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Bienvenue dans le capitalisme 3.0 : le travail éclaté
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Bonnes feuilles

Sommes-nous à l’aube d’un hyper capitalisme marchand où tout sera à vendre ? Ou inversement la société va-t-elle se convertir à l’échange et au partage ? Enfer ou paradis ? Un voyage au cœur du nouveau monde qui nous attend. Extrait de "Bienvenue dans le capitalisme 3.0", de Philippe Escande et Sandrine Cassini, publié aux éditions Albin Michel (2/2).

Sandrine  Cassini

Sandrine Cassini

Sandrine Cassini est journaliste aux Echos, spécialisée dans les technologies et les médias.

 

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Philippe Escande

Philippe Escande

Philippe Escande dirige le supplément économique du Monde. Il a déjà publié Les pirates du capitalisme (avec Solveig Godeluck, Albin Michel, 2008).

 

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S’inscrivant dans cette tendance, la révolution numérique vient parachever le mouvement. Tout d’abord, en écrasant les niveaux hiérarchiques. Comme dans la PME de clôtures d’Angoulême, les petits chefs disparaissent progressivement. Du moins ceux qui assoient leur pouvoir sur le savoir et la surveillance. Voilà vingt ans que les entreprises cherchent à réduire les niveaux de hiérarchie, c’est même l’un des objectifs du « lean management » que l’on tente d’appliquer jusque dans les ministères. Mais le numérique accélère le phénomène.

>>>>>>>>>>>>  A lire également : Bienvenue dans le capitalisme 3.0 : la revanche du consommateur

Avec le mail et plus encore avec les réseaux sociaux d’entreprises, ces Facebook professionnels, les hiérarchies sont court-circuitées, le savoir circule horizontalement et non plus verticalement, comme les manutentionnaires de Lippi, à Angoulême, quand ils utilisent Twitter pour s’échanger informations et tuyaux sur la production en cours et les problèmes rencontrés. Comme le remarque joliment François Silva, chercheur au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) : « A la loi des pères, est en train de succéder la loi des frères. » Le pouvoir des chefs fait place à l’autorité partagée et l’évaluation se fait collective. Le mode traditionnel de contrôle et de commandement, inspiré de l’organisation militaire, devient du pilotage et de l’animation d’équipe en réseau au service d’une mission donnée.

Est-ce pour autant la fin programmée des commandants ? Bernard Ramanantsoa, directeur général d’HEC, l’une des premières fabriques de leaders de France, ne le croit pas : « Il restera toujours de grands groupes et, en leur sein, des gens ayant plus de responsabilités que d’autres. Le cadre en charge d’entités employant plusieurs milliers de personnes continuera d’exercer une responsabilité assez proche de ce qu’elle est aujourd’hui. » Mais il reconnaît tout de même que « l’autorité ne viendra plus du savoir, mais du savoir-être, de la personnalité, du charisme, de la capacité à faire adhérer les hommes à des idées, et surtout de la capacité à les faire travailler ensemble ». Jules César n’aurait pas dit autre chose !

Autre phénomène majeur : l’éclatement dans le temps et dans l’espace de l’entreprise. Le travail à distance, attendu depuis trente ans, entre doucement dans les mœurs. Selon la première enquête sur le télétravail, effectuée en 2012, près de 17 % des Français travailleraient plus de huit heures par semaine en dehors de leur lieu de travail. Ils étaient moins de la moitié en 2002, selon les chiffres de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) et du ministère de l’Economie. Le lien social physique se distend, remplacé par le réseau social omniprésent. Le temps de travail n’est plus un objectif, seule compte la mission. Elle remplace la subordination, symbolisée par la pointeuse qui venait rappeler, comme une horloge, l’idée qu’avec le travail, on achète avant tout du temps humain dans un lieu donné.

Dans les régions surpeuplées comme l’Ile-de-France, le télétravail est attendu comme le messie par une grande majorité des travailleurs qui perdent près d’une heure et quart par jour dans les transports. Jusqu’à douze jours par mois, le télétravail accroît la productivité (Roland Berger) et réduit l’absentéisme (Caisse des dépôts). Et il est plus économique pour le salarié et l’employeur. Reste à faire évoluer le droit du travail. « Il faut repenser toute la relation du salarié au travail, estime Bruno Mettling, le DRH adjoint d’Orange. Remplacer la définition d’un lieu, d’un temps et d’une subordination par une finalité (une mission à accomplir) et une liberté de moyens. » C’est ce que teste Orange dans sa Villa Bonne Nouvelle à Paris, où quatre-vingts personnes travaillent sans contrainte de lieu ni d’horaire. Une sorte de laboratoire expérimental regardé au microscope par la direction du groupe pour imaginer le travail, et l’organisation, de demain.

Enfin, après les hiérarchies et l’espace, le troisième grand changement touche aux frontières de l’entreprise, qui, comme toutes les autres organisations, Etat compris, éclatent. A la fois en interne, entre les services, et en externe, avec l’ensemble de l’écosystème qui englobe fournisseurs, partenaires et clients. Que deviendra l’entreprise dans ce monde fragmenté et recomposé ?

Dès les années quatre-vingt, l’économiste irlandais Charles Handy anticipait un modèle entrepreneurial en forme de trèfle à trois feuilles. La première est le cœur avec un petit nombre de permanents, très qualifiés et bien rémunérés, pilotant deux autres ensembles bien plus larges : d’une part, un personnel flexible, intérimaire ou indépendant et d’autre part, les sous-traitants. Une organisation très polarisée avec peu de gens, très qualifiés au centre et une masse de précaires à la périphérie.

Une machine à détruire la fameuse classe moyenne, socle supposé de l’idéal capitaliste et démocratique. Dans son livre au titre très explicite, Average is Over (« le moyen c’est fini »), l’économiste américain Tyler Cowen décrit une société de ce type où la classe privilégiée, qui concentre la richesse, ne représente que 15 % de la population. Une thèse cohérente avec l’actuelle explosion des inégalités dans le monde, où, selon l’organisation Oxfam, 1 % de la population détient près de la moitié du patrimoine de la planète.

Extrait de "Bienvenue dans le capitalisme 3.0", de Philippe Escande et Sandrine Cassini, publié aux éditions Albin Michel, 2015.  Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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