Derrière la plainte d’un imam niçois pour diffamation, l’ambiguïté récurrente d’un certain nombre de représentants de l’islam français<!-- --> | Atlantico.fr
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Moi, islamiste ?

Récemment, Abdelkade Sadouni a porté plainte contre Marion Maréchal-Le Pen, jugeant ses tracts diffamatoires. Il y est, en sa qualité d'imam de Nice, qualifié d'islamiste en raison de ses contacts avec un des membres des Frères Musulmans. D'autres imams, comme celui de Bordeaux présentent également des connexions étranges avec des personnalités sombres, comme Alain Soral.

Olivier Roy

Olivier Roy

Olivier Roy est un politologue français, spécialiste de l'islam.

Il dirige le Programme méditerranéen à l'Institut universitaire européen de Florence en Italie. Il est l'auteur notamment de Généalogie de l'IslamismeSon dernier livre, Le djihad et la mort, est paru en octobre aux éditions du Seuil. 

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Atlantico : Récemment l'imam de Bordeaux, Tareq Oubrou, a affirmé ses prises de positions contre l'imam de Brest, rendu tristement célèbre par ses plaidoyers radicaux, parfois presque fanatisés. Dépeint comme un imam apprécié et honorable, Tareq Oubrou est pourtant en contact avec Alain Soral. En outre, d'autres imams comme Abdelaker Sadouni (Nice), sont connus pour être en liens avec des personnages obscurs comme Hani Ramadan. Dans quelle mesure est-ce que cette ambiguïté qu'ils entretiennent peut-elle poser de véritables problèmes ?

Olivier Roy : Les Imams sont comme les hommes politiques, ils sont par définition au croisement de réseaux complexes et disposent d’un carnet d’adresse dont l’étendue est aussi en rapport avec leur notoriété. Les imams sont aussi comme leurs collègues des autres religions : ils sont peu nombreux à défendre une théologie libérale. Mais des personnages qui défendent une théologie très conservatrice et une vision de la femme qui heurte laïcs et libéraux ne sont pas pour autant des radicaux politiques (la réflexion vaut aussi pour l’Eglise catholique, les rabbins loubavitchs ou certains pasteurs évangéliques). Il faut admettre que des religieux aient une vision conservatrice de la famille au nom de la fidélité à la tradition. Ce n’est pas une ambiguïté. Les grandes religions aujourd’hui ne partagent pas les valeurs libérales dominantes, on le voit avec la Manif pour Tous. Il n’y a pas de raison de distinguer ici les Imams.

Les liens entre l’imam de Bordeaux et  Soral passent plus par l’entourage du premier que par lui-même (pas du tout fasciné par l’antisémitisme de Soral). Mais plusieurs de ses collaborateurs ont cherché à réconcilier Islam et nationalisme français : leur passage par Soral ne me paraît pas évident, mais je ne pense pas que ça va durer.

Que peuvent traduire les propos antisémites, ou relavant du salafisme ? Quels sont les mécanismes qui poussent certaines "autorités" religieuses musulmanes à glisser vers un extrême ou un autre ?

Le salafisme est un courant important, même s’il est minoritaire ; c’est une théologie qui se réduit avant tout à la norme et qui en soi relève aussi de la liberté religieuse, même si les conséquences sur le plan de la convivialité sont bien sûr négatives ; mais vivre sa foi entre soi n’est pas un délit (sinon les monastères seraient interdits). L’antisémitisme par contre est un discours de haine qui peut avoir d’autres motifs (conflit israélo-palestinien, antijudaïsme religieux, qui est d’ailleurs plus récent dans l’islam que dans le Christianisme, adhésion aux mythes antisémites de l’occident contemporain, théories du complot etc.). C’est quand l’antisémitisme se donne des justifications religieuses que la responsabilité des imams est en jeu. Et certains dérapent.

Abdelaker Sadouni se présente comme un pilier empêchant les jeunes de basculer. Quel est réellement le poids de ces imams ? Comment peuvent-ils influencer la jeunesse musulmane ?

Les imams ont beaucoup moins de poids qu’on ne le dit, d’abord parce que la fréquentation des mosquées est très minoritaire parmi les jeunes musulmans de France. Ceux qui font un retour à la foi vivent plutôt entre "pairs" et cherchent le "vrai" sur Internet ou à travers des gourous auto-proclamés. Si la plupart des imams sont étrangers c’est justement parce qu’il y a une crise des vocations chez les jeunes français : imam n’est pas un "métier" valorisant. Le vrai pouvoir est d’ailleurs plus souvent tenu par le président de l’association islamique locale que par l’imam. C’est aussi pourquoi on assiste à une sorte de concurrence entre les imams pour attirer l’attention des pouvoirs publics et de médias : "soutenez moi sinon les jeunes vont partir au jihad". Mais ils n’ont pas les moyens de retenir des jeunes qui ne les écoutent pas. Par contre les imams peuvent contribuer à structurer les musulmans croyants afin de travailler à leur insertion comme communauté de foi, sous la forme d’une sorte de "notabilisation" d’un clergé informel.

Dans quelle mesure est-ce que la présence de ce genre d'individu arrange-t-elle, néanmoins, les médias et la politique ? N'ont-ils pas besoins de figure "stars" en ce qui concerne l'islam ? Pourquoi, et pourquoi n'est-ce pas le cas pour d'autres religions comme chez les catholiques ou les juifs ?

Bien sûr les médias et les politiques ont besoin de stars, et ils en trouvent facilement chez les imams. Ce n’est pas le cas pour l’Eglise catholique car elle est une institution hiérarchisée et fermée. Le prêtre qui s’amuserait à faire l’intéressant ne fera pas long feu et l’Eglise saura signifier au monde extérieur qu’il ne représente pas l’Eglise (qu’on se souvienne de Mgr Gaillot, évêque d’Evreux dans les années 1980). Sans être aussi hiérarchisé le clergé israélite a endossé la forme consistoriale voulue par Napoléon Bonaparte et il y a donc un consistoire et un grand Rabbinat qui ont le monopole de fait du religieux. De plus les organisations juives laïques se sont fédérées (en partie) dans le cadre du CRIF : cela n’est arrivé qu’au milieu du XX ème siècle. C’est cette voie-là qui s’ouvre à l’islam, mais pour cela il faut l’émergence d’une génération de notables issus des nouvelles classes moyennes d’origine musulmane. C’est en route, mais l’imam folklorique, mal fagoté et à fort accent a encore des beaux jours devant lui.

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