Chine : pourquoi la politique des deux enfants par famille arrive trop tard pour relever le défi démographique du pays <!-- --> | Atlantico.fr
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La Chine risque de connaître une crise démographique.
La Chine risque de connaître une crise démographique.
©Reuters

Trop peu, trop tard

La fin officielle de la politique de l'enfant unique est attendue en Chine. Le pays, trop peuplé, risque de connaître une crise démographique, avec une part trop importante de retraités par rapport au nombre de travailleurs. Il doit essayer d'inverser cette tendance.

Jean-François Di Meglio

Jean-François Di Meglio

Jean-François Di Meglio est président de l'institut de recherche Asia Centre.

Ancien élève de l'École normale supérieure et de l'Université de Pékin, il enseigne par ailleurs à l'IEP Lyon, à l'Ecole Centrale Paris, à HEC ParisTech, à l'École des Mines Paris Tech et à Lille I.

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Atlantico : La Chine va connaître un problème démographique, conséquence naturelle de 40 ans de politique de l'enfant unique. L'une des annonces attendues cette semaine est la fin de la politique de l'enfant unique. Cette annonce arrive-t-elle trop tard ? Une politique plus souple avec deux enfants ou plus aurait-elle dû être mise en place depuis déjà bien longtemps ?

Jean François De Meglio : Cette annonce fait suite à celle qui avait été faite déjà au cours du 3ème Plenum du même Congrès, c'est-à-dire il  y a un an. Elles font suite d'ailleurs à une série d'assouplissements de l'obligation de l'enfant unique (slogan "sheng yige hao" = en avoir un, c'est bien") établi en 1979. Il faut savoir aussi que, assouplissements ou pas, des entorses conséquentes ont toujours existé à cette loi d'airain. Les familles aisées vraiment désireuses d'avoir plus d'un enfant, par propension familiale, choix de vie, esprit d'indépendance relative ont depuis quelques années déjà accepté de payer les amendes associées à l'infraction consistant à avoir plus d'un enfant.

Par ailleurs, les arrangements locaux dans les zones rurales ont sûrement aussi permis de telles infractions sans trop de sanctions. Il n'en demeure pas moins qu'aujourd'hui, parmi tous les pays d'Asie (hors Inde) qui connaissent le même phénomène de baisse du taux de natalité ou de stagnation en dessous du taux de renouvellement, la Chine présente le cas le plus spectaculaire de pyramide à la fois monumentale, "déséquilibrée" sur l'axe longitudinal (plus de garçons que de filles) et inversée, les classes d'âge les plus jeunes étant moins nombreuses que les plus âgées. C'est bien sûr la conséquence de la manifestation explosive ("implosive" devrait-on dire) de la politique de l'enfant unique. Elle était par définition prévisible il y a longtemps et on peut imaginer que, si cette politique a eu pour objectif simplement de résoudre le problème de la surpopulation, sa réforme  aurait dû passer en priorité dans les programmes du régime de Pékin. Cependant, d'autres priorités ont été choisies, il est cependant difficile d'imaginer que ce soit par pure négligence du problème. La Chine garde, en plus du poids désormais très lourd à porter des "dépendants" (bientôt un dépendant pour un actif, point d'inflexion que le Japon a atteint en ...1991, date du début de ses problèmes économiques) un autre problème à régler : celui de l'urbanisation. Une démographie potentiellement plus explosive a peut-être été rejetée par les autorités de peur que l'addition des migrations vers les villes (20% de plus de la population chinoise devrait être urbaine d'ici 20 ans) à une démographie potentiellement galopante (avec plus d'un enfant par couple) ne crée un phénomène dangereux. Une autre explication pourrait être aussi le changement de la structure sociale, favorisée par la disparition des collatéraux à la seconde génération d'enfants uniques. Ce changement profond est peut-être cohérent avec le type de nouvelle société que les incarnations précédentes du régime (plus dures) avaient pu souhaiter.

Outre le temps de latence très long qui sera nécessaire pour corriger la déflation démographique, il faut aussi se souvenir que le déséquilibre entre les sexes (plus fort que le pourcentage "naturel" qui fait qu'il naît toujours plus de garçons que de filles) amplifiera pour longtemps, comme l'ont montré les travaux du démographe Dumont et du Dr Isabelle Attané la difficulté à corriger la situation

La hausse du taux de natalité ne se décrète pas. Il existe pourtant des politiques incitatives comme la mise en place d'un congé maternité. Quelles solutions pourraient être mises en place ? Où en est la Chine dans ce domaine ?

L'enrichissement de la Chine, l'allongement de l'espérance de vie (l'OMS vient de publier des chiffres qui démontrent l'amélioration des conditions de vie en Chine depuis 20 ans, plus de dix ans ayant été ajoutés à l'espérance de vie dans les zones rurales depuis 20 ans) sont assurément la cause principale des réticences probables de la population chinoise, urbaine  ou non, à procréer plus. La politique familiale de la Chine (allocations familiales) est par définition inexistante, en revanche les congés maternité peuvent être assez généreux, en particulier dans les entreprises privées ou étrangères. C'est un contexte plus général qui est en cause. La procréation en Chine correspondait non seulement à l'habitus universel, mais aussi à la pérennité d'un modèle familial "confucéen"  (le bonheur représenté par "quatre générations sous le même toit") depuis longtemps révolu et remplacé par un individualisme renforcé par la possibilité de l'accession aux biens matériels. Des exceptions existent naturellement à cette tendance, typique des villes et des "nouveaux urbains", mais la baisse de l'importance du soutien par les générations montantes (le "bol de riz en fer" maoïste avait remplacé l'assurance que les jeunes prendraient soin des vieux) a aussi contribué à la baisse de la natalité.

L'accueil d'une main d'œuvre étrangère pourrait-il constituer une solution pour combler le déficit démographique comme c'est le cas en Allemagne ?

Assurément, mais il faut aussi se souvenir que la Chine doit avant tout créer 10 millions d'emplois nouveaux pour les jeunes entrants (il en reste) dans le marché du travail. Tous ne sont pas qualifiés. L'importation de main d'œuvre n'est pas pour demain, l'exportation de travailleurs masculins en âge de trouver situation stable, ménage à fonder et protection sociale ailleurs est sûrement plus réaliste, l'Afrique étant à ce stade la destination existante et privilégiée. La Chine ne ferait d'ailleurs pas exception probablement dans le paysage asiatique en matière de difficulté (culturelle) à assimiler des travailleurs étrangers même dans les secteurs les plus appropriés du marché du travail.

Finalement la transition de la Chine d'un pays émergent à un pays développé semble être bien plus difficile que prévue. Quel impact le déficit démographique va-t-il avoir sur la croissance chinoise qui faiblit de plus en plus ?

L'affaiblissement de la croissance chinoise n'est que très marginalement lié à la baisse de la démographie. Au contraire, le grand pari du régime c'est d'avoir bientôt une génération de consommateurs à l'occidentale, capables de revitaliser une économie qui est encore trop dépendante de l'investissement plus ou moins productif. Mais pour libérer la consommation, il faut créer les conditions de sécurité, de confort et aussi d'ailleurs de rajeunissement de la population. Même s'il y a eu du "retard à l'allumage" en matière de politique nataliste, la prise de conscience actuelle par les dirigeants et l'efficacité légendaire dans la mise en œuvre pourrait permettre de réussir, le "trou d'air démographique" étant finalement absorbé et dépassé.

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