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Amendement PS sur l’imposition séparée pour les époux : derrière la volonté de favoriser le travail des femmes, un très mauvais coup porté à la famille
©Reuters

Plus de pot commun

Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits de la femme de l'Assemblée nationale a déposé un amendement au budget 2016. Il propose aux couples mariés ou pacsés d'avoir la possibilité de choisir entre une imposition commune ou séparée de leurs revenus. Mais même si, à première vue, cette solution présenterait des avantages fiscaux, elle est peut-être le début d'un changement de vision sur la famille : moins de cellules familiales et plus d'individualisme.

Jacques Bichot

Jacques Bichot

Jacques Bichot est Professeur émérite d’économie de l’Université Jean Moulin (Lyon 3), et membre honoraire du Conseil économique et social.

Ses derniers ouvrages parus sont : Le Labyrinthe aux éditions des Belles Lettres en 2015, Retraites : le dictionnaire de la réforme. L’Harmattan, 2010, Les enjeux 2012 de A à Z. L’Harmattan, 2012, et La retraite en liberté, au Cherche-midi, en janvier 2017.

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Un amendement au budget 2016 propose de donner la possibilité aux couples mariés ou pacsés de choisir entre l'imposition commune ou séparée de leurs revenus. C'est une proposition de la députée socialiste Catherine Coutelle, présidente de la délégation à l’égalité hommes-femmes. Qu'est ce que cette proposition révèle de la vision de l'Etat de la famille ?

Jacques Bichot : Une ancienne tradition fiscale, remontant pour le moins au Moyen Âge, voyait dans le « feu », c’est-à-dire l’ensemble des membres d’un même foyer, le redevable de la taille et de la corvée – les impôts directs de l’époque. Autrement dit, le contribuable n’était pas telle ou telle personne, mais une famille, au sens large du terme : ceux qui vivent ensemble sous le même toit et mettent en commun leurs ressources. L’adoption du quotient familial, à la Libération, a entériné cette conception ancestrale, considérant que des individus liés par le mariage ou la filiation, et vivant ensemble dans un esprit de communauté, forment une sorte de cellule sociale – un corps intermédiaire, comme une entreprise, une association ou une commune – qui est le répondant de l’administration fiscale. Celle-ci devait faire masse des revenus des membres de la famille, et calculer en fonction du niveau de vie de cette famille le taux de l’impôt à prélever sur ce revenu global.

De là résulte le mode de calcul toujours en vigueur : pour déterminer le revenu imposable on additionne les revenus des époux et des enfants dits « rattachés » au foyer fondé par leurs parents, on divise par un nombre de « parts » correspondant approximativement aux « unités de consommations » (UC) utilisés par les statisticiens pour déterminer le niveau de vie des ménages, moyennant quoi tous les foyers fiscaux ayant le même niveau de vie sont imposés au même taux. Bien entendu, le montant de l’impôt est d’autant plus élevé, à niveau de vie égal, qu’il y a davantage de membres dans le foyer fiscal.

Cette façon de faire reflète une certaine conception de la société et de la République : la société est-elle composée d’individus sans liens entre eux, ou est-elle un ensemble de personnes formant des réseaux et des groupes ? La République doit-elle reconnaître en tant que « corps intermédiaires », et donc personnes morales, certains de ces groupes ? Répondre par la négative signifierait qu’aucune entreprise ne pourrait être considérée comme une personne morale et soumise à ce titre à l’impôt sur les sociétés : seuls les  actionnaires et les salariés seraient imposés, en tant qu’individus. Certains ultra-individualistes réclament d’ailleurs que l’on aille dans ce sens : les ultra-individualistes de droite voudraient une imposition ne tenant pas compte des liens qui unissent les actionnaires, dirigeants et salariés d’une même société, tout comme les ultra-individualistes de gauche plaident pour ne pas prendre en considération la communauté familiale.

Personnellement, j’estime que faire en quelque sorte table rase des corps intermédiaires, et donc laisser chaque être humain isolé face à l’État, serait faciliter la tâche aux dictateurs. Tous les totalitarismes se méfient des corps intermédiaires et s’efforcent de les affaiblir, pour que les hommes au pouvoir aient sur les citoyens une emprise maximale. Notre liberté, la démocratie, ont besoin que les associations, les entreprises, et les familles, soient reconnues en tant que corps intermédiaires par les pouvoirs publics, y compris au niveau fiscal.

La députée socialiste explique que le quotient conjugal est un frein au travail des femmes, qu'en est-il réellement ? Changer ce quotient familial peut-il favoriser le travail des femmes ?

Cela fait un certain temps que quelques articles qui se disent scientifiques prétendent démontrer que l’imposition de la famille plutôt que de l’individu dissuade les femmes de travailler. Leur raisonnement est le suivant : quand un mari gagne pas mal d’argent, si la femme se met à travailler professionnellement elle aussi, dans le système actuel ce revenu supplémentaire sera amputé par le fisc de 30 % ou 40 % ou même un peu plus. Tandis que si l’imposition était strictement individuelle, soit obligatoirement, soit sur option, en prenant une activité professionnelle modeste la femme pourrait garder 90 % de ses gains, voire même 100 %, ce qui est nettement plus incitatif.

Ce raisonnement n’est pas faux, mais il est un peu court. De fait, le mari matraqué fiscalement pourrait être tenté de lever le pied et de pousser son épouse à prendre un job. La spécialisation des époux, monsieur au turbin professionnel et madame au turbin éducatif et ménager, serait pénalisée fiscalement, ce qui pousserait effectivement les couples à devenir des paires d’individus jouant des rôles interchangeables plutôt que des équipes où chacun a ses propres talents et responsabilités. Ce que démontrent les articles auxquels je faisais allusion, c’est que l’État a le pouvoir d’infléchir le comportement des citoyens dans un sens ou dans un autre en traficotant la fiscalité. Franchement, on s’en doutait ! Le vrai problème est : la fiscalité est-elle un instrument que des gouvernants idéologues ont le droit d’utiliser à leur guise pour inciter les citoyens à se comporter de la façon que eux gouvernants estiment souhaitable, ou bien doit-elle respecter la liberté de choix des citoyens, refuser de pénaliser un choix dès lors qu’il n’est pas celui d’un comportement causant du tort à autrui ?

Que des scientifiques s’amusent à enfoncer des portes ouvertes en expliquant gravement que si l’État privilégie fiscalement un comportement, ce comportement deviendra probablement plus fréquent, soit. Mais qu’ils utilisent leur statut pour affirmer qu’il faut aller dans le sens d’une fiscalité manipulatrice est une tout autre affaire. L’idéal démocratique et l’esprit de la Constitution vont dans un sens diamétralement opposé. L’État doit rester neutre dans le choix que les couples ont à faire entre une plus ou moins grande spécialisation de l’homme et de la femme. Parlementaires ou scientifiques, ceux qui n’ont aucun scrupule à utiliser la loi, et notamment les lois de finances, pour imposer leurs choix au détriment des libertés individuelles n’ont pas l’esprit démocratique, et c’est fort dommage.     

Pour quelle raison le gouvernement pense à changer ce système de foyer fiscal pourtant bien ancré dans nos mœurs, quel est son intérêt ?

Cet intérêt est essentiellement idéologique. Il s’agit, comme dans une certaine utilisation de la théorie du genre (qui ne se réduit heureusement pas à la présentation tendancieuse qu’en font les adorateurs de l’indifférenciation sexuelle), de saper les assises et les institutions qui permettent aux individus de devenir des personnes membres de communautés durables. La famille et les réseaux de toutes sortes qui créent des liens de solidarité entre les gens sont le principal caillou dans le soulier des totalitaristes, ce qui les empêche de soumettre à leur dictat un troupeau inorganisé. Saboter le mariage, que ce soit fiscalement ou autrement, est donc un objectif important pour ceux qui veulent imposer leurs idées à un troupeau de moutons.

Catherine Coutelle fait étalage de bonnes intentions quand elle dit : « La société a changé, les couples ont changé, il faut laisser une plus grande autonomie aux conjoints qui le souhaitent. » Mais à Bercy on aurait formulé, selon La Croix, la réponse suivante : « Quand on est marié, on conjugalise. Sinon, il ne faut pas se marier. » Cette réponse du berger à la bergère est pleine de bon sens, et le bon sens, à la différence des bonnes intentions, n’a jamais pavé l’enfer totalitariste.

Sur le plan purement économique, quels sont les avantages et les inconvénients pour les couples ?

La formule de libre choix proposée par la présidente de la délégation aux droits de la femme de l’Assemblée nationale peut sembler ne présenter que des avantages pour les contribuables : les couples choisiraient la formule la plus intéressante pour eux, aucun ne paierait davantage d’impôt, et certains en paieraient moins. Mais ceci est un constat à courte vue. On passera vite de la liberté à l’obligation, du fait que cette proposition d’individualisation de l’impôt sur le revenu (IR) est adossée au projet de retenue à la source de l’IR, qui lui serait grandement facilité par une individualisation automatique.

La tactique est la même que pour les atteintes répétées au quotient familial : ce qu’on appelle son « plafonnement » a en fait transformé ce dispositif, qui était une caractéristique structurelle de l’IR, en un simple avantage fiscal, une « niche » ; il en ira de même avec le caractère familial de l’IR : on introduit un ver dans le fruit, le ver fait des petits, et quand le fruit a suffisamment été rongé, il tombe à terre et on n’en parle plus.

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