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Coup de gueule de Nicolas Hulot sur la COP21 : pourquoi un buzz réussi sur internet aura de la peine à se traduire en réussite politique effective
©Capture d'écran

"Break the internet"

En s'associant avec les youtubeurs de Golden Moustache, Nicolas Hulot a publié une vidéo visant à sensibiliser les jeunes sur les enjeux de la COP21, ce mercredi 7 octobre. Après 24h sur la plateforme vidéo-ludique de google, son spot avait été visionné près de 2 millions de fois. Un buzz réussi, mais qu'il faut encore savoir retranscrire politiquement. Et c'est loin d'être chose simple.

Daniel Boy

Daniel Boy

Daniel Boy est directeur de recherche (FNSP) au CEVIPOF et enseignant au master de Sciences Po notamment en analyse quantitative des données.

Ses recherches se sont développées dans trois domaines : la sociologie électorale, l’écologie politique en France et en Europe, les relations entre science, technique et société.

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Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Atlantico : Récemment, le collectif Golden Moustache a publié sur youtube une vidéo mettant en scène Nicolas Hulot. L’objectif, clairement assumé, est de faire un coup de pub à la pétition de ce dernier et de sensibiliser le (jeune) public aux enjeux de la COP21. Que peut-on dire de cette façon de faire de la communication politique ?

Daniel Boy : Ce que Nicolas Hulot fait aujourd’hui est assez neuf. Il s’agit d’une acrobatie entre différents modes de communication, à la fois classiques et ceux supposés modernes. Il jongle entre le message d’information suivi d’une pétition et les réseaux sociaux. Ce qu’il est amusant de noter, c’est qu’il se moque beaucoup de la communication dite « moderne » : dans cette vidéo, Nicolas Hulot tourne en dérision les trois jeunes conseillers qui l’invitent à tenter de distribuer ses messages de façon plus « moderne ». Il revient ensuite et adopte le mode de communication le plus ancien de l’époque moderne, soit la pétition. Cette dérision des modes de communication plus récents met en exergue la possibilité d’utiliser des techniques plus anciennes, que Nicolas Hulot mixe néanmoins avec celles qu’il tourne en dérision. Preuve en est, la vidéo est sur youtube. 

C’est là que l’idée est bien trouvée. Ce qui marche sur youtube, ce sont les contenus qui tendent à la dérision, qui se moquent du monde. Plutôt que de se contenter de foncer sur les nouveaux modes de communication, Nicolas Hulot préfère s’en approcher en s’en moquant. Ces processus de dérision sont ceux que les internautes apprécient, même quand ils concernent le média qu’ils préfèrent. Le mécanisme choisi consiste à informer sur la COP21 et inciter les gens à signer une pétition visant à faire pression sur les politiques pour qu’ils interviennent dans ce cadre-là. Si ce mécanisme est classique et rejoint ce qu’il avait déjà fait en 2007, la porte d’entrée l’est beaucoup moins.

Je pense que l’on peut dire de Hulot qu’il a compris les ressorts nécessaires à une communication efficace. Rappelons-nous que le film qu’il sortait en 2009, Le Syndrome du Titanic, n’a eu un impact que minime. Et pour cause : le film traitait le problème de fond sur un ton dramatique, approprié au problème donc, mais qui n’a pas pris auprès du public. Il a bien saisi qu’il ne pouvait pas aborder ce problème de cette façon et c’est pourquoi il a employé un ton beaucoup plus léger pour faire passer son message aujourd’hui. La dramatisation ne fonctionne pas, elle ne prend pas auprès des jeunes (les premiers concernés par cette vidéo), ne les mobilise pas.

Après un peu plus de 24h sur youtube, la vidéo caracole à près de 2 millions de vues (1 983 913 vues à 17h15, ce jeudi 8 octobre). En usant d’une accroche originale, Nicolas Hulot peut-il espérer transformer l’essai vers une démarche plus classique qu’est la pétition ?

Daniel Boy : La question est-là. Est-ce que ces jeunes, attirés par le cadre très différent, moqueur, vont se mobiliser une fois de retour dans un cadre plus traditionnel ? Est-ce qu’ils vont cliquer sur la pétition, ou se dire « non, ça ne m’intéresse pas, c’est politique » ? C’est la question. Il est certain qu’il va attirer tout un public, mais on ne peut pas encore dire s’il parviendra à le faire entrer dans un mode de pression plus classique qu’est la pétition. Cela suppose plusieurs choses : d’une part que l’on sache ce qu’est une pétition, qu’on soit en accord avec le fait de la signer, qu’on la croie efficace, qu’on croie les politiques (dans ce cas-ci, spécifiquement) capables d’agir…

Cette accroche est intéressante et peut mobiliser les jeunes. La conclusion revient à un mode classique, et tout le pari est de déclencher un comportement électoral classique en partant d’une accroche qui ne l’est pas. Le lien entre le nombre de vues sur youtube et le nombre de signatures à la pétition n’est pas automatique. C’est un pari intéressant, dont on connaîtra bientôt le résultat.

Si on s’attarde à ce qu’il exprime de façon plus globale et à la portée de son message, on s’aperçoit que c’est déjà plus traditionnel. Tous les politiques publient des livres et les siens sont peut-être moins ennuyeux que les autres, mais suivent la même construction, d’une certaine façon. Il est peu probable que les jeunes qui ont vu la vidéo se précipiteront sur son livre pour l’acheter.

Au travers de la vidéo qu’il a récemment mise en ligne, Nicolas Hulot peut-il espérer atteindre son objectif politique ? S’agit-il d’une stratégie susceptible d’être payante ? Pourquoi ?

Bruno Cautrès : La vidéo mise en ligne par Nicolas Hulot a d’abord et avant tout comme objectif de frapper les esprits des jeunes générations pour qui la vidéo est un mode de communication par excellence et notamment à partir du moment où le message casse les codes habituelles de la communication politique : scénario marrant, scènes humoristiques, vocabulaire et langage de la vie de tous les jours des jeunes, rapidité. La tonalité employée correspond bien au contenu du message : l’urgence d’agir pour le climat qui commande de bousculer les politiques et de leur demander de « se bouger ». Plusieurs phrases de la vidéo ciblent d’ailleurs les hommes politiques « qui ne pensent qu’à se faire réélire » et qui se devraient se rappeler pour quoi ils ont été élus, référence sous-jacente à ceux qui avaient signé la Charte de Nicolas Hulot en 2007.

Mais les objectifs de cette vidéo sont aussi de mettre en scène Nicolas Hulot (« Yolo » dans la vidéo) : depuis plusieurs mois Nicolas Hulot est en mission auprès de François Hollande et dispose d’un bureau à l’Elysée pour préparer la conférence COP21. Il s’agit donc pour Nicolas Hulot de faire connaître cette conférence et ses enjeux alors même qu'elle a toutes les chances de passer inaperçue auprès de nombreux publics et notamment des jeunes qui ne suivent pas spécialement l’actualité politique.

On peut se demander si, au-delà de ces objectifs immédiats, cette vidéo n’en a pas un autre : à un moment où l’écologie politique traverse une fois de plus une crise très profonde en France, où EELV est en train d’exploser et donne le spectacle d’une organisation tournée sur elle-même et seulement préoccupée d’une lutte des clans et où émerge une nouvelle formation politiques ("Écologistes !") visant à rassembler plus large et à fonctionner différemment, on peut se demander si Nicolas Hulot ne cherche pas à prendre date. L’élection présidentielle de 2017 se rapproche est sans doute que Nicolas Hulot voudra se rappeler au bon souvenir de tous, lui qui s’était plié au jeu de la primaire chez EELV qui lui avait préféré Eva Joly.   Si tels sont les objectifs variés de Nicolas Hulot à travers cette vidéo, cela peut l’aider. Mais bien évidemment, cela ne suffira pas. Une communication efficace doit avant tout baliser le champ de vision de ceux qui la regarde d’un projet et d’une stratégie lisible. Le nombre de signataires de sa pétition, pétition qui s’affiche comme l’un des objectifs de la vidéo vers la fin de celle-ci, sera un élément clef pour cette éventuelle stratégie de « montée en puissance » en direction de peser sur les débats de la présidentielle 2017.

D’après un sondage publié le 3 octobre sur Atlantico.fr, Nicolas Hulot représente  bien plus qu’Eric Zemmour ou que Jacques Attali, au sein de la société civile : 34% des Français seraient prêts à voter pour lui s’il se présentait. Concrètement, qui est-il aujourd’hui dans le paysage politique français ?

Daniel Boy : Il est essentiel de rappeler qu’aujourd’hui, il n’y a pas grand monde de crédible dans la société civile. On n’y trouve pas de héros, simplement des philosophes comme Michel Onfray, Eric Zemmour ou Alain Finkielkraut qui s’étripent sur différentes chaînes de télévision. Ceux-là ne peuvent pas devenir des personnalités importantes en raison de cette impression : ils ont plus l’air de s’entre-déchirer entre eux que de faire avancer les choses.

Jacques Attali souffre d’autres problèmes. Il apparait un peu triste mais aussi assez arrogant. De son côté, Nicolas Hulot présente un certain passé qui parle à ceux qui ne sont pas tout jeunes aujourd’hui, mais qui approchent des 25-30 ans. En 2007, il aurait pu se présenter et a réussi à créer une pression sur les marchés. Ceux qui se souviennent de ça réalisent qu’il avait réussi à construire quelque chose d’intéressant : une écologie politique, mais dépolitisée. Pas orienté extrême gauche, comme c’est le cas pour les Verts aujourd’hui, mais pragmatique et décidée à faire évoluer la situation.

En outre, il jouit d’un certain capital sympathie auprès de la population, un peu comme c’était le cas pour Jacques-Yves Cousteau. Il garde la bonne image, grâce à Ushuaia, d’un homme qui connait bien la nature. Tout ce passé qu’il a derrière lui génère un courant de sympathie à son égard, mais je doute que 34% des Français votent néanmoins pour lui. Ce qu’il importe de mentionner, c’est qu’il est au-dessus des autres dans la société civile, notamment en raison du désert qui y existe par les temps qui courent. Le clivage qu’on rencontre en politique se reproduit dans la société civile, dont les acteurs s’entre-tuent à peu près autant que les hommes politiques. Il n’y a donc plus grand-chose d’intéressant à ce niveau, à l’exception de quelques experts pour lesquels il est difficile de s’enthousiasmer.

On peut peut-être voir en lui une espèce troisième homme, dans la mesure où le troisième homme en politique, c’est celui qui survient sans être ni de droite, ni de gauche, pour proposer une solution alternative. Si on considère l’écologie comme quelque chose de transversal aux différentes tendances politiques et si on considère que Nicolas Hulot l’est également, alors il apparait effectivement comme un troisième homme du paysage politique français.

Nicolas Hulot est actuellement envoyé spécial pour la protection de la planète de François Hollande. En publiant une vidéo de la sorte, ne joue-t-il pas un jeu ambigue qui pourrait le desservir, politiquement ?

Bruno Cautrès : Il est bien sûr toujours ambigu d’être à la fois dans l’action politique concrète (préparation de la COP21 aux côtés de François Hollande)  et dans la critique des politiques, qui ne « se bougent pas ». Mais la vidéo a toutes les chances d’être plutôt vue comme le signe du réel engagement de Nicolas Hulot et qu’il est toujours libre de sa parole. Par ailleurs, en réalisant cette vidéo, Nicolas Hulot est en fait assez en phase avec toute sa trajectoire qui a toujours été marquée par le fait de montrer des images fortes en ce qui concerne son engagement et l’urgence de « sauver la planète ». La crise de l’écologie partisane en France est telle qu’il y a incontestablement une créneau possible pour ceux qui voudront communiquer sur les problèmes de l’environnement en des termes qui parlent aux Français. A cet égard, l’exercice est plutôt réussi. Mais que va-t-il sortir de la COP21 ? Et quel bilan Nicolas Hulot en fera t’il lui-même ? En mettant sur le web cette vidéo, il prend date si jamais la « montage accouchait d’une souris »…..

Après avoir tenté de faire pression sur les politiques, Hulot s’est rapatrié sur une stratégie plus classique en 2012. Dans quelle mesure la publication de son ouvrage ainsi que de sa vidéo traduisent l’évolution de sa stratégie politique ?

Daniel Boy : Avant 2007, Nicolas Hulot agissait selon une stratégie de pression générale et médiatique. Celle-ci consistait à dire « je suis Nicolas Hulot, je connais la nature et ce qui se passe est une catastrophe ». C’est ainsi qu’il essayait de convaincre les gens. En 2006 et 2007, il a adopté une stratégie politique visant à faire pression sur les acteurs politiques français. Pour ce faire, il a tâché de leur faire peur, en s’annonçant comme candidat à l’élection présidentielle. Cela a effectivement terrorisé les candidats qui sont tous venus signer le pacte écologique. La logique de cette stratégie, qu’il n’a pas poursuivie, aurait été de se présenter aux élections. A terme, ces pressions ont abouti sur une inflexion des politiques publiques, avec le Grenelle de l’environnement. Au fond, cette stratégie lui a permis de gagner des choses.

En 2012, il a essayé de s’allier avec les Verts et a cherché à devenir leur candidat pour l’élection présidentielle. Ce fut un raté complet. Les Verts lui ont préféré Eva Joly, qui a rassemblé environ 2% des voix. On constate donc qu’il a essayé les deux méthodes : celle de pression sur les politiques a plutôt bien fonctionné tandis que celle qui consistait à s’associer avec un parti a échoué.

Aujourd’hui, il revient sur le modèle de sa stratégie de 2007. Il cherche à faire pression, au travers de cette pétition, sur les politiques. Néanmoins, à l’inverse de 2007, cette pétition ne concerne pas un programme politique au complet, c’est beaucoup plus vague. Il n’y a qu’un message « faire pression sur les politiques pour qu’ils prennent au sérieux la COP21 ». C’est déjà beaucoup plus limité, mais ne témoigne pas d’une évolution à proprement parler. Pour ça, il faut se diriger sur la méthode qu’il emploie, avec cette petite accroche à la fois moqueuse et informative, qui cible spécialement les jeunes contrairement à ce qu’il faisait en 2007.

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