Qui ferait mieux que François Hollande comme Président ? Derrière le classement des réponses, une sourde mais profonde crise politique<!-- --> | Atlantico.fr
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Aux yeux des Français, Alain Juppé, Christine Lagarde ou Manuel Valls ferait un meilleur Président que François Hollande.
Aux yeux des Français, Alain Juppé, Christine Lagarde ou Manuel Valls ferait un meilleur Président que François Hollande.
©Reuters

Euh...

SONDAGE EXCLUSIF - Face à la multitude de concurrents de François Hollande, l'institut Elabe a demandé aux Français qui pourrait faire mieux que notre Président actuel. Les résultats surprenants de ce sondage traduisent un vrai déficit de confiance et de crédibilité dans le monde politique, où François Hollande, bien qu'impopulaire et jugé inefficace, n'est pas si mal placé.

Yves-Marie Cann

Yves-Marie Cann

Yves-Marie Cann est Directeur en charge des études d'opinion de l'Institut CSA.
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Jean-François Kahn

Jean-François Kahn

Jean-François Kahn est un journaliste et essayiste.

Il a été le créateur et directeur de l'hebdomadaire Marianne.

Il a apporté son soutien à François Bayrou pour la présidentielle de 2007 et 2012.

Il est l'auteur de La catastrophe du 6 mai 2012.

 

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Atlantico : D’après le sondage Elabe-Atlantico publié ce lundi 12 octobre, plusieurs personnalités sont jugées plus crédibles que François Hollande pour occuper la fonction présidentielle. Aux yeux des Français, Alain Juppé, Christine Lagarde ou Manuel Valls arrivent en tête des personnalités citées. Comment interpréter ces réponses ?

Yves-Marie Cann : Parmi les dix-neuf personnalités testées dans notre sondage, trois d’entre elles se distinguent en effet avec un indice de crédibilité présidentielle positif. Comme en avril dernier, c’est Alain Juppé qui arrive en tête du classement : 34% des personnes interrogées estiment que le Maire de Bordeaux ferait mieux que François Hollande s’il était Président de la République, contre 19% estimant qu’il ferait moins bien (soit un indice positif : +15). Christine Lagarde et Manuel Valls occupent respectivement la deuxième et la troisième place de notre classement. Ces résultats s’expliquent pour beaucoup par le contexte d’impopularité auquel fait face François Hollande en tant que Président de la République. A titre d’exemple, dans la dernière livraison de l’Observatoire politique réalisé par Elabe pour Les Echos et Radio Classique, seuls 22% des personnes interrogées déclarent faire confiance au chef de l’Etat pour affronter efficacement les problèmes qui se posent au pays, en baisse de 5 points par rapport à début septembre et au plus bas depuis le début de l’année.

Jean-François Kahn : Le premier constat que l'on peut (et que l'on doit !) faire, c'est que l'on risque d'être contraints, en 2017, de choisir entre des gens dont on ne veut pas. Ce sondage, après d'autres, le prouve de façon éloquente. Il y a aujourd'hui un rejet du trio qui devrait (rien n'est écrit mais c'est probable) se retrouver en 2017 : Nicolas Sarkozy, François Hollande et Marine Le Pen. Marine Le Pen arrive loin dans ce classement, auprès de l'ensemble des Français. Même chose pour Nicolas Sarkozy, qui est pourtant le chef officiel du plus grand parti de droite en France ! Jamais on n'avait vu un chef de droite se retrouver si loin derrière des personnalités comme Christine Lagarde, Alain Juppé ou même François Fillon. Même derrière Manuel Valls, Premier ministre du gouvernement au pouvoir, qui devrait donc subir le feu des critiques. Quant à François Hollande... Peu s'en faut pour constater le rejet dont il fait l'objet.

Il n'existe aucune adhésion pour ces trois personnalités. Valéry Giscard d'Estaing était porté par une adhésion quand il était Président de la République. François Mitterrand également. Nicolas Sarkozy aussi, en 2007. Aujourd'hui, il n'y a aucune forme de ces adhésions, et les Français devront choisir entre trois rejets ; entre la peste et le choléras. Il suffit de réfléchir un peu : un Président élu avec un taux de popularité de 55% tombe à 30% après un an et demi. Imaginons un peu, ce qui n'est encore jamais arrivé, ce qu'il adviendrait pour un Président élu avec 30% seulement de popularité ? Les gens s'en voudront, et  lui feront payer cinq années durant. La situation sera cauchemardesque. Aucun patriote ne peut donc souhaiter que Nicolas Sarkozy ou François Hollande soient les seuls candidats face à Marine Le Pen en 2017.

Pour ce qui est de Lagarde, d'Attali et des différentes personnalités de la société civile citées dans ce sondage, il faut comprendre que leur crédibilité vient en partie du rejet que nous évoquions plus haut. Ce rejet des politiques est tel que toute personnalité qui n'appartient pas à ce cercle mais qui semble pertinente, fiable, part avec un avantage. D'autre part, il faut rappeler que nous avons vécu durant des décennies sous un clivage Gauche-Droite, la période Nicolas Sarkozy était clivante (et continue à l'être puisque l'homme l'est toujours)... François Hollande n'est pas clivant en tant que tel, mais il l'est au travers de ce qu'il incarne : la gauche. Il y a une espèce de recherche, de prime au leader affirmé mais sans être trop clivant. Cela témoigne d'un consensus dans l'opinion Française, en faveur d'une idée de convergence. L'idéal ce serait donc un gouvernement – irréaliste – qui réunirait Alain Juppé, Christine Lagarde, François Bayrou, Manuel Valls et peut-être même François Fillon. Cette aspiration existe véritablement chez les Français. Par conséquent, tout homme politique dont on pense qu'il pourrait dépasser ces clivages et éviter une redondance des affrontements bénéficie d'un avantage. D'où la présence d'Alain Juppé ou de Manuel Valls au sommet des réponses.

En ce qui concerne Alain Juppé, plus spécifiquement, il est important de noter que la gauche n'aurait aucune chance d'être élue s'il était (lui ou un autre candidat de consensus) le candidat de la droite en 2017. La seule chance de la gauche, la seule chance de François Hollande, c'est Nicolas Sarkozy. Néanmoins, outre cette aspiration à un consensus et à une certaine convergence, on constate également une aspiration à discours cohérent, qui tient sur la durée et qui s'affirme. C'est pourquoi Fillon fait, pour la première fois, un meilleur score que Nicolas Sarkozy : ce qui joue en sa faveur c'est son discours et le côté Churchillien "Je vous promets du sang et des larmes". C'est cohérent, il ne change pas d'avis comme de chemise et ne donne pas l'impression de jouer. Cela vaut également pour Martine Aubry qui, jusqu'à récemment, était très impopulaire à gauche. Mais parce que son discours est plus cohérent, elle finit, aux yeux des gens de gauche, à faire mieux que François Hollande.

Une bonne partie des concurrents de François Hollande sont jugés moins efficaces que lui. Et les personnalités qui arrivent en tête du classement ne semblent guère convaincre beaucoup plus que le chef de l'Etat. Qu'est-ce que cela traduit ?

Yves-Marie Cann : Compte-tenu de l’impopularité de François Hollande, nous aurions en effet pu nous attendre à ce que d’autres personnalités profitent à plein de ce contexte dans les réponses qui nous sont données par les Français. Or nous observons qu’aucune majorité absolue ne se dégage en faveur d’une ou plusieurs personnalités. De tels résultats témoignent d’un contexte de défiance généralisée à l’égard du personnel politique aujourd’hui en France. Les critiques sont certes nombreuses à l’encontre de François Hollande, mais aucune autre personnalité ne s’impose pour autant dans l’esprit d’une majorité comme alternative incontestée. Par ailleurs, ces résultats résultent aussi de la tripartition de l’espace politique à laquelle nous assistons depuis plusieurs mois et qui tend à tasser les résultats des personnalités issues de l’opposition. Il convient ainsi de relever que si 70% des sympathisants de la droite et du centre estiment qu’Alain Juppé ferait mieux que François Hollande, ce jugement n’est partagé que par 27% des sympathisants du Front national. De même, Alain Juppé ne recueille que 13% de réponses positives auprès des sympathisants de gauche.

Jean-François Kahn : Pour certains, il est important de préciser que la cotte de notoriété est moins forte. C'est nécessairement quelque chose qui joue aussi. Il est surprenant de voir, néanmoins, que Nicolas Sarkozy n'est pas jugé au moins aussi efficace que François Hollande. A ma connaissance, c'est le premier sondage à aller en ce sens. Cela montre, au sens global, une perte de la crédibilité de notre monde politique. Il y a clairement une dégradation à ce niveau. François Hollande s'est installé dans l'impopularité, qu'il a cependant réussi à stabiliser (certains s'attendaient à ce qu'il chute plus encore), avec un plafond à 22% ou 23%. Il reste le Président le plus impopulaire de toute l'histoire de la Vè République, mais ce qui est nouveau c'est la dégradation spectaculaire de la côte de Nicolas Sarkozy. Et l'histoire "Morano" n'arrangera pas les choses.

Au-delà de ces deux personnalités, le manque de confiance dans le monde politique est généralisé. C'est ce qui explique le phénomène Lagarde, un peu absurde, soit-dit. Pourquoi Christine Lagarde ? Parce qu'elle n'est pas là. Elle est au FMI (ce qui bénéficiait à DSK également). Elle bénéficie du rejet du monde politique, comme les autres personnalités de la société civile. Cela étant, il faut se méfier : à chaque fois qu'une personnalité de la société civile, créditée de scores remarquables et dépassant les personnalités politiques... dès lors qu'il s'investissaient dans la vie politique, s'effondraient. Pensons à Bernard Kouchner. Fort d'une place indétronable dans les côtes de popularité, il s'est présenté deux fois à deux élections législatives et s'est fait battre à chaque fois. Il faut relativiser ce phénomène : quelqu'un qui est populaire quand il ne fait pas de politique perd de sa popularité en entrant dans le monde de la politique.

Si à droite, de nombreux candidats disposent d’un indice crédibilité positif, à gauche la situation semble plus compliquée. Comment expliquer cette absence de candidats présidentiables à gauche ?

Yves-Marie Cann : En effet, seuls Martine Aubry et Manuel Valls enregistrent un indice de crédibilité positif auprès des sympathisants de gauche (respectivement +14 et +11). A l’inverse, pas moins de neuf personnalités enregistrent un indice de crédibilité positif auprès des sympathisants de la droite et du centre, au premier rang desquels Alain Juppé, Christine Lagarde, François Fillon et Nicolas Sarkozy. De tels résultats à gauche constituent plutôt une bonne nouvelle pour François Hollande puisque malgré les critiques exprimées, aucune alternative de gauche ne semble vraiment s’imposer dans les esprits. Martine Aubry et Manuel Valls enregistrent certes un indice de crédibilité positif mais les sympathisants de gauche ne sont respectivement que 33% et 30% que la Maire de Lille ou le Premier ministre feraient mieux que le chef de l’Etat à sa place.

Jean-François Kahn : Je crois qu'il y a, incontestablement, une crise de personnel politique à gauche. C'est clair et net. Il y a eu une époque où six à sept personne se partageaient l'aspiration, la popularité. On peut penser à Rocard, Mitterrand, Mendès-France, et d'autres. Aujourd'hui, il y a une polarisation surprenante. C'est étonnant, d'ailleurs, qu'Arnaud Montebourg ce soit si peu affirmé : je m'attendais à ce que trois personnalités de gauche émergeraient, qui rentreraient dans trois cases spécifiques. Arnaud Montebourg, qui incarnerait une gauche radicale, de mouvement, Martine Aubry pour une gauche plus traditionnelle et Manuel Valls pour une gauche-centriste, plus libérale. Pour Manuel Valls, cela marche, et cela vient du fait qu'un certains nombre de gens de droite l'apprécient (ce qui ne signifie évidemment pas qu'ils voteraient pour lui !). De son côté, Martine Aubry jouit d'une véritable adhésion, c'est l'accession du coeur de cible de la gauche classique. En revanche, personne n'a su s'affirmer au nom des Frondeurs, et c'est ça qui est très intéressant. Les déçus de la gauche, c'est quelque chose de très fort en France. Nombreux sont ceux qui s'estiment trahis par la politique de "droite" menée par le gouvernement, mais étrangement aucune personnalité ne s'affirme avec un fort taux d'adhésion pour représenter ce courant-là.

Néanmoins, il m'apparait primordial de revenir sur la question de ce sondage : "Qui ferait mieux ?". Il ne s'agit pas d'un sondage de popularité, ce qui joue contre Marine Le Pen par exemple. On peut très bien vouloir voter pour elle, ou pour Jean-Luc Mélenchon, sans estimer que ces deux candidats feraient nécessairement mieux une fois installée dans la fonction présidentielle. Il faut faire la différence entre la crédibilité et la popularité.

Peut-on dire de ce sondage qu’il est représentatif du choix que les Français auront à faire en 2017 ? Doit-on s’attendre au trio Juppé-Lagarde-Valls plutôt qu’à celui Sarkozy-Le Pen-Hollande ?

Yves-Marie Cann : Je ne le pense pas, et ceci pour plusieurs raisons.  D’abord parce que ce n’est pas ce que cherche à mesurer ce sondage qui porte uniquement sur la crédibilité présidentielle par comparaison avec l’actuel chef de l’Etat. De plus, la question ne portait pas sur les préférences des personnes interrogées ou le fait de désigner celui ou celle qui leur semble le plus à même de faire gagner leur camp en 2017. Il s’agit pourtant de dimensions importantes à prendre en compte.

Notre sondage Elabe-Atlantico apporte toutefois trois informations essentielles pour la course présidentielle de 2017. La première, c’est qu’aucune personnalité de gauche ne semble aujourd’hui en mesure de faire barrage à une candidature de François Hollande. La deuxième, c’est qu’Alain Juppé prend l’ascendant sur Nicolas Sarkozy auprès des sympathisants de la droite et du centre même si les seuls sympathisants « Les Républicains » penchent toujours plutôt en faveur de l’ancien chef de l’Etat. On voit combien la mobilisation sera un enjeu primordial pour l’issue de la primaire de novembre 2016. La troisième information essentielle, c’est enfin que les sympathisants du Front national font bloc derrière Marine Le Pen : 87% estiment qu’elle ferait mieux que François Hollande si elle était Président de la République.

Jean-François Kahn : Non, justement ! Il est représentatif du choix auquel les Français aimeraient être confrontés. Ils apprécieraient sans doute un trio Valls-Juppé-Le Pen, dans la mesure ou Marine Le Pen ne peut pas vraiment être remplacée. C'est le choix qu'ils n'auront pas. Pour la première fois dans l'histoire politique, il n'y aura pas d'exemple, les Français vont devoir voter sur un rejet. Et je trouve cela incroyable qu'on sous-estime à ce point le traumatisme que cela provoquerait. Les gens seront peut-être condamnés à des choix dont ils ne veulent pas. En 2012, quand bien même les choix n'étaient pas enthousiasment (et on le paye), il demeurait une dynamique Sarkozy, et une dynamique Hollande. Aujourd'hui, il n'y a plus rien, sinon des rejets nettement majoritaires.

Méthodologie & lecture du sondage :

Propos recueillis par Vincent Nahan

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