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L’histoire coloniale, une entreprise d'auto-culpabilisation
©Nikolaj Cyon

Bonnes feuilles

Après avoir été, pendant quatre siècles, une puissance dominante, son influence n'a cessé de décroître depuis 1940. Pourtant, l'importance de la culture française reste aujourd'hui encore considérable. La découverte et la colonisation de ces territoires sont une épopée bien plus complexe que ne nous l'explique la plupart des livres et des manuels scolaires. Dans ce monde globalisé qui est le nôtre, la richesse de ce passé est une chance extraordinaire pour la France de demain, car cette histoire de France, c'est aussi l'histoire du monde à venir... Extrait de L'empire colonial français, de Dimitri Casali et Nicolas Cadet, publié aux éditions Gründ (1/2)

Nicolas Cadet

Nicolas Cadet

Nicolas Cadet est docteur en histoire et professeur en classes préparatoires au Prytanée militaire de la Flèche. Il est l'auteur de nombreux travaux sur la période napoléonienne, portant notamment sur le royaume de Naples et la guerre de Calabre de 1806-1807.

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Dimitri  Casali

Dimitri Casali

Dimitri Casali est Historien, spécialiste du 1er Empire et ancien professeur d’Histoire en ZEP, il collabore régulièrement avec la presse écrite, la radio et la télévision. Il est auteur d’une quarantaine d’ouvrages notamment : La France Napoléonienne (Albin Michel 2021), le Grand Procès de l’Histoire de France, lauréat du prix des écrivains combattants 2020 (Robert Laffont 2019), du Nouveau Manuel d’Histoire préface de J-P Chevènement (La Martinière 2016), de l'Altermanuel d'Histoire de France (Perrin), lauréat du prix du Guesclin 2011 ; l'Histoire de France Interdite (Lattès 2012). Par ailleurs, il est le compositeur du « Napoléon l’Opéra rock » et de l’« l’Histoire de France l’Opéra rock », spectacles musicaux historiques et éducatifs.

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L’Empire où le soleil ne se couchait jamais

La France a longtemps éclairé le monde. Après avoir été pendant quatre siècles une puissance dominante, son influence à travers le monde n’a cessé de décroître depuis 1940. En 1931, la prépondérance française transparaît à travers son empire colonial, le deuxième de la planète –12 millions de km2, 50 millions d’habitants –, qui s’étend sur tous les continents. L’empire s’appuie notamment sur deux blocs coloniaux bien distincts : l’ensemble « africain » réunissant l’Algérie, le Maroc, la Tunisie, l’Afrique occidentale française et l’Afrique équatoriale française d’une part, et l’ensemble indochinois d’autre part.

Pourtant, l’importance de la culture française reste aujourd’hui encore considérable. La communauté francophone représente 274 millions de personnes réparties aux quatre coins du globe et avec l’incroyable croissance démographique que connait l’Afrique, elle en comptera 750 millions en 2060. La France d’aujourd’hui, c’est donc aussi ses territoires d’outre-mer et francophones, héritages d’un immense empire colonial. Grâce à ces îles, archipels ou atolls, elle possède la deuxième zone économique exclusive mondiale avec 11 035 000 km2 juste après les États Unis (ZEE = espace maritime sur lequel l’État côtier exerce des droits souverains en matière économique). Une histoire plus sereine et apaisée de la découverte de ces territoires et de leur colonisation permettrait de mieux mettre en valeur l’héritage de la France, tant économique, linguistique, que culturel, et de le maintenir bien vivant en Afrique, en Amérique, en Océanie et en Asie.

L’histoire coloniale, une entreprise d'auto-culpabilisation

L’histoire malmenée de la conquête coloniale est bien plus complexe que nous l’expliquent les livres et manuels scolaires rédigés souvent par les tenants de l’anticolonialisme actuel. Noyauté par des universitaires très à gauche de l’échiquier politique, les équipes de rédaction des programmes scolaires oublient systématiquement dans leurs analyses tous les aspects positifs et émotionnels de la conquête coloniale. Celle-ci reste avant tout une extraordinaire aventure humaine. Toutefois, le passé colonial est devenu le reflet d’une civilisation française, plurielle et métissée expliquant la réelle diversité de notre société. Dans le monde globalisé qui est le nôtre, la richesse de cette histoire est une chance extraordinaire pour la France. Malheureusement, vouée désormais à la repentance et au politiquement correct, l’histoire coloniale s’est transformée en entreprise d'auto-culpabilisation. Plus de trente ans de lois « mémorielles », de bons sentiments communautaristes et altermondialistes ont « lessivé » sa connaissance.

Nous rêverions de cours d'histoire plus équilibrés où, en parallèle des exactions dans les colonies, on parlerait de l’œuvre sanitaire de la France dans son ensemble avec Alexandre Yersin et André Calmette, découvreurs des vaccins contre la peste.

Sous couvert d'ouverture au multiculturalisme, nous assistons, silencieux, au nettoyage méthodique des programmes d’histoire de nos enfants. En revanche, l’esclavage, la traite négrière, la décolonisation ont droit à des chapitres entiers et leur présentation a pour mission de culpabiliser l’Occident, source de tous les maux de la terre. Montrer la présence coloniale française en Algérie avec son lot d’exactions sans jamais parler de son œuvre positive est symptomatique de cette volonté d’occulter la réalité historique. Dans les manuels, on parle systématiquement de l’exploitation du pays par les colons et des membres du FLN algérien comme de véritables héros… ce qui est loin de refléter la réalité de l’époque. Il nous faut sortir de cette vision historique militante et hémiplégique de l’histoire coloniale… Les programmes d’histoire au Collège présentant les XVIIIe et XIXe siècles comme « Un Monde dominé par l’Europe : empires coloniaux, échanges commerciaux et traites négrières » sont une atteinte à l’histoire. Le terme de « domination », condamnable et négatif, a remplacé « l’expansion coloniale », dont la domination n’est que l’un des effets. Les empires coloniaux sont nés des rivalités entre puissances européennes ; quant aux traites négrières,  comme l’écrit Pierre Nora « si atroces qu’elles aient été, elles ne sont pas le trait majeur du XVIIIe siècle ; mais leur étude approfondie est l’un des effets de la loi Taubira (2001)… » Etudier sans cesse la traite négrière sans la replacer dans son contexte et sans aborder en premier lieu tout ce qui fait la grandeur du XVIIIe siècle devient une grave erreur. Nous sommes face au péché de moralisme et d’anachronisme dont l’historien Marc Bloch voyait la pire dérive du métier d’historien…

L’expansion coloniale au nom du progrès ?

La supériorité technique européenne par rapport au reste du monde existe depuis XVIe siècle. Le XVIIIe puis le XIXe siècles l'accentuent et la rendent plus sensible : vaincus par les techniques militaires occidentales, les peuples de couleur entrent bientôt en contact direct avec la science et ses applications, par la colonisation et l'émigration. Les conséquences de cette avance matérielle sont irrésistibles. Le niveau atteint par l'Europe fascine les élites des autres sociétés. Ses techniques sont imitées, provoquant, par effet de contagion, la propagation de sa culture, de ses institutions et de ses principes démocratiques. La pénétration des langues européennes dans le monde, par exemple, est en partie due au fait qu'elles apparaissent comme les moyens d'accéder à des savoirs scientifiques et techniques. Ainsi, l'Occident se présente bien, au XIXe et XXe siècles, comme l'agent de la modernité, donc de la civilisation dans son ensemble. Au moment où toutes les puissances d’Europe se lancent dans la course aux colonies, où le développement industriel et technique du continent leur en donne les moyens et où leur développement social et culturel suscite l'illusion de leur supériorité intrinsèque, le sentiment de puissance de l'Européen s'affirme. La colonisation repose aussi sur l'idée d'une mission confiée à l'homme blanc, sur qui repose le devoir d’apporter les valeurs de l’universalisme aux peuples de couleur. De là le caractère ambigu de l'œuvre coloniale et l'aide apportée à certains gouvernements. Avec une part de d’œuvre sanitaire, d’éradication des maladies équatoriales, d’apport d’une meilleure hygiène de vie, du progrès de la démographie, de la construction d’infrastructures, mais aussi une part d’exploitation commerciale, politique et philosophique, l’histoire coloniale est antimanichéenne par définition…

La colonisation, une idée de gauche

Faut-il rappeler que la colonisation est avant tout une idée de la gauche ? Jules Ferry défend l'idée d'une « colonisation républicaine ». La droite libérale ou monarchiste s’est toujours méfiée de ces affaires suspectes qui faisaient oublier l’intérêt premier du pays et de son territoire. Au discours d’expansion de Ferry, un de ses dirigeants répond : « J'ai perdu deux enfants (l'Alsace et la Lorraine) et vous me proposez vingt domestiques. » Faut-il redire que Jaurès et Léon Blum ont admiré Jules Ferry aussi pour sa politique coloniale ? En 1884, Jaurès se félicite qu’en France : « Nous pouvons dire à ces peuples, sans les tromper, que jamais nous n’avons fait de mal à leurs frères volontairement : que les premiers nous avons étendu aux hommes de couleur la liberté des Blancs, et aboli l’esclavage… » Ensuite, Jaurès évolue et écrit en 1905 : « La politique coloniale est la conséquence la plus déplorable du régime capitaliste, qui est obligé de se créer au loin, par la conquête et la violence, des débouchés nouveaux. » Léon Blum ne rompt pas avec l’idée de mission civilisatrice que défendit Jaurès et réaffirme, à la chambre des députés en 1925, la nécessité de « l’expansion de la pensée, de la civilisation française » et « le droit et même le devoir de ce qu’on appelle les races supérieures, revendiquant quelquefois pour elles un privilège quelque peu indu, d’attirer à elles celles qui ne sont pas parvenues au même degré de culture. »

Jules Ferry justifie la politique d’expansion coloniale pour trois raisons : le besoin de débouchés, la concurrence politique des autres puissances et le côté humanitaire et civilisateur. « Messieurs, il faut parler plus haut et plus vrai ! Il faut dire ouvertement qu’en effet les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures… Je répète qu’il y a pour les races supérieures un droit, parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures. » (Discours à la Chambre des députés, 28 juillet 1885)

Le député républicain radical Georges Clemenceau n’hésite pas à poser le débat et à prendre parti contre la colonisation : « Races supérieures ? Races inférieures, c’est bientôt dit ! Pour ma part, j’en rabats singulièrement depuis que j’ai vu des savants allemands démontrer scientifiquement que la France devait être vaincue dans la guerre franco-allemande parce que le Français est d’une race inférieure à l’Allemand. Depuis ce temps, je l’avoue, j’y regarde à deux fois avant de me retourner vers un homme et vers une civilisation, et de prononcer : homme ou civilisation Inférieurs. La conquête que vous préconisez [Ferry], c'est l'abus pur et simple de la force que donne la civilisation scientifique sur les civilisations rudimentaires pour s'approprier l'homme au profit du prétendu civilisateur. » (Discours à la Chambre, 31 juillet 1885)

Le colonialisme : Et maintenant ?

Il convient de rappeler à nos concitoyens qu’à son départ des colonies la France a légué aux états africains 40 hôpitaux, 600 maternités, 2 000 dispensaires, près de 20 000 km de voies ferrées, 50 000 km de routes bitumées, 215 000 pistes principales, 63 ports, 196 aérodromes, 16 000 écoles primaires et 350 collèges et lycées. Sans compter tout le personnel qu’elle a formé et éduqué en Indochine.

Enfin Si l’empire colonial est une excellente affaire économique pour les entreprises françaises jusqu'en 1930, l’historien Daniel Lefeuvre a démontré aussi, dans la continuité de Jacques Marseille, comment les colonies deviennent un fardeau pour la France par la suite. Loin de les avoir pillées, le pays s’y ruina après cette date. À aucun moment de la colonisation, la France ne peut s’appuyer sur ses colonies pour son approvisionnement en matières premières indispensables à son économie moderne. Elle n’a pas donc assis son développement économique sur son empire colonial. C’est même exactement le contraire qui se produit après 1945, où le développement des colonies se fait à coup de subventions publiques, leurs exportations vers la métropole étant constamment déficitaires au détriment de leurs importations. Ainsi s’opère, aux frais de la métropole, un rééquilibrage économique lourd de conséquences dans la décision de se défaire des colonies dès les années 1950…

Quant aux principes démocratiques que l’Europe a tâché d’exporter, ils sont toujours à l’essai depuis maintenant plus d’un demi-siècle avec des succès mitigés. On ne pourra rien consolider tant que le monde arabo-musulman n'engagera pas, dans les faits, sa transition démocratique, comme cela semble être le cas en Tunisie. La Tunisie, l’Algérie, le Maroc et tous les pays africains ont, avec la France, un ennemi commun : le terrorisme islamiste. Que se soit à Tombouctou, à Bamako ou à Tunis, les attentats se multiplient. Uniquement des lieux où l’histoire coloniale de la France fut partout présente. D’une meilleure connaissance de ce passé pourrait naître une leçon d’estime réciproque avec ces nations. Rappelons une fois de plus que de cette vaste confrontation entre les peuples français et ex-coloniaux, nous pouvons tirer un enseignement précieux : celui de la solidarité qui nous unit pour continuer à faire progresser l’humanité vers un avenir meilleur…

Extrait de "L'Empire colonial français" de Dimitri Casali et Nicolas Cadet, aux éditions Gründ, 2015. Pour acheter le livre cliquez ici.

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