconsidérés. Il n'y a plus que 7% des Français qui font encore confiance aux partis : il est tout à fait paradoxal de voir que, à l'instar des syndicats dans les entreprises, ce sont encore eux qui bloquent les réformes nécessaires, les bouleversements inévitables. Nous arrivons aujourd'hui à un bouleversement politique nécessaire, qui sera celui d'une droite souverainiste qui se réconciliera. Cela se fera vraisemblablement après 2017. J'espère simplement que cela ne favorisera pas une potentielle victoire de la gauche aux prochaines présidentielles, qui reste possible.

Julien Gonzalez : L’hégémonie intellectuelle de la gauche est aujourd’hui clairement remise en cause, par son propre jusqu’au-boutisme. C’est un peu comme un sportif de haut niveau qui pêcherait par excès de confiance. Toujours persuadée d’être porteuse des "bonnes" valeurs, elle ne veut pas voir les conséquences désastreuses de leurs excès ; l’émancipation individuelle qui fait place au misérabilisme, l’égalité fourvoyée en égalitarisme, l’autorité de l’Etat sacrifiée au nom de l’humanisme. Ajoutez-y la grave crise identitaire que traverse notre pays et les conditions pour l’émergence d’un bloc "contre" sont réunies.

Les discours compassionnels qui vrillent en justification dialectique du pire et en détestation du roman national, l’ouverture aux autres qui se confond en haine de soi… C’est une nouvelle ligne de fracture dans la société française, un nouveau clivage. Selon ce dernier, les électeurs de droite – et par ricochet les dirigeants des Républicains – vont sembler plus proches du FN que du PS et de la gauche en général. Mais on reste une fois de plus au niveau des constats.

Un tel mouvement est-il aujourd'hui susceptible de s'intégrer dans la France actuelle ? Ou S'agit-il de pure nostalgie d'une droite révolue ? 

Ivan Rioufol : Je crois qu'il existe effectivement une demande. Partout en Europe on constate une demande de protection de l'identité européenne. Cette crise identitaire, que je décris depuis des années maintenant, s'impose partout. Même à gauche, alors que celle-ci ne voulait y voir qu'une crise économique et sociale. Il s'agit d'une crise fondamentalement identitaire et elle oblige les partis à lui répondre. Actuellement, le seul parti à y répondre en France, c'est le Front National. Je crois que laisser ce monopole au FN est idiot, mais si les Républicains et le Parti Socialiste ne comprennent pas ceci, ils laisseront probablement un boulevard à Marine Le Pen seule. Peut-être peut-elle, dès à présent, gagner seule ces présidentielles. Plusieurs font ce pronostic ; pour ma part je n'en sais rien, mais j'en doute. Ce qui est certain, c'est qu'elle est aujourd'hui portée par l'histoire et que l'histoire va dans son sens. Il faut que la politique sorte sa tête du sable et qu'elle constate les raisons qui font que le Front National ne cesse de prendre du dynamisme aujourd'hui.

Julien Gonzalez : Je ne crois pas du tout à l’émergence d’un grand parti de droite allant des Républicains au Front national. Cette droite n’a d’ailleurs jamais existé, ça a été les royalistes contre Napoléon, Barrès contre Maurras, De Gaulle contre Pétain ou encore De Gaulle contre l’extrême-droite pro-Algérie française.

Aujourd’hui, la première source d’incompatibilité est clairement économique. Le Front national est favorable à la retraite à 60 ans et 40 annuités, à l’encadrement des prix, à la sortie de l’euro ou encore aux 35h. Le Front national de Le Pen père est ici méconnaissable. Perçu comme ultra-libéral dans les années 80 et 90, le voilà "mélenchonisé", malgré les dénégations de la petite-fille. Ce virage constitue sans doute la plus grave faute de Marine Le Pen et de Florian Philippot ; ils ont dressé eux-mêmes une nouvelle digue, infranchissable pour une grande partie de leur électorat potentiel.

Mais attention à ne pas croire que les différences entre les deux formations s’arrêtent là. L’image du FN a clairement changé, mais qu’en est-il réellement du parti, de ses militants, de ses fondements idéologiques ? Regardons simplement la gestion des villes FN ! 20% des élections annulées par la justice, collaborateurs venant de la droite radicale et identitaire dans les cabinets des maires, décisions idéologiques grotesques (circulaire interdisant l’usage d’une autre langue que le français pour les fonctionnaires municipaux dans les 13ème et 14ème arrondissements de Marseille, œuvres d’art repeintes en bleu-blanc-rouge à Hayange)... Nous voilà donc replongés 20 ans en arrière, à Vitrolles, Marignane et Toulon, précisément la page que Marine Le Pen voulait tourner.

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