Pourquoi Valls prend un risque en affirmant : "Nous frappons tous ceux qui préparent des attentats contre la France"<!-- --> | Atlantico.fr
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Manuel Valls en visite en Jordanie.
Manuel Valls en visite en Jordanie.
©Reuters

Œil pour œil

Le Premier ministre français, Manuel Valls, était dimanche 11 octobre en Jordanie, pays d’où décollent certains chasseurs français qui mènent des frappes aériennes contre Daech. A cette occasion, il a déclaré : "Nous frappons Daech et tous ceux qui, au sein de Daech, quelles que soient leurs origines ou leurs nationalités, ont décidé de frapper la France et donc de frapper leur propre pays". Reste à savoir sur quelles preuves il se base.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : Le premier ministre français a déclaré : « Nous frappons Daech et tous ceux qui, au sein de Daech, quelles que soient leurs origines ou leurs nationalités, ont décidé de frapper la France et donc de frapper leur propre pays ». Quelles sont les preuves dont disposent l'Etat français et Manuel Valls que des Français  - ou d'autres - contribuent directement ou indirectement à perpétrer des attentats sur le territoire français ? De façon plus large, qu'est ce qui prouve que l'Etat Islamique a essayé de mener ou tenter de mener des attentats en France ? 

Alain RodierQue des Français commettent des attentats sur le sol national (ou en Belgique dans le cas de Mehdi Nemmouche qui a bien servi dans les rangs de Daesh), c’est évident, il suffit de regarder les évènements passés. Qu’il y ait un risque majeur qu’il y en ait d’autres est une certitude.

Mais ce qui continue à me gêner, c’est que l’on parle sans cesse de Daesh alors que les attentats dirigés contre Charlie Hebdo en janvier ont été planifiés, organisés, exécutés et revendiqués par Al-Qaida dans la péninsule arabique (AQPA) qui est le bras armé pour les opérations extérieures d’Al-Qaida central (le commandement d’Al-Qaida) basé au Pakistan.

Par contre, il est vrai que presque toutes les autres actions terroristes qui ont eu lieu depuis décembre ont été attribuées à la « mouvance » de Daesh. Certains auteurs (dont Sid Ahmed Ghlam qui a assassiné une malheureuse avant de se mettre une balle dans la jambe) auraient communiqué avec des individus présents en Syrie. Enfin, Daesh a « félicité » les auteurs de ces actions mais ne les a pas revendiqué formellement. La nuance est importante. Cela tend à prouver que ce mouvement n’a pas été à la base de ces opérations même s’il encourage tous les volontaires à passer à l’action là où ils le peuvent et avec les moyens qui sont à leur disposition.

Le fait de cibler uniquement Daesh ne peut se comprendre que parce qu’il a été décidé en haut lieu qu’il ne fallait rien faire pour « aider », même indirectement, le régime de Bachar el-Assad. Or, Al-Qaida est au contact direct des forces gouvernementales syriennes dans tout l’ouest du pays via différentes « coalitions » dont l’« Armée de la conquête » qui s’est emparée de la province d’Idlib au printemps dernier. Si les Russes n’étaient pas intervenus à partir du 30 septembre, il est possible que les rebelles salafistes-djihadistes se seraient emparés de la région de Lattaquié et d’une partie de la côte méditerranéenne syrienne ce qui aurait marqué le début de la fin pour le régime en place à Damas. Daesh est, pour l’instant, moins menaçant pour Bachar el-Assad même s’il tient la grande moitié est (globalement désertique en dehors des grandes villes) du pays.

Alors, le discours officiel européen, et français, met en avant Daesh qui est, certes, extrêmement redoutable mais minimise considérablement Al-Qaida, son émanation officielle syrienne, le Front al-Nosra, et d’autres mouvements qui lui sont plus ou moins rattachés. Tout le monde semble avoir un trou de mémoire concernant le pouvoir de nuisance (certes diminué) de la nébuleuse initiée par Ben Laden qui est à l’origine des attentats du 11 septembre 2001, de ceux de Madrid en 2004 et de Londres en 2005.

Bien évidemment, je n’ai pas à connaître les « sources » dont parlent les autorités françaises mais je pense que les débriefings des « rentrés de Syrie » doivent être parfois très instructifs sur les localisations des lieux où ils ont séjourné et sur les discours qui leur ont été tenus par les djihadistes locaux. Les reconnaissances aériennes et les échanges avec nos alliés, particulièrement avec les Américains, doivent permettre de recouper ces informations. C’est cet ensemble de renseignements qui permet de déterminer les objectifs à frapper.

Quels sont les moyens dont la France dispose dans la région pour collecter de telles informations ? 

Comme je l’ai dit ci-avant, les observations aériennes (avions et satellites), les écoutes et les échanges avec les alliés constituent la base du dispositif de recueil de renseignements sur place. Pour le reste, cela relève du secret défense, et même si j’y avais accès, ce qui n’est pas le cas, je ne pourrais rien vous dire.

Dans l'hypothèse où l'Etat français détient des preuves, pourquoi ne sont-elles pas communiquées ? La France ne s'expose-t-elle pas à une suspicion, contribuant à dégrader son crédit et son image ? Quelles peuvent-être les conséquences pour la France ?

Malheureusement, quoiqu’en disent les responsables politiques français, l’image de la France est déjà considérablement dégradée à l’étranger et en particulier au Moyen-Orient. Les pays ne nous voient plus comme une grande puissance mais comme un fournisseur d’armes réputé qui peut suppléer en partie aux manques américains. En effet, ces derniers limitent parfois leurs fournitures pour des raisons politiques. C’est le cas en Egypte où ils veulent bien fournir des avions de combat mais pas l’armement qui va avec car Washington a décidé que le régime du président Sissi est douteux. Par contre, les deux navires Mistral vont être utiles car le Caire a commandé les hélicoptères russes qui vont avec. De toutes façons, la morale et la politique étrangère sont deux choses différentes…

Entrer dans une logique où des frappes sur un territoire étranger sont justifiées dés lors qu'une menace pour la France est avérée, ne conduit-il pas soit à un stratégie militaire que la France ne peut assumer, soit à s'exposer à la critique du "deux poids, deux mesures" ?

La notion de « légitime défense » avancée par le gouvernement français implique que l’on détient des preuves de la préparation d’actions terroristes sur notre sol. En Irak, c’est différent car nous intervenons à la demande d’un gouvernement légal qui a sollicité l’assistance de la communauté internationale.

Au passage, les Américains et la coalition qui frappent en Syrie sont aussi dans l’illégalité vis-à-vis du droit international puisqu’il n’y a pas eu de résolution du Conseil de sécurité de l’ONU à ce sujet. Mais on sait que nos amis américains s’assoient facilement sur les principes quand cela les arrange. C’est le privilège d’être la première puissance militaire mondiale et d’être persuadé de représenter le « bien » sur terre. Par contre, à la différence de ce qui se passe en Ukraine, les Russes sont dans la légalité puisqu’ils interviennent à la demande d’un gouvernement reconnu internationalement même s’il est honni en raison de ses exactions passées et présentes.

Quant à ces fameuses « preuves », je pense que ce sont surtout des « indices concordants » qui se basent sur les déclarations orales et écrites (via la revue Dabiq et les messages agressifs qui circulent sur le net) de Daesh qui ne cesse de menacer le monde entier en général et la France en particulier. Mais, Al-Qaida fait de même via la revue Inspire et les menaces répétées de son émir, le docteur Ayman al-Zawahiri.

Si l’on veut combattre à la base les menaces terroristes qui pèsent sur la France, la logique militaire voudrait que l’on frappe aussi Al-Nosra en Syrie et AQMI au Yémen. En dehors du fait que la France n’en n’a pas les moyens, elle n’en n’a pas la volonté non plus.

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