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Quand le gouvernement privatise en douce le droit de préemption
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Sabir législatif

Les lois passent et ne se ressemblent pas. Camouflées dans une aridité voulue, elles sont trop souvent l’occasion pour le législateur, mu d’intérêts particuliers bien compris, de faire passer son agenda politique en toute discrétion.

Hash H16

Hash H16

H16 tient le blog Hashtable.

Il tient à son anonymat. Tout juste sait-on, qu'à 37 ans, cet informaticien à l'humour acerbe habite en Belgique et travaille pour "une grosse boutique qui produit, gère et manipule beaucoup, beaucoup de documents".

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Souvent, le coup fourré n’est qu’une énième petite entorse au bon goût, à l’équité ou aux finances publiques. Parfois cependant, c’est un véritable scandale qui couve sous le sabir législatif.

Par Nafy-Nathalie et h16

Pour camper un peu le décor, rappelons rapidement ce qu’est une société d’économie mixte (SEM): il s’agit d’une société dont le capital est détenu par des personnes publiques et privées afin de permettre des règles plus souples de fonctionnement. Si, sur le papier, cela semble assez clair, il y a parfois des imbroglios avec les HLM où les promoteurs et les scandales éclatent régulièrement, ce qui n’est pas pour nous rassurer sur leur fonctionnement.

Ainsi dans le Nord-Pas-de-Calais où il s’est passé de drôles de choses du côté d’Hénin et où l’on a assisté à une déferlante de dossiers assez curieux autour de quatre élus socialistes :

  • Michel Dagbert, ancien maire et conseiller général de Barlin, ancien président d’Adevia, président du conseil général du Pas de Calais,
  • François Lemaire, maire de Bully-les-Mines, ancien président d’Adevia,
  • Michel Vancaille (décédé en 2014) ancien président de l’agglomération de Lens-Liévin chargé des questions relatives à l’habitat, ancien vice-président du conseil général du Pas de Calais, ancien président de la CFR, ancien président de Pas de Calais Habitat
  • Jean-Pierre Kucheida, ancien député du Pas de Calais, ancien maire de Liévin, ancien président d’Épinorpa-Soginorpa, ancien vice-président d’Adevia.

Adevia, Épinorpa, Soginorpa, Tupultaba et Tembalpa sont certes des noms qui prêtent à rire, mais il faut savoir qu’Adevia a été épinglée par la Cour des Comptes dans son rapport d’observations définitives de 2011 qui a dénoncé, je cite …

Un esprit de famille un peu trop développé : on n’hésite pas à employer ses proches ou à donner des marchés aux enfants d’élus quand on ne se les attribue pas entre administrateurs de la SEM.

La Cour des Comptes indiquait d’ailleurs que "des anomalies graves se concentrent sur un nombre limité de prestataires d’étude et de maîtrise d’œuvre, avec lesquels certains administrateurs d’Adevia entretiennent des liens directs ou indirects".

Quoiqu’après tout, est-ce si grave si on paye bien les salariés ?

Eh oui : après tout, les salariés occupant des fonctions supérieures ont logiquement des salaires supérieurs. Bon, il s’agit de savoir s’ils doivent aussi avoir des salaires supérieurs même à ceux qu’ils auraient dû obtenir : le directeur général est payé environ 200.000 euros par an en 2011 soit deux fois plus que les autres directeurs de SEM d’aménagement comme l’indique la CRC. Belle générosité, non ?

Le chauffeur commissionnaire, curieusement de la famille du président du CA, a été embauché sans aucun respect des procédures, en août 2009, pour conduire une voiture achetée en octobre 2009. Son salaire est de 30% supérieur à ce qu’il aurait du contractuellement percevoir.

L’indemnisation des mandataires sociaux est plus que fantaisiste : ainsi, monsieur Lemaire a reçu 86.059 euros bruts au-delà des autorisations des assemblées délibérantes (commune et communauté d’agglomération). Rassurez-vous, il a rendu le trop perçu par rapport au plafond des indemnités des élus. Mais d’un autre côté, il a gentiment conservé les 73.469 euros bruts de plus que les plafonds fixés par le CA et le conseil municipal. Y a-t-il du mal à se faire du bien, si c’est sur fonds publics ?

Et puis, est-ce si grave si on achète vraiment très bien ?

La CRC déclare : "Les prix d’acquisition amiable s’établissent à un niveau parfois 30 fois supérieur aux estimations de France Domaine".

L’affaire de la Centrale Foncière Régionale en est l’illustration : elle avait pour objet d’ "acquérir des réserves foncières". Par le plus grand des hasards, Adevia fut reconnue comme aménageur sans concurrence. Par un autre hasard curieux, le montant des sommes allouées aux propriétaires disparut des actes notariés. Autre hasard vraiment fortuit, les opérations d’acquisition des terrains s’évanouirent des comptes de relevés comptables de la CFR. Et suite à un nouveau hasard troublant, certains des terrains achetés le furent à l’ancien adjoint au maire.

Franchement, le hasard fait vraiment bien les choses et la Cour Régional des Comptes ne lui rend pas assez hommage !

Le hasard, malheureusement, ne peut pas tout et parfois, on doit faire contre mauvaise fortune bon cœur et argent public : Adevia a fait l’objet d’une tentative de sauvetage en 2013 : 19,5 millions d’euros d’argent public et de bon cœur y ont été injectés. Puis on a changé son nom, pour l’appeler SEM Territoires 62… Ce qui n’a pas empêché la Cour des Comptes de rester sévère à son encontre. Le hasard, sans doute, ou pas assez de bon cœur, peut-être.

Le rapport définitif de la Cour des Comptes de 2014 montre que de nombreuses irrégularités persistent et n’ont toujours pas été résolues, et ses conclusions sont sans appel :

"Si des actions ont été mises en place, aucun plan de contrôle interne n’existe et la conduite des opérations révèle des failles. (…) Le principe de prudence (…) n’est pas mis en œuvre, la société affichant presque systématiquement une participation de la collectivité concédante pour équilibrer le bilan prévisionnel de l’opération."

Dès lors, on ne peut que rester pensif lorsqu’il prend à notre gouvernement l’envie de privatiser le droit de préemption urbain au profit des sociétés d’économie mixte (SEM), aux organismes d’HLM et aux organismes agréés faisant de la maîtrise d’ouvrage d’opérations d’acquisition, de construction ou de réhabilitation.

Le droit de préemption urbain (DPU) est une manière commode pour une commune d’acquérir prioritairement, au prix qui lui semblera le plus juste, tout bien sur le point d’être vendu.

L’article 87 de "la La loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques" dite loi Macron complète l’article L. 211-2 du Code de l’urbanisme de la manière suivante :

"Le titulaire du droit de préemption urbain peut déléguer son droit à une société d’économie mixte agréée mentionnée à l’article L. 481-1 du code de la construction et de l’habitation, à l’un des organismes d’habitations à loyer modéré prévus à l’article L. 411-2 du même code ou à l’un des organismes agréés mentionnés à 7 août 2015 JOURNAL OFFICIEL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE Texte 1 sur 115 l’article L. 365-2 dudit code lorsque l’aliénation porte sur un des biens ou des droits affectés au logement. Leur organe délibérant peut déléguer l’exercice de ce droit, dans des conditions définies par décret en Conseil d’Etat. (…)"

Sur le site du gouvernement, on apprend que cette loi s’articule autour de "trois grands principes : libérer, investir et travailler. Elle ne sert qu’un seul intérêt : l’intérêt général."

Soit.

Cependant, les 400 heures de débats houleux, et les 3 recours à l’article 49.3 pour faire passer ce texte montrent que cet intérêt général n’est guère apparu évident pour nos députés et nos sénateurs. Pourtant, à l’examen du résultat, il devient difficile de se demander si ces polémiques stériles n’ont pas été comme le doigt qui montre la lune et le Français, cet imbécile qui le regarde.

La question prend d’autant plus son sens quand on tombe sur l’article 87, qui a été adopté dans une unanimité toute tendance politique confondue et sans discussion comme s’il s’agissait d’un petit rien.

Avec un tel article 87, et les dérives déjà observées précédemment comme avec le cas Adevia, comment ne pas voir qu’une fois encore, le législateur vient d’offrir la propriété privée en pâture à nos élus ? Mais surtout, si on prend un peu de recul et que l’on considère l’orientation de toutes les dernières lois, comment ne pas se voir qu’un peuple qui n’est plus maître du fruit de son travail (à cause des taxes et des impôts), de son propre corps (par la loi sur la santé) et de ses biens (grâce à cette nouvelle entourloupe loi) ne peut plus se prétendre libre ?

Article également publié sur le blog d'Hashtable

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