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Tensions au Synode sur la famille : comment l’opposition entre la doctrine et son application depuis Vatican II pousse l’Eglise au bord de l’explosion
©Reuters

A la recherche d'une pastorale ...

Depuis le 4 octobre, les 267 évêques représentant toutes les Eglises catholiques sont réunis à Rome autour du pape François. Au terme de ces dix premiers jours, de nombreuses questions demeurent ouvertes et les dissensions s'accentuent notamment autour de la question des divorcés remariés.

Christophe Dickès

Christophe Dickès

Historien et journaliste, spécialiste du catholicisme, Christophe Dickès a dirigé le Dictionnaire du Vatican et du Saint-Siège chez Robert Laffont dans la collection Bouquins. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages consacrés à la politique étrangère et à la papauté (L’Héritage de Benoît XVI, Ces 12 papes qui ont bouleversé le monde). Il est enfin le fondateur de la radio web Storiavoce consacrée uniquement à l’histoire et à son enseignement.

 

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Atlantico :  Comment évoluent les discussions et l'affrontement entre partisans et opposants d'une réforme ?

Christophe Dickès : Depuis le fameux rapport d’étape qui a mis le feu aux poudres à l’occasion du synode en 2014, l’affrontement n’a jamais cessé. Il s’est même exacerbé au fil des mois. Il atteint aujourd’hui son point d’orgue pour plusieurs raisons. Tout d’abord parce que le pape lui-même a souhaité que l’instrument de travail (Instrumentum Laboris), qui a servi de bases aux travaux du Synode 2015, traite des sujets qui, pourtant, n’ont pas remportés les suffrages des pères synodaux l’année passée. Ensuite, parce qu’une majorité des pères synodaux ont peur que leur parole soit confisquée ou, pire, dévoyée par le rapport final du synode.

Cette peur est justifiée dans la mesure où le pape a nommé les membres d’une commission, chargée d’écrire ce rapport final, favorable à une "adaptation du dogme". Or, le lien entre les travaux des pères synodaux et cette commission semble inexistants ou mal définis. Le plus étonnant dans cette affaire est cette forme de désorganisation –dont on se demande si elle est voulue ou pas autour de ce qui doit être publié ou non à l’issue du synode. Pour un synode organisé sur une année entière, cette incurie procédurale laisse perplexe. Ce flou est gênant et crée une ambiguïté : un groupe des cardinaux et non des moindres s’en est inquiété dans une lettre au pape. Un document qui a fuité en début de semaine et qui montre à lui seul l’extrême tension de ce moment. Le cardinal Napier originaire d’Afrique du Sud a ainsi déclaré au site Internet Crux : "L’incertitude est tout à fait généralisée. […] Ce genre d’incertitude me préoccupe parce que, si vous ne savez pas quel est l’objectif, comment orienter votre travail ?"

Au cours de ce synode, le cœur du débat ne réside-t-il pas dans une opposition entre la doctrine - les paroles du Christ à travers les évangiles - et la pastorale - manière d'appliquer cette doctrine ? Dans la mesure où certains émettent la volonté d'adapter la pastorale à la société aujourd'hui, quitte à s'éloigner de la doctrine, et d'autres sont des fervents défenseurs de la doctrine ?

Le débat entre doctrine et pastorale n’est pas nouveau. En 1962, le pape Jean XXIII déclarait : "Autre est le dépôt lui-même de la foi, c’est-à-dire les vérités contenues dans notre vénérable doctrine, et autre est la forme sous laquelle ces vérités sont énoncées, en leur conservant toutefois le même sens et la même portée." Quelques jours après cette déclaration, il affirmait la nécessité de "donner extérieurement à la foi un nouveau vêtement." Mais chez Jean XXIII, cela ne signifiait nullement que la doctrine devait être altérée. Au contraire, la pastorale devait conforter et même renforcer la doctrine.

Néanmoins, en opérant cette distinction, le pape du Concile a créé une sorte de hiatus ou de décalage entre doctrine et pastoral. Comme s’il existait une différence entre le droit et l’application du droit avec, comme facteur déterminant ici, la fameuse question de la miséricorde. Les Evangiles et l’Eglise disent certes : "A tout péché miséricorde". Mais cette miséricorde ne s’applique qu’à partir du moment où la personne qui a fauté a le regret de son péché et se convertit au sens propre : c’est-à-dire, selon la définition du dictionnaire, qu’elle se tourne vers Dieu et se soumette à sa volonté et ses commandements. Dans le cas des divorcés remariés, la faute réside dans l’adultère commis par une deuxième union. Or l’adultère est condamné par les dix commandements de Dieu. Ce qui empêche les divorcés remariés de communier.  

Le Pape François est-il clair sur le sujet ? Comment se positionne-t-il ?

Pour l’instant, le pape François se doit de garder une réserve. Mais il joue aussi la corde de la miséricorde face aux situations difficiles. Il en parle exactement comme il parle de l’argent, c’est-à-dire en s’arrêtant aux situations de crises, de douleurs et de fractures. Il illustre le rôle de l’Eglise par une image, celle d’un hôpital de campagne. Mais bien des pères synodaux ne manquent pas de rappeler qu’il existe une majorité de familles silencieuses qui vit chrétiennement, sans rien demander à personne. Ces familles ne sont pas à l’abri des difficultés et des crises, mais elles mettent un point d’honneur à exalter et à préserver la cellule de base de la société, remise en cause par des lois à travers le monde. On ne semble parler au synode que des situations d’échecs –les divorcés remariés- comme si le principe même de la famille posait problème pour ceux qui souhaitent voir le dogme évoluer.

Néanmoins François, conscient de la tension, est intervenu à plusieurs reprises afin de calmer les esprits. Notamment ceux qui pensent qu’il existe une forme de conspiration incarnée dans la minorité. Mais, croyez-moi, je ne pense pas que ces interventions aient calmé les esprits car bien des interrogations subsistent et le pape est loin d’avoir effacé les doutes et les peurs. Le plus grand paradoxe de ce pontificat est qu’il ne cesse de mettre en avant la collégialité, c’est-à-dire la prise de décision en commun, tout en exerçant le pouvoir de façon strictement monarchique. Il existait davantage de collégialité chez Benoît XVI qu’il y en a aujourd’hui chez François. Et sous le pontificat de Benoît XVI, tous les débats des pères synodaux étaient publiés après le synode. Aujourd’hui, nous ne savons toujours pas si le rapport final sera rendu public !

Le synode sur la famille qui se déroule en ce moment, ne prend t-il pas des airs de concile Vatican II?

Je pense oui. Certains utilisent même le terme d’un "Vatican III" sur la morale. Mais les rapports de pouvoir ne sont pas les mêmes : quand Jean XXIII ou même Paul VI laissaient travailler les pères conciliaires et les écoutaient, François donne lui l’impression de cultiver une ambigüité profitant à une minorité qu’il protège. A l’ouverture du Concile Vatican II, en octobre 1962, les pères conciliaires ont littéralement "pris" le pouvoir, refusant tous les travaux et les schémas préparés par la curie. La "révolte" venait d’en bas.

Aujourd’hui, les pères synodaux doivent faire face à une minorité qui a lancé un pavé dans la marre l’année passée, pavé qui ne cesse de faire des vagues. Depuis, cette minorité estime que la communion des divorcés-remariés et l’accueil des homosexuels dans l’Eglise sont en quelque sorte inexorables. Une majorité pense au contraire que l’Eglise perdrait toute crédibilité à abandonner la radicalité et l’universalité du message évangélique, surtout dans une période de crise où les principes doivent être rappelés comme une contre-culture au relativisme ambiant.  

Propos recueillis par Cécile Picco

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