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Banques dégradées et dette record : l'Allemagne aurait-elle menti ?
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GroBe Panik

Affectée à son tour par la pression des marchés, l'Allemagne voit ses banques dégradées par l'agence Moody's et peine à trouver preneur pour ses obligations souveraines... Première partie d'une série en deux épisodes consacrée à la crise de la dette allemande.

Pascal Ordonneau

Pascal Ordonneau

Pascal Ordonneau est l'ancien patron du marketing chez Citibank, ancien Directeur général des groupes Crédit Lyonnais et HSBC.

Il a notamment publié La désillusion, abécédaire décalé et critique de la banque et de la finance, paru aux éditions Jacques Flament en 2011.  Il publie également "Au pays de l'eau et des dieux"

Il tient également un blog évoquant les questions économiques et financières.

 

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Les agences de notation ont redécouvert une invention française : le fusil à tirer dans les coins. Donc, elles ont deux moyens pour descendre en flamme la valeur d’une dette souveraine. Primo : le tir direct. La petite lueur rouge se promène un temps sur la face de la dette, le tireur ajuste son coup, puis, appuie lentement sur la gâchette et tire. Selon la munition employée, selon le temps qu’il aura consacré à l’étude balistique de son coup de feu, il décrochera un A ou deux, ou fera basculer la dette en B.

Secundo : le tir indirect, dans les coins. S’il n’est pas prudent pour l’agence de notation d’exposer ses tireurs, si la cible n’est pas tétanisée comme le sont tous les animaux un peu sensibles par l’annonce de la venue du tireur d’élite, si la cible dispose d’une capacité de feu en retour, alors il vaut mieux procéder différemment : il faut tirer dans les coins sur une partie du corps économique et social moins protégée, et affaiblir indirectement l’ensemble...

Les banques allemandes sont-elles dégradées ?

En plein comité stratégique de l'agence Moody’s, un jeune stagiaire qui dormait à moitié, cauchemardant probablement, s’est réveillé en criant "Dégradons les banques allemandes" comme Tintin, plus elliptique, s’était écrié «"Tchang !". Et c’était une tellement bonne idée que Moody’s obtempérait le 16 novembre 2011 dans la soirée. D’un seul coup, la note de dix banques publiques régionales allemandes a été dégradée de trois crans ! On doit saluer l’artiste ! 10 d’un coup ! Nous n’applaudissons à la décision de Moody’s que parce que nous aimons le beau jeu, le jeu où on ne rechigne pas  à donner des coups, quitte à en recevoir en retour, parce qu’on aime le combat, les coups d’estoc donnés, les coups de taille rendus.

Il est vrai que la décision de Moody’s arrive au moment précis où la Commission européenne a retroussé ses manches et décidé de « réguler » la famille "agence de notation" dans leurs activités contestables en matière de dettes souveraines. "Et si on balançait une avoinée aux agences de notation ?" se serait exclamé un autre stagiaire dans la grande salle du conseil de l’UE, extirpant Barroso des effets d’une hyperglycémie postprandiale. (L’importance ici conférée aux stagiaires n’est qu’une des malheureuses conséquences de la crise : il n’y a plus de CDI, et bientôt plus de CDD, rien que des stagiaires).

Moody’s a voulu faire entendre sa petite musique sur ce sujet et a réagi finement. Il s’agissait de punir tous ceux qui ne lui voulaient pas du bien, tout en ne donnant pas le flanc aux critiques. Premier temps : on s’en prend directement à l’Allemagne, la plus vertueuse du monde occidental, ainsi on ne pourra pas dire que les agences de notation tirent exclusivement sur les ambulances. Mais comme, décemment, on ne peut pas (encore) lui retirer son triple A, on s’en prend aux banques allemandes. On a envie, de s’exclamer comme les potaches : "Kolossale Finesse".

C’est en effet une lapalissade de dire que "quand les banques ne vont pas, rien ne va". La déconfiture de l’Irlande, élève modèle de l’Europe pour les équilibres budgétaires, pour le taux d’inflation et pour l’équilibre de la balance commerciale n’était qu’une façade. La catastrophe est venue de ses banques qui se sont cassées la figure au premier coup de "subprime". Ne parlons pas de l’Islande qui a failli couler dans les eaux glacées du cercle arctique parce que ses banques se sont geysérisées dans un délire de faillites plus ou moins frauduleuses. Donc, dégradant dix banques d’un coup, Moody’s, tout en ne disant rien de la dette souveraine allemande, en a dit beaucoup.

L’Allemagne croulerait sous les dettes ?

Claude Junker, Président de l’Eurogroupe, Luxembourgeois de nationalité, donc nécessairement objectif, ne s’y est pas trompé. Il a commenté l’événement en affirmant que "l'endettement de l'Allemagne est plus élevé que celui de l'Espagne"... "Seulement, ici (en Allemagne) personne ne veut le savoir." Ainsi, les dettes allemandes ne sont pas meilleures que celles des autres et un hiérarque de l’Union européenne explique à des Allemands (il parlait à des journalistes allemands) que si il devait placer ses sous, il irait plein Sud !

Les banques allemandes ne vont pas bien ? La dette allemande n’est pas si bonne que ça ? Et si on continuait les investigations ? Un exemple, l’obstination avec laquelle Angela Merkel s’oppose à l’idée de faire faire à la BCE ce que la Federal Reserve et la Banque d’Angleterre font à tire-larigot : de la monnaie basée sur le financement de la dette d’Etat. Il y a deux versions pour comprendre cette attitude : l’une, belle et noble, c’est cette tendance des Allemands à conduire en regardant dans le rétroviseur.

Répétez à un Allemand ensommeillé successivement : "banque centrale, monnaie", il devrait se réveiller en sursaut en hurlant  "Weimar, non ! Hyperinflation, non !". Il y a là une souffrance économique et monétaire dont la profondeur et la violence auraient dû requérir depuis longtemps le recours à une cure. Peut-être est-il encore temps de mobiliser une armée de psychologues afin d’aider les Allemands à faire enfin leur deuil de l’hyperinflation et leur permettre de surmonter des peurs, jusque là enfantines, mais qui, à force de durer, vont devenir ancestrales ?

En tout cas, comme le dit Claude Junker, "en Allemagne, personne ne veut le savoir" ! Si l’imagination financière des Anglais n’a même pas la décence financière pour limite, l’absence d’imagination bancaire des Allemands confine le handicap mental. On nous dira excessif. On nous  montrera cette magnifique réussite qu’est "Deutsche Börse". Ceux-là qui viennent d’absorber, comme on gobe un œuf, NYSE Euronext, les bourses américaines et les bourses européennes (sauf un bout d’Angleterre et l’Italie). Et on aura raison, c’est vrai que sur les produits dérivés, la bourse allemande a surperformé tout le monde. Mais en matière de banque on est très loin du compte, très, très loin…. les produits dérivés ont fait plonger toutes les banques !

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