Obama est-il en train de changer de stratégie en Syrie ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les troupes américaines devraient s'avancer au plus près des lignes de front en Irak et en Syrie.
Les troupes américaines devraient s'avancer au plus près des lignes de front en Irak et en Syrie.
©Reuters

Lignes de front

En début de semaine, les plus proches conseillers de la sécurité nationale ont recommandé au Président Obama des mesures qui permettraient aux troupes américaines d'être au plus près des lignes de front en Irak et en Syrie.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : Comment un tel changement de stratégie américaine en Syrie pourrait-il se mettre en place ?

Alain Rodier :Il convient de reprendre la stratégie américaine sur les trois principaux théâtres de guerre où les États-Unis sont engagés : la Syrie, l’Irak et l’Afghanistan. Le constat est amer : elle n’a pas marché jusqu’à maintenant. Certes, sur le front syro-irakien qui ne peut être dissocié Daesh agissant à cheval sur ces deux États, les bombardements ont permis dans un premier temps de bloquer les offensives des salafistes-djihadistes qui semblaient ne pas pouvoir être stoppées. Mais depuis le début de l’année, la guerre de mouvements s’est transformée en une guerre de positions, l’"État Islamique" gardant la maîtrise d’un important territoire qu’il gère désormais à sa mesure.

En Afghanistan, il ne fait guère de doutes qu’une fois le dernier soldat américain parti, les taliban vont reprendre l’offensive (ce qu’ils ont d’ailleurs déjà commencé à faire). Kaboul risque de tomber dans les mois qui suivront. En Irak et en Afghanistan, cela est la résultante de la faible valeur combative des forces armées locales qui ne sont pas assez motivées malgré la formation qu’elles ont reçue de la part des États-Unis. La corruption y est pour beaucoup.

En Syrie, c’est différent puisque le pouvoir - il convient de le rappeler honni par beaucoup mais qui reste "légal" au regard du Droit international - est combattu par des rebelles dont certains sont soutenus par les pays sunnites et les pays occidentaux (Daesh est devenu infréquentable).

Ne pouvant continuer sur cette lancée qui est vouée à l’échec, le président Obama a demandé à son secrétaire État à la défense, Ash Carter, de lui présenter plusieurs options destinées à rectifier le tir avant la prochaine élection présidentielle. Comme dans tous les pays démocratiques, les états-majors préparent toujours des plans à présenter aux dirigeants politiques qui décident en dernier ressors. En l’occurrence, l’administration Obama s’était engagée à retirer les boys d’Afghanistan, d’Irak et de ne pas en déployer ailleurs. Contraint par l’évolution des situations, Obama a déjà décidé de ne pas plier bagages d’Afghanistan à la fin 2016 comme cela était prévu. En Irak et en Syrie, l’armée américaine intervient dans les airs et une aide technique et logistique est apportée à l’armée irakienne et aux milices kurdes en Irak et en Syrie. Les forces spéciales ont effectué des missions de type hit and run mais, pour l’instant, on les compte sur les doigts de la main. En Irak, Washington se retrouve de fait allié à Téhéran

La solution qui est proposée au président américain (et qu’il n’a pas encore entériné) consiste à être plus présent au sol et à intensifier les frappes (qui ont connu une pause en Syrie suite à l'intervention russe). En Irak, des conseillers devraient accompagner l’armée irakienne au niveau de la brigade pour tenter de reconquérir Ramadi, une ville symbolique située dans l’ouest du pays. En Syrie, des militaires US devraient appuyer la coalition des "Forces démocratiques syriennes" (FDS) qui regroupe les Unités de protection du peuple kurde (YPG/YPJ), le bras armé du parti de l'Union démocratique (PYD) proche du PKK, et des forces arabes et Syriaques. L’espoir un peu fou est de lancer une offensive vers Raqqa, la "capitale" de l’EI située à une centaine de kilomètres au sud des lignes kurdes. Dans les deux cas de figure, l’appui aérien devrait se faire en soutien direct des troupes au sol, ce qui est tactiquement plus efficace mais aussi beaucoup plus risqué pour les pilotes.

Barack Obama avait souhaité que des recommandations lui soient soumises. A-t-il décidé de changer sa stratégie en Syrie ? Pourquoi ? Dans quelle volonté du gouvernement ce plan s'inscrit-il donc ?

Comme je l’ai relaté ci-avant, la stratégie américaine est un échec donc, pour Washington, il convient d’en changer. Mais il ne faut pas se faire d’illusions. Comme cela est dit dans le milieu militaire français "en matière de solutions, il y a la bonne, la mauvaise et celle de École de Guerre". Définitivement, il n’y a pas de bonne solution militaire à court ou moyen terme.

L’arrivée de la Russie directement sur le théâtre syrien a aussi constitué un choc pour les États-Unis. Il faut réagir pour donner l’impression d’obtenir des résultats car l’armée russe, elle, est très active. Cela ne veut pas dire qu’elle est beaucoup plus efficace. A savoir qu’elle a effectivement empêché les forces rebelles du mouvement l’"Armée de la Conquête" (une créature d’Al-Qaida "canal historique") de débouler sur Lattaquié et de prendre une partie de la côte méditerranéenne syrienne ce qui aurait sonné le début de la fin de partie pour le régime en place à Damas. Mais les villes d’Alep, Homs, Hama et Damas sont toujours menacées. De plus, les contre-offensives gouvernementales syriennes appuyées par les milices chiites piétinent malgré l’aide directe fournie par l’aviation russe. Les pertes sont conséquentes, les Iraniens officialisant la mort de nombreux pasdarans de la forces al-Qods dans la région d’Alep (depuis 2011, Téhéran a perdu quelques dix officiers généraux sur le front syro-irakien).

Alors que les USA avaient, il y a encore plusieurs mois, l'intention de quitter le terrain au fur et à mesure et de retirer ses forces notamment en Afghanistan, comment est reçu ce changement de stratégie par les différentes forces présentes, dont la Russie ?

Il est vrai que les rebelles de tous poils mettaient dans le départ des forces américaines de grands espoirs. Mais cela ne veut pas dire qu’ils allaient remporter la "victoire finale", même la prise de Kaboul ne voulant pas dire la mainmise sur toute l’Afghanistan. On allait pouvoir s’étriper joyeusement entre soi et des chefs de guerre allaient enfin régner sur des bouts de territoires comme au bon vieux temps. Le fait que les Américains s’accrochent -et même qu’ils deviennent plus agressifs- va compliquer la donne mais, je me répète, cela n’apportera pas de solution viable dans un avenir prévisible.

Quelles seraient les conséquences de l'application de ce plan ? 

Si le président Obama en prend la décision, il devrait y avoir un renforcement des troupes sur le terrain et un engagement plus offensif bien qu’il ne soit pas envisagé pour l’instant le déploiement d’unités régulières comme lors de la guerre de 2003 en Irak (mais les plans existent). Plusieurs problèmes majeurs sont prévisibles.

La Turquie ne veut pas entendre parler d’une zone autonome kurde au nord de la Syrie. C’est d’ailleurs pour cette raison que les "Forces Démocratiques Syriennes" (FDS) ont été créées même si, en fait, de 80 à 90% de ses troupes sont kurdes. Ankara pourrait toutefois prendre des mesures de rétorsions comme d’interdire de nouveau l’accès à ses bases à l’aviation américaine.

Une intensification des frappes va immanquablement conduire à une augmentation des pertes collatérales avec les conséquences en matière d’image que cela représente dans les populations sunnites et sur la scène internationale.

Daesh appelle de ses vœux l’intervention US pour se livrer à un "mano à mano" avec le "grand Satan". Son rêve est de faire des prisonniers américains et de diffuser leur exécution (la plus horrible possible) sur le net. En passant, les aviateurs russes courent aujourd’hui le même danger surtout que certains de leurs vols ont lieu à très basse altitude. Partout, les intérêts des différents acteurs sont divergents.

En conclusion, les solutions ne pourront qu’être politiques (parfois et peut-être souvent suivies de l’emploi de la force, mais elle sera alors commune ou acceptée par tous). En Afghanistan, il faut discuter avec les talibans, l’Inde, l’Iran et le Pakistan. Sur le front syro-irakien, il convient de n’exclure personne parmi les acteurs régionaux. Au-dessus, Moscou et Pékin restent incontournables. A bien y réfléchir, les seuls dont on pourrait se passer semblent être les Européens et là, je plaisante (à peine).

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