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Qui des États ou des agences 
de notation sont les plus vicieux ?
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Relations AAAmbiguës...

Standard & Poor's a annoncé mercredi qu'elle avait placé la note AAA de l'Union européenne sous surveillance avec implication négative. De son côté, l'Autorité européenne des marchés financiers a indiqué qu'elle enquêtait sur les agences de notation et qu'elle pourrait leur imposer de lourdes sanctions. Le "match" a vraiment commencé...

Driss Lamrani

Driss Lamrani

Driss Lamrani a exercé pendant plus de 10 ans les métiers de banquier d'affaires, d'opérateur de marché sur les produits dérivés et d'analyste financier au sein de divers établissements bancaires. Il a aussi participé à plusieurs ouvrages, en tant que spécialiste des opérations de marché.

Il a récemment publié, aux Editions Mélibée, un ouvrage intitulé "Vers de nouvelles bulles spéculatives... Comment les éviter ?", préfacé par Jacques Attali. Il est actuellement  stratégiste et économiste au sein d'un fonds alternatif à Londres spécialisée dans le Global Macro.

Il s'exprime sur Atlantico à titre personnel, et ses propos n'engagent en aucune façon son employeur.

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La démarche entreprise par l'AEMF (Autorité européenne des marchés financiers) est similaire - à se méprendre sur les motivations des régulateurs - à l'action de l'administration fédérale américaine suite à l'abaissement de la notation des États-Unis.

Les conseils n’engagent que ceux qui les écoutent...

D'un côté, les régulateurs considèrent que les agences sont des acteurs financiers particuliers. La prépondérance de leur avis nécessite qu’il soit juste et objectif. Ils requièrent en quelque sorte que l’avis des agences présente une vérité immuable, sinon « La Vérité ». Les régulateurs demandent à ces agences de tenir compte de l’impact des conséquences d’une modification de notation.

De l'autre, les analystes financiers de ces agences s'appuient sur des éléments quantitatifs et qualitatifs, disponibles à une grande majorité des commentateurs, pour établir une évaluation de la probabilité de défaut à un certain horizon. Ces analyses sont en règle générale accompagnées d’avertissements. Ceux-ci rappellent que les analyses sont basées sur des informations puisées des sources les plus fiables. Cependant, ils mettent un bémol sur la destination de l’analyse en indiquant qu’il s’agit d’un avis, et qu’il ne constitue en aucun cas une sollicitation de vente, d’achat ou d’investissement vis à vis des investisseurs qui suivent les conseils.

La traduction de ces avertissements en langage commun donne la pensée populaire bien connue « les conseils n’engagent que ceux qui les écoutent ».

Force est de reconnaître que l'avertissement est suffisamment clair pour éviter toute méprise de la part de l’utilisation des notations. Cependant, la méprise vient de la prépondérance de l'avis de l'agence dans la conduite des affaires, compte tenu notamment du fort lien de subordination des régulations du secteur financier (réglementation européenne de la finance avec Bâle III, réglementation européenne de l'assurance avec Solvency II, etc.) vis-à-vis des notations.

Le savoir prêté aux agences de notation, ou l'antinomie avec l'économie de marché

L'enchevêtrement de la notation et des normes prudentielles, justifie le privilège donné aux agences de notation, qui sont considérées comme des détenteurs d'une vérité universelle.

Ce savoir excessif prêté aux agences est d’ailleurs antinomique avec l'économie de marché. En effet, il semble important de revenir sur la définition de la réalité dans une économie de marché. La vérité du prix d'un actif est la résultante de la confrontation d'agents économiques qui ont des vues différentes. Les arguments des uns et des autres déterminent le niveau du prix d'un actif, et conséquemment donne une indication sur la solvabilité d'un émetteur (compte tenu du lien entre le prix d’une obligation et le risque de défaut que représente l’émetteur de celle-ci).

Les agences de notation sont des thermomètres. Il faut raison garder sur l’absolue vérité délivrée par ce thermomètre. Nous ne pouvons pas, en toute honnêteté intellectuelle, considérer cet indicateur comme biaisé lorsqu’il indique de la fièvre (justification des appels des régulateurs européens depuis l’annonce du risque d’abaissement de la notation de 15 états membres de la zone euro). Nous ne pouvons pas non plus considérer l’indicateur comme fiable à 100% lorsqu’il fournit une très bonne notation, malgré une solvabilité perdue depuis plusieurs années en raison de déficits cumulés, de choix budgétaires en déconnection totale avec les règles de Maastricht, d'accroissement de la dette, etc. Il fallait peut-être se souvenir de l’échec des agences à anticiper les risques sur les dettes subprimes, pour s’interroger quant à la réalité du triple A des pays membres depuis plusieurs mois.

La relation schizophrénique des États aux agences de notation

Depuis juin 2011, la dégradation de la solvabilité des états membres de la zone euro est d'ores et déjà actée dans la réalité des conditions de financement des états. La France à titre d'exemple, paie quelques 1,5% de taux d'intérêts supplémentaires depuis juin 2011. L'Allemagne connaît une dégradation similaire depuis plus récemment. D’ailleurs, dès l’annonce de la création du renforcement des conditions financières du Fonds européen de stabilité financière (qui devait maintenir une notation AAA pour fonctionner correctement et aider les pays en difficulté), les conditions de financement de ce fonds à 10 ans étaient plus proches d’un triple B qu’un triple A.

La relation des États avec les agences semble schizophrénique. D’un côté, ils exigent d’elles des notations externes, indépendantes, utilisées pour la régulation de tout le secteur financier mondial. De l’autre, ils souhaitent, en même, que leurs annonces soient tempérées en fonction des conditions de marché. Cette vision est antinomique avec l’objectif des agences, celui d’alerter les investisseurs sur la hausse du risque de défaut des États de la zone euro. L’annonce de mise sous surveillance de 15 États est décriée par les régulateurs, malgré l’accroissement du risque de défaut de ces états après l’échec de l’adjudication (fait d'adjuger des obligations souveraines) allemande.

Quelles que soient les conséquences d’actes des agences, celles-ci doivent, par respect de l’engagement d’indépendance et du mandat vis-à-vis de leurs clients, répondre aux craintes croissantes des marchés financiers après l’échec cuisant du sauvetage de la Grèce en juillet 2011. En effet, à partir de cette date les spreads (différence entre les taux d'intérêt) de crédit se sont écartés durablement des notations pour la quasi-totalité des États membres de la zone euro.

Nous pouvons nous interroger sur la possible manipulation politique des annonces des agences de notation. Ces dernières viennent remplacer Bruxelles en tant que responsable de toutes les réformes (ou tous les maux) que les politiques ne souhaitent pas assumer, lorsque la grogne des syndicats et des citoyens monte. Cette utilisation politique des agences de notations est d’autant plus crédible que les États doivent, dorénavant, prendre le virage de la convergence européenne et présenter Bruxelles comme le sauveur des économies de la zone euro, après plusieurs années de dénigrement des décisions et des institutions bruxelloises. Les agences de notation sont des candidats tout bien nommés pour focaliser toutes les animosités nées des plans d’austérité.

Il est peut être temps pour les politiques d'expliquer que l'endettement et la crise sont le résultat d'erreurs d'anticipation et de gestion, et non d’un thermomètre qui n’a pour objectif que d’indiquer la fièvre (même si plusieurs symptômes de maladie étaient déjà visibles bien avant que le thermomètre ne réagisse).

Voltaire disait « je ne rougirai point d'avoir avoué une quelconque erreur, je rougirai de l'erreur même ». Il est temps d'avouer les erreurs économiques du passé, et de proposer des vrais choix de sociétés face aux nouvelles échéances électorales.

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