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François Hollande parviendra-t-il à faire gober aux Grecs qu’il les a sauvés ?
©Reuters

Petit père des peuples

François Hollande est arrivé jeudi 22 octobre à Athènes pour une visite officielle de deux jours placée sous le signe de "l’amitié et de la confiance" franco-grecque, selon l’entourage présidentiel. Accueilli comme un héros, le bilan de la crise grecque est pourtant loin d'être positif, il est même dangereux pour l'économie grecque et la postérité de la zone euro.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : François Hollande est en Grèce pour rencontre Alexis Tsipras. Après la crise de cet été, quel est le premier bilan pour la Grèce ; ce qu'elle a gagné et ce qu'elle a perdu ?

Christophe Bouillaud : La seule chose que la Grèce a gagnée, pour autant que cela soit vraiment un gain, est qu’elle reste membre de la zone Euro. Pour être exact, il s’agissait d’une demande du peuple grec, au moins telle qu’elle ressortait des sondages disponibles. Pour le reste, comme le montre la simple lecture du troisième Mémorandum de juillet dernier et les actes législatifs qui ont suivi depuis, le pays est devenu une colonie du reste de l’Union européenne, totalement soumise à un contrôle a priori de toute sa législation ayant un impact sur ses finances publiques, de la part de ses partenaires européens.

La voix démocratiquement exprimée de ses citoyens lors du référendum, qui demandaient moins d’austérité et exprimaient leur désarroi, a compté vraiment pour rien du tout. Il est désormais prouvé par a+b que le peuple d’un Etat débiteur n’a plus voix au chapitre dans l’Union européenne. Comme on l’a vu en juillet dernier, des lois peuvent être votées en masse sans discussion ou presque pour autant que les partenaires européens l’exigent, ce qui contredit toute la tradition parlementaire européenne depuis deux siècles.

Par ailleurs, les principaux biens publics du pays vont être privatisés au profit de capitalistes étrangers, européens ou extra-européens. Enfin, il est presque certain que les nouvelles mesures d’austérité fiscale et budgétaire exigées par les partenaires européens pour prix de leur soutien amèneront exactement aux mêmes résultats que les mesures du même ordre prises précédemment depuis 2010, à savoir un approfondissement de la récession. Il n’y a pas de raison pour que le « multiplicateur » ne continue pas à avoir des effets récessifs. Il est probable en plus que les électeurs grecs aient perdu dans la séquence de cette année tout espoir dans une solution politique à leurs problèmes. Il faudra en effet des années pour qu’un grand parti d’opposition à cette situation de colonialisme européen puisse émerger, comme l’avait fait Syriza non sans difficultés dans les années 2010-2015. Toutes les protestations de rue seront probablement inutiles face à un gouvernement officiellement de gauche et de droite à la fois.

Du coup, les Grecs n’auront plus le choix que d’essayer de s’en sortir par eux-mêmes, ce qui signifie sans doute, d’une part, une émigration massive de ceux qui le peuvent, et, d’autre part, un recours à toutes les manières possibles d’échapper à la loi de l’Etat « colonisé »  grec. 

François Hollande fait figure de héros : qu'en est-il réellement ? Quel est son bilan vis-à-vis de la crise grecque ? En sort-il vainqueur ?

C’est  tout de même un peu étonnant qu’on qualifie F. Hollande de héros à ce propos en octobre 2015, mais sans doute est-ce là la loi des médias contemporains qui montrent bien peu de mémoire de faits. En juillet 2015, avec d’autres (M. Renzi par exemple), F. Hollande s’est contenté de faire pression pour que la Grèce reste dans l’Euro, mais, pour obtenir cela, il a accepté toutes les conditions drastiques mises par les « faucons » de l’austérité à ce maintien de la Grèce dans la zone Euro. La principale victoire, si victoire il y a, c’est d’avoir maintenu la Grèce dans la zone euro, et d’avoir ainsi préservé aux yeux du monde entier l’image d’une Europe qui reste unie. Mais cette victoire a été obtenue au prix de la notion même de démocratie, et surtout elle fait peu de cas des souffrances bien réelles d’une grande partie des Grecs en négligeant complètement le court terme.

C’est en ce sens une décision très politique au mauvais sens du terme : le sort immédiat d’hommes, de femmes, d’enfants, a été sacrifié au nom de l’Idée européenne avec un grand I, au nom d’un Bonheur futur. Comme l’a dit l’ancien Président de la Commission européenne Romano Prodi au lendemain de l’accord de juillet 2015, « Nous avons évité le pire, mais nous avons créé le mal. » (Entretien avec le Monde en date du 20 juillet 2015). Du point de vue plus politicien, en tant que leader du camp social-démocrate en Europe, il s’est assuré que l’expérience du gouvernement Syriza se termine pour l’instant par une social-démocratisation de Syriza : finalement, ce parti pour continuer à exercer le pouvoir en Grèce n’a eu d’autre choix que de faire exactement la même chose que ce qu’aurait fait le PASOK ou même Nouvelle Démocratie à sa place. F. Hollande, bien aidé d’ailleurs par ses camarades sociaux-démocrates allemands, a donc fait plier ces gauchistes de Syriza en leur montrant qu’il n’y avait pas d’alternative en Europe à la voie ultra-prudente d’ajustements millimétriques des rapports de force entre droite conservatrice et gauche modérée. En ce sens, il est un héros social-démocrate classique qui s’est débarrassé des gêneurs à sa gauche au nom du réalisme. 

Et au niveau européen, les accords trouvés sont-ils satisfaisants ? Quel est l'impact de la crise grecque à long terme ?

Les accords sont satisfaisants pour leurs auteurs dans la mesure même où ils préservent l’illusion que tous les choix faits dans l’affaire grecque depuis 2010 ont été les bons. L’Europe n’est donc pour rien à ce qui est arrivé à la Grèce et aux Grecs. Les institutions européennes et les pays créditeurs ne se sont donc pas trompés dans leurs recettes de politique économique, contrairement à ce que disait pourtant Syriza en janvier 2015 (ou le FMI dès 2013), et l’on va continuer ainsi sur cette belle illusion d’avoir toujours fait les bons choix. La dette grecque, qui augmente encore, sera donc remboursée rubis sur l’ongle, comme l’a encore une fois réaffirmé K. Redling, le chef du MES (Mécanisme européen de stabilité). Au mieux, il y aura sans doute une petite remise dans les mois qui viennent pour qu’A.Tsipras puisse faire semblant d’avoir obtenu quelque chose pour prix de sa capitulation totale et sans conditions de juillet dernier. Il reste toutefois un écueil : le FMI, qui représente aussi les intérêts des pays non-européens, n’a pas encore dit son dernier mot, et il exige de ne prêter encore à la Grèce uniquement si la dette grecque devient réellement soutenable, ce qui suppose une grosse remise de celle-ci. Surtout, en dehors de ces aspects de mécanique financière internationale, la réalité économique de la Grèce risque de se venger : même si la croissance finit par revenir dans ce pays, les revenus de l’Etat grec seront toujours insuffisants pour apurer la dette. 

Par ailleurs, le traitement réservé au gouvernement Tsipras a sans doute ouvert les yeux à bien des gens en Europe. D’une part, il n’existe aucune marge de manœuvre dans la zone euro pour un gouvernement d’un pays débiteur qui ne voudrait pas obéir aux diktats de la BCE et des pays créditeurs. Il est donc inutile de faire campagne sur ce genre d’aspects : la politique économique et sociale n’est plus du ressort des gouvernements de ces Etats de second rang.

D’autre part, cette situation implique qu’il n’y a plus de voie de sortie nationale et démocratique dans le cadre de la zone Euro. Il ne reste donc qu’à sortir de la zone Euro, mais comme les populations ont une peur bleue d’une telle hypothèse, on en revient à la première considération. Par contre les gouvernements des pays qui sont en dehors de la zone Euro et qui tiennent à leur indépendance nationale en sortent avertis et renforcés : le Premier Ministre Victor Orban est peut-être le grand vainqueur indirect de la crise grecque, puisqu’il a désormais le spectacle à offrir aux électeurs hongrois d’un pays sous tutelle de l’Europe. Un repoussoir absolu pour tous les nationalistes qui croient à la souveraineté nationale.  David Cameron, et les conservateurs anglais plus généralement, peuvent aussi dire que tout cela avait été prévu de longue date. Leur revendication d’officialiser le statut permanent de plusieurs monnaies dans le cadre de l’Union européenne est légitimée par ce qui est arrivé à la Grèce. 

Quelles sont les mesures qu'il reste à prendre pour que le bilan grec soit totalement positif ?

La seule manière de rendre tout cela positif serait de découvrir tout d’un coup à Bruxelles, Paris et surtout Berlin, que l’économie grecque n’a pas besoin de plus d’impôts, de moins de dépenses publiques d’éducation, de santé, etc. et de réformes structurelles qui visent à rendre le travail gratuit ou presque dans ce pays pour les employeurs, mais d’une relance de l’économie qui insiste sur la demande interne, sur l’éducation, et sur la préservation du tissu commercial, industriel et artisanal du pays. Il faudrait pour cela un retournement total de doctrine de la part des bailleurs de fonds européens.

En même temps, soyons optimistes pour les Grecs et pessimistes pour le monde : le conflit général qui s’annonce au Moyen-Orient fera de la Grèce et de Chypre les bastions des forces atlantiques dans la région. Comme pays de la ligne de front, la Grèce aura droit sans doute à quelques égards de ses partenaires. Cela commence d’ailleurs déjà  à s’entrevoir avec la « crise des migrants », qui n’est peut-être que le début de la grande déflagration qui s’annonce. 

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