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Comment le gouvernement continue d’asphyxier les départements, le seul échelon auquel les Français sont pourtant attachés
©Aidemoi.net

Touche pas à mon département

Augmentation des dépenses sociales, baisse des dotations : les départements sont au bord de l'asphyxie. Pourtant les départements sont une des plus anciennes divisions territoriales, et les Français y sont très attachés bien plus qu'aux régions. La volonté politique d'accabler les départements est loin d'être une bonne stratégie électorale.

Laurent Chalard

Laurent Chalard

Laurent Chalard est géographe-consultant, membre du think tank European Centre for International Affairs.

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Jean-Luc Boeuf

Jean-Luc Boeuf

Jean-Luc Bœuf est administrateur général. Auteur de nombreux ouvrages, son dernier livre : les très riches heures des territoires (2019), aux éditions Population et avenir. Il est actuellement directeur général des services du conseil départemental de la Drôme (26)

 

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Atlantico : Le 85e congrès des départements de France ouvre ses portes ce mercredi 14 octobre jusqu'au 16 octobre à Troyes. A cette occasion, Philippe Adnot, sénateur (Divers droite) de l’Aube, a déclaré à propos de la situation des départements : "Il y a une fuite d’eau, et il faut la colmater avant que le bateau coule". Il évoque la baisse des dotations et la hausse des dépenses sociales. Comment est la situation actuelle des départements ? Sont-ils tous dans cette situation d'asphyxie décrite par des élus ?

Jean-Luc Bœuf : Il y a trois chiffres importants pour comprendre la situation actuelle des départements. Premièrement, le montant cumulé des budgets de toutes les collectivités locales s'élève à 250 milliards d'euros, ensuite le montant cumulé de tous les départements est d'environ 70 milliards d'euros et enfin le montant cumulé de toutes les dépenses sociales de tous les départements tourne autour de  25 milliards d'euros.  Donc les dépenses sociales représentent environ 1/3 du budget des départements, et  1/6 du budget de toutes les collectivités confondues.

Tous les départements ne sont pas dans une situation d'asphyxie, certains le sont plus que d'autres mais tous sont dans une situation difficile. Il est compliqué d'identifier précisément et de nommer les départements les plus en difficultés, car ils n'ont pas forcément tous les mêmes méthodes de calcul.

En gardant en tête ces chiffres, on comprend bien que lorsque le gouvernement annonce des plans à 10 ou 30 millions il n'est pas dans la réalité.

Quelle est la responsabilité du gouvernement dans cette situation ? A quel point cette asphyxie est-elle voulue ?

Jean-Luc Bœuf: Evidemment cette situation n'est pas voulue par le gouvernement, en revanche nous assistons depuis 40 ans à une "décentralisation délestage". C'est-à-dire que l'Etat, toutes majorités politiques confondues puisque le phénomène remonte à 1975, s'est délesté sur les départements. On observe trois grosses dépenses qui ont pesé sur les départements.

Tout d'abord les dépenses sociales, où successivement les départements ont eu la charge de l'enfance, des enfants en difficulté, du RMI hier et du RSA aujourd'hui, des personnes vieillissantes etc.  Les gouvernements ont créé des dotations, des aides aux personnes, qu'ils ont transférées aux collectivités. Prenons l'exemple du RSA (anciennement RMI). Depuis 1989 il n'y a jamais eu de baisse de dépense de celui-ci. En clair les dépenses sociales ne sont au mieux que stabilisées en période de croissance !

Deuxième grande dépense de délestage : les routes départementales. Pour l'anecdote, le réseau départemental français représente un peu plus que la distance entre la Terre à la Lune. Le réseau de l'Etat, c'est-à-dire les routes nationales, était de 80 000 km en 1971 : aujourd'hui il ne représente plus que 12 000 km. Donc l'Etat s'est déchargé encore une fois sur les départements.

Dernier gros point : les collèges. En 1986, l'Etat a transféré la responsabilité des bâtiments et de leur entretien, et en 2004 la gestion des personnels non enseignants.

Depuis 2008 la machine budgétaire des collectivités a changé, elle s'est inversée. Avant, pour x nombre d'actions voulues, la logique était d'augmenter les impôts locaux ainsi que les dotations de l'Etat et emprunter pour les dépenses d'investissements. Mais depuis 2008 et la crise financière, la machine fonctionne à l'inverse. C'est-à-dire que les dotations de l'Etat, après avoir stagnées, baissent. Le contribuable n'accepte plus les hausses d'impôts et l'accès à l'emprunt est rendu plus difficile. Donc pour les trois types de recettes des collectivités locales, il faut maintenant raisonner de façon inverse: de combien dispose-t-on et comment le dépense-t-on ?

Les recettes des départements stagnent ou baissent, alors que les dépenses sociales augmentent très fortement : plus 5 ou 6% par an.  Quoi que les départements décident, ils sont soumis à une augmentation de leurs dépenses sociales, et il n'est pas possible de les réduire. Parce que dès que vous avez le droit à une aide quelle qu'elle soit les départements sont obligés de s'y contraindre. C'est donc une fausse décentralisation, dans le sens où le conseil départemental n'a pas de marge de manœuvre.

Doit-on pour autant écarter toute responsabilité de la part des départements ? Un rapport de la Cour des Comptes pointe du doigt les dérapages des dépenses en personnel par exemple : masse salariale importante, salaire trop élevé...

Jean-Luc Bœuf: Les salaires sont fixés par les règles de l'Etat, donc sur ce point là il ne peut y avoir de dérapages. En revanche, les départements ont embauché trop facilement et ce pendant 40 ans. A la différence du privé, les fonctionnaires sont protégés il est donc quasiment impossible de licencier. Les conseils départementaux doivent maitriser leur masse salariale. Mais pour cela il faut une vraie volonté politique.

De plus, il y eu une déresponsabilisation collective pendant 40 ans. Dans le domaine social il y a trois protagonistes : l'Etat, les conseils départementaux et les patients. Prenons l'exemple d'une maison de retraite, à structure associative. L'Etat fixe le prix de journée, les familles ne veulent pas payer en plus, donc les dépenses – le plus souvent des dépenses de personnels  se déchargent sur les départements. Ils sont la variable d'ajustement pour toutes les structures associatives, et il est très compliqué de réguler des structures associatives, d'où la déresponsabilisation collective.

Que faudrait-il faire alors pour retrouver une situation à l'équilibre et vivable pour les départements et les collectivités locales ? 

Jean-Luc Bœuf : Dans un premier temps il faut baisser les dépenses de fonctionnement. Cela passe par en effort sur quatre points majeurs :

- les services : on doit regarder les dépenses d'assurance de véhicule, de bâtiment, du chauffage, les contrats d'entretien, de gardiennage….Afin de diminuer ces dépenses

- les subventions : pendant 40 ans le conseil départemental a distribué beaucoup de subventions. Des subventions pour les petites communes, pour les salles de fêtes, pour les piscines, parkings etc. Aujourd'hui il faut mettre un terme à cela, et réguler ces subventions.

- les associations : les associations doivent participer à la baisse de la dépense publique.

- les dépenses de personnels : il faut porte une attention particulière aux remplacements, recrutements et  congés maternité et maladie. Dans le privé lorsque vous êtes absent après la fin de votre délai de carence c'est la Sécurité sociale qui vous prend en charge. Or dans le public, vous êtes à la charge de l'employeur public. Donc si vous avez un agent malade et que vous le remplacez, vous le payez deux fois.

Les départements ont failli faire les frais de la dernière réforme et les voici aujourd'hui sous pression. Or, les Français semblent avoir un sentiment d'appartenance et de proximité assez fort avec les départements : quel est l'intérêt alors pour le gouvernement de mettre la pression autour de ces derniers ?

Jean-Luc Bœuf: Le sentiment d'appartenance aux départements existe toujours mais il est beaucoup moins prégnant qu'auparavant.  Les populations identifient principalement leur maire, ils le connaissent, c'est la personne d'identification, c'est lui le relais social. Alors que le conseil départemental va être plus perçu comme une grosse cagnotte.

Le gouvernement ne cherche pas spécialement à resserrer l'étau sur les départements, il cherche juste à diminuer ses déficit publics. Il n'a toujours pas trouvé le bon échelon à supprimer.  

Laurent chalard : Il faut savoir que le département est l'une des plus anciennes divisions territoriales de France dont la création remonte à la Révolution française. Pour l'ensemble de nos concitoyens c'est une entité administrative avec laquelle ils ont grandi qui est inscrite dans le temps et dans la vie quotidienne. Un exemple tout simple, notre adresse postale comporte notre numéro de département tout comme nos plaques d'immatriculation, beaucoup de gens s'identifient encore à ce numéro. Il y a encore pas mal de "querelles de clocher" entre départements voisins justement parce que il y a une identification très forte.

Le sentiment d'appartenance est ancré au fond des gens, ils se sentent du Rhône, du Tarn, de la Marne. Il y a un attachement surtout parce que c'est un cadre ancien et historique, ce qui n'est pas le cas des régions qui sont beaucoup plus récentes avec un réel pouvoir seulement depuis les années 80. Le découpage des régions en lui-même est assez ancien mais l'existence des régions en tant que collectivité territoriale est très récente. D'autant plus que le gouvernement est en train de modifier leur périmètre ce qui montre qu'il n'y a pas de réel attachement. Au contraire les départements disposent du même périmètre depuis plus de deux siècles.

Avant de se poser la question de connaître l'intérêt pour le gouvernement de resserrer l'étau, il faut se replacer dans le cadre européen. Toutes les décisions majeures prises en France sont d'abord décidées au niveau européen. L'Union européenne souhaite supprimer les échelons traditionnels de l'Etat nation. L'Etat devra être remplacé par l'Union européenne elle-même, le département par la région et les communes par les intercommunalités. Il y a une volonté au niveau de l'Union européenne de changer l'échelle de l'organisation administrative des Etats européens. Nos dirigeants actuels suivent cette logique. Là-dessus se greffe un élément politique. Les départements sont traditionnellement plutôt à droite puisqu'il y a une surreprésentation des intérêts ruraux. En effet, les cantons majoritaires dans les départements sont ruraux et donc traditionnellement à droite. Au contraire, les cantons urbains plus à gauche sont minoritaires. Le parti socialiste essaie donc bien évidemment de supprimer un échelon qui ne lui est pas favorable. C'est un calcul politique qui, par définition, ne prend pas en compte le long terme. Ils se reposent sur les régions socialistes jusqu'au moment où ils les auront perdues. 

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