La lutte finale ? Le PS s'attaque au bloc réactionnaire… et prend de grands risques pour sa survie<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Manuel Valls est très critiqué par une partie de la gauche.
Manuel Valls est très critiqué par une partie de la gauche.
©Reuters

Vers le progrès !

Le bloc réactionnaire, régulièrement attaqué par la gauche, est peut-être son meilleur bouc-émissaire. Plus que Marine Le Pen ou que Nicolas Sarkozy, c'est l'une des valeurs qui rallie à gauche. Pourtant... cet ennemi qui parvient à unifier les fronts n'est pas toujours là où on l'attend.

Jean Garrigues

Jean Garrigues

Jean Garrigues est historien, spécialiste d'histoire politique.

Il est professeur d'histoire contemporaine à l' Université d'Orléans et à Sciences Po Paris.

Il est l'auteur de plusieurs ouvrages comme Histoire du Parlement de 1789 à nos jours (Armand Colin, 2007), La France de la Ve République 1958-2008  (Armand Colin, 2008) et Les hommes providentiels : histoire d’une fascination française (Seuil, 2012). Son dernier livre, Le monde selon Clemenceau est paru en 2014 aux éditions Tallandier. 

Voir la bio »
Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
Voir la bio »

Atlantico : Après Valls en août, Cambadélis plus récemment et tous les autres au PS qui estampillent leurs adversaires politiques de "bloc réactionnaire", que peut-on dire de la portée de cette stratégie ? Dans quelle mesure est-ce que le PS n'est-il pas en train de s'enfoncer dans son propre piège ?

Christophe de Voogd : L'expression a en effet un gros succès à gauche et on l'entend aussi chez J.M. Le Guen qui est un fin rhétoricien... De fait elle a quelque chose de providentiel pour une gauche qui n'a plus d'idées, plus de programme et surtout plus de courage. Ne pouvant plus créer de rassemblement pour, elle joue donc la démarcation contre. Dans le langage des sociologues, incapable de créer des "liens" au sein du groupe, elle établit des "frontières" avec les autres. Comme les différentes forces de gauche ne sont quasiment d'accord sur rien, de la politique économique à l'écologie, seul le front extérieur est mobilisable. D'autant que la thématique joue sur un fort référentiel historique remontant à la Révolution française : la distinction entre partisan du "progrès" et, comme on disait alors, les "réacteurs" qui souhaitaient effacer la rupture de 1789 pour revenir à l'Ancien régime." Référentiel réactivé par Marx et dès lors devenu un lieu de mémoire de la gauche française. Au point de devenir même un cliché après la guerre. Injure suprême dispensant de tout argument, elle est utilisée à intervalles réguliers et souvent quand la gauche est en difficulté, comme en 2002 avec le livre de Lindenberg sur les Nouveaux réactionnaires. Particulièrement grave pour elle, en termes de légitimité, la perte de la caution des intellectuels, comme c'est le cas aujourd'hui. Bref, rien de nouveau sous le soleil...Seul l'instantanéisme médiatique, c'est à dire l'oubli du passé y compris le plus récent, permet de ressortir cette vieille ficelle, qui n'avait d'ailleurs de sens que polémique: on est toujours le "réactionnaire" de quelqu'un d'autre!

Mais elle risque fort de se heurter cette fois-ci à des obstacles majeurs.  D'abord parce que le paysage idéologique a beaucoup changé depuis 30 ans : les références à la Révolution française et à Marx n'ont plus guère d'écho dans la population et aucune dans la jeunesse. Ensuite parce que l'idéologie du Progrès, sans laquelle le mot de réactionnaire n'a aucun sens, est en faillite dans notre post-modernité.. Enfin et surtout avantage sa référence à un "âge d'or" et aux "avantages acquis", que cet âge d'or soit 1880, 1936, 1945 ou 1981 est, au sens propre du mot c'est à dire l'opposition au changement, purement réactionnaire. La nostalgie d'un monde de salariés, soumis au modèle fordiste où tout était si simple, hante encore la CGT qui semble ignorer l'existence d'internet et de l'entreprise individuelle. L'hostilité au travail du dimanche est partagée aussi bien par la plus grande part de la gauche que par les catholiques traditionnels. De même le retour à la "France d'avant l'Europe" (réaction donc!) est un slogan très répandu à la gauche de la gauche comme à la droite de la droite. On remarque d'ailleurs sur toutes ces  questions socio-économiques l'existence de fait d'un vrai "bloc réactionnaire", à la fois émotionnel et programmatique, où l'on retrouve (entre autres) les "deux fronts", Front de gauche et Front national. De même les tentations liberticides et le rêve de décroissance d'une bonne part d'EELV nous rappelle que "l'écologie politique" est historiquement née à l'extrême droite anti-industrialiste du XIXème siècle. On pourrait multiplier les exemples , de la préférence protectionniste à la "démondialisation" chère à Montebourg...La gauche reste cependant majoritairement "progressiste" (au sens d'un élargissement des droits) en matière sociétale, comme l'a montré le mariage pour tous.

Du coup, tout cela montre qu'il n'y pas de "bloc réactionnaire" mais des configurations trans-partisanes très variables et différentes selon les enjeux. Dans tous les cas, le recours un peu désespéré à un antagonisme simple "progressiste/réactionnaire" risque fort de se retourner contre la gauche, dont l'incapacité et plus encore le refus de réformer le pays en profondeur sont patents: on le mesure au rejet de tout débat sur le statut de la fonction publique, le SMIC, la Sécurité  sociale, les 35 heures, le CDI etc..., autant d'héritages d'un passé plus ou moins ancien mais clairement révolu... Mais encore faudrait-il pour forcer la porte de cette gauche pétrifiée que la droite renonce à ses propres conservatismes et autres nostalgies !

Jean Garrigues : Cela m’apparaît comme une stratégie d'incantation, destinée à rappeler à l'électorat socialiste qu'il n'est pas oublié, ni par le parti, ni par ses gouvernants. La condamnation des réactionnaires est quelque chose de traditionnel et d'historique pour la gauche. C'est très clairement une main tendue envers cette partie de l'électorat qui se détache du PS, de François Hollande ou de Manuel Valls ; qui regarde vers Marine Le Pen ou vers le Front de Gauche et les écologistes les plus durs. Il s'agit de trouver des moyens d'entretenir ce qu'il devient de plus en plus difficile de faire croire : que la politique menée par François Hollande est une politique de gauche. Il faut employer des mots qui réactivent cette mythologie de la gauche, comme le Président de la République avait pu le faire, durant sa campagne de 2012, avec son célèbre "mon ennemi, c'est la finance". Le combat contre les réactionnaires fait partie de ces mots référents, de cette incantation discursive et linguistique. Cela fait partie de la tradition de la gauche, c'est un de ses mots piliers. Comme on a pu parler des "200 familles" au moment du Front populaire, de la bourgeoisie dans les années 80, des trusts... On parle désormais des réactionnaires. Il est important de noter, ceci dit, qu'il s'agit d'une terminologie qu'on entendait plus chez les communistes que chez les socialistes. Il s'agit clairement d'un mot d'appel, visant à rassurer l'électorat de gauche traditionnel.

C'est également un piège dans lequel s’enferre la gauche. Ceux qui sont réactionnaires, au sens étymologique et politique du terme, sont ceux qui souhaitent revenir vers le passé. En l'occurrence, on pourrait considérer que la posture de la gauche, qui veut revenir à ce qu'était l'Etat Providence avant le choc de la mondialisation, parce qu'au fond c'est l'idée, correspond à une ligne qu'on pourrait taxer d'être « réactionnaire ». L’ambiguïté, c'est qu'il y a sur d'autres champs (sociétaux, par exemple) d'autres types de réactions. Sur le mariage pour tous, par exemple, c'est à droite qu'on trouve cette ligne réactionnaire. Sur le terrain identitaire et sécuritaire, c’est clairement le Front national qui est réactionnaire, nostalgique d’une société « blanche » et repliée sur elle-même. Les europhobes, souverainistes, eurosceptiques, de droite comme de gauche peuvent aussi apparaître comme réactionnaires par rapport à la dynamique de la construction européenne initiée depuis les années 50. Et l’on pourrait même considérer que les partisans écologistes de la décroissance sont eux aussi dans une posture de retour au passé. Il y a toute une gamme de réactionnaires selon les sujets et la perspective. C’est un mot-valise en somme.

Si l’on se réfère à l’étymologie, ceux qui souhaitent revenir en arrière sur le plan social ne sont pas forcément là où on les attend.. Le socle du progrès, dans la stratégie lancée en 2014 par François Hollande, consiste à rompre avec ce qui était la doctrine de la relance par la consommation, qui a été la ligne directrice du Parti socialiste. A cet égard, si on considère que le dogme de la protection sociale représente le passé, les progressistes au sein du PS sont ceux qui, à l’instar d’Emmanuel Macron, veulent faire sauter les verrous de l'Etat Providence. Mais leurs adversaires peuvent tout aussi légitimement considérer que le socialisme libéral est un retour réactionnaire vers la France d’avant le Front populaire, celle d’une économie plus libre, moins dirigée, moins redistributrice et moins égalitaire. C’est le sens du discours de Jean-Luc Mélenchon par exemple, puisé aux sources de la fraternité hugolienne. C’est donc non seulement un mot-valise mais aussi un mot-gigogne, inhérent à la perspective historique que l’on choisit d’adopter.

Dans la vilipende de gauche, le mot "réactionnaire" revient régulièrement. Dans quelle mesure est-ce que ce terme fait écho au passé du PS et des différentes formations politiques de gauche ? Est-il toujours approprié ?

Jean Garrigues : Je l’ai dit plus haut, le mot « réactionnaire » appartient à la rhétorique de la gauche. Tout au long du XXe siècle, les droites, qu’elles soient libérales ou autoritaires, ont été traitées de « réactionnaires » par la gauche, même lorsqu’elles étaient tout simplement conservatrices. Aujourd’hui, est-ce que l'on peut considérer que tenter de libérer les énergies productives, en allégeant les charges des entreprises, en donnant plus de flexibilité, en favorisant l'investissement productif et révisant le code du travail, incarne un retour vers le passé ? Ça l'est, si on se réfère au temps long du XIXème siècle. Mais a contrario, c'est objectivement un facteur de progrès, comme on l'a constaté en Allemagne et en Angleterre dans les années 1990. Cette politique de libéralisation économique qui a été mise en œuvre par Gerhard Schröder en Allemagne ou Tony Blair en Angleterre (des socialistes !) a permis un progrès en matière de croissance économique ou de résorption du chômage, pour ne citer que ces aspects. Cette politique, qui est taxée de réactionnaire par une certaine gauche, pourrait être décrite comme progressiste dans la mesure où elle a apporté avec elle des éléments d’amélioration et de bien-être. Là encore, c’est vraiment une question de point de vue.

D'où vient ce terme, concrètement ? Être dans la réaction a-t-il toujours porté une connotation aussi péjorative, où ce terme a-t-il été dévoyé dans le but de couler une idéologie à la faveur d'une autre ?

Jean Garrigues : Le terme "réactionnaire" a toujours porté une connotation péjorative. Il désignait à l'origine les contre-révolutionnaires qui s'opposaient aux progrès politiques et sociétaux de la Révolution française, véritable rupture avec la société d'ordre et de privilège de l'Ancien Régime. Mais il est vrai, comme le soulignait Raymond Aron dans L'Opium des intellectuels (1955), que le terme de réaction a depuis beaucoup servi à se forger des ennemis plus ou moins imaginaire pour faciliter la cohésion d'un camp politique. Il écrivait par exemple que « radicaux et socialistes ne se sont réellement accordés que contre un ennemi insaisissable, la réaction.» La notion de réactionnaire peut donc être totalement discutée. Si on considère que réviser l'Etat Providence, c'est revenir au XIXème siècle, c’est une démarche réactionnaire. Si, en revanche, on estime que c'est permettre une amélioration du système actuel pour le rendre plus efficace, c'est une démarche progressiste. C'est donc une question de perspective historique mais également de champ politique. Si l’on se réfère au temps cours de la modernisation de nos structures productives, la notion de progrès apparaît plus présente dans le discours d'un François Fillon ou d'un Emmanuel Macron que dans celui d'un Jean-Luc Mélenchon ou d'un Philippe Martinez. Mais ces derniers vous répondront que le progrès dans la libéralisation est facteur de régression sociale. A cet égard, l’exemple de Margaret Thatcher en Grande-Bretagne est éloquent. Entre le repli sur les avantages acquis et le thatchérisme, il y a heureusement de la marge, et c’est dans cette marge que devrait s’écrire la « Nouvelle Société » à la française.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !