En matière de sécurité routière, la répression ne fait pas tout : l’effet inattendu de la météo et du prix du baril sur les mauvais chiffres des tués sur la route<!-- --> | Atlantico.fr
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Ce vendredi 2 octobre se tient un conseil interministériel sur la sécurité routière, notamment en raison de la hausse du nombre de morts sur la route.
Ce vendredi 2 octobre se tient un conseil interministériel sur la sécurité routière, notamment en raison de la hausse du nombre de morts sur la route.
©Reuters

Crash test

En dépit d'une courbe en constante chute depuis 1972, 2014 et 2015 semblent être des années de deuil pour les automobilistes. Le nombre de morts sur la route, en forte hausse depuis maintenant un an et demi, déclenche de nombreuses réactions dans la presse et dans l'opinion. Tant et si bien que ce vendredi 2 octobre 2015 se tient un conseil interministériel ; le premier depuis 4 ans.

Pierre Chasseray

Pierre Chasseray

Pierre Chasseray est délégué Général de l'association 40 Millions d'automobilistes.

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Atlantico : Ce vendredi 2 octobre se tient un conseil interministériel sur la sécurité routière, notamment en raison de la hausse du nombre de morts sur la route. Ces décés interviennent après une phase globale de chute du nombre d'accidents et de morts, et une hausse du nombre de mesures prises. Comment, au vu de toutes les mécaniques de répression actives en France, peut-on expliquer cette inversion de la courbe?

Pierre Chasseray : On peut l'expliquer d'une manière très simple. C'est assez terrible parce qu'un tué sur la route est toujours un tué de trop, et à chaque fois que je tiens ce discours je pense toujours aux familles qui sont endeuillées. Je vais essayer de prendre beaucoup de précautions dans les mots mais c'est très important.
En 2012 et 2013 on a eu deux chutes de la mortalité routière qui s'expliquent par plusieurs facteurs. Le premier est que, quoi qu'il arrive, la sécurité routière s'améliore d'année en année, il y a de moins en moins de tués sur les routes. En outre, en 2012, on a eu une hausse très forte des prix du carburant. Les Français ont beaucoup moins roulé et en plus les conditions climatiques sur 2012-2013 étaient assez complexes, avec des hivers très durs notamment, des étés qui n'étaient pas extraordinaires. Par conséquent, on s'est retrouvés avec moins d'usagers de la route. Logique mathématique pure : moins d'usagers sur la route, moins d'accidents. Ces deux conditions ont donc eu un impact clair sur le nombre de morts : elles ont amplifié la baisse déjà structurelle de la mortalité.
En 2014, les prix des carburants a baissé, les conditions climatiques se sont améliorées. Idem en 2015. Malheureusement, on arrive derrière deux années de chutes "trop" extrêmes par rapport au mouvement tendanciel de base. Logiquement, on reprend une légère, très légère augmentation de la mortalité routière qui n'est d'ailleurs pas linéaire. Décembre 2014 c'est le meilleur mois de décembre de sécurité routière de tous les temps. Puis janvier-février n'est pas bon. Puis mars à nouveau a été très bon. Puis avril-mai 2015 n'était pas bon. Puis juin 2015 était très bon. Et on a eu cet été : pas bon du tout, en comparaison à l'été extraordinaire de l'année passée.  C'est important de mentionner cette comparaison, car si on compare cet été aux cinq ou dix dernières années, on réalise qu'il figure parmi les meilleures étés que la France a pu connaître, en matière de sécurité routière. Cela ne veut évidemment pas dire que les chiffres doivent être acceptés tels quels, ni qu'on ne va pas faire mieux dans les années à venir : on va faire mieux.
Quand un politique annonce qu'un jour il y aura moins de tués sur les routes il enfonce une porte ouverte au pied de biche parce que la réalité c'est que tout le monde sait que tôt ou tard il y aura moins de morts sur les routes. 
Aujourd'hui vont être annoncées des mesures de sécurité routière dans un contexte de hausse de la mortalité. Pour annoncer de telles mesures il vaut mieux, en effet, que ça soit à la hausse. Or, je vous annonce que le mois de septembre 2015 est un bon mois de sécurité routière. Il est meilleur que le mois de septembre des années passées. Cela n'est pas quelque chose qu'on dit, car ça risque de devenir compliqué de justifier des mesures, si les choses s'améliorent sans. Néanmoins, c'est le cas, et si "40 millions d'automobilistes" le sait, en comptant le nombre de tués sur les routes, vous vous douterez que Manuel Valls est particulièrement au courant des chiffres de la mortalité routière et des accidents du mois de septembre. J'exige qu'il donne en toute transparence les chiffres de la mortalité routière de septembre 2015 avant d'imaginer une quelconque mesure répressive forte qui toucherait les automobilistes.

Outre les raisons mentionnées précédemment, quelles sont les raisons qui favorisent les accidents aujourd'hui ? S'agit-il d'un certain "laxisme" au niveau des sanctions ? Quelle place pour les incivilités, le manque d'attention ?

Les petites incivilités, on en croise au quotidien et elles peuvent effectivement être la raison de plusieurs accidents. Force est de le reconnaître : personne n'est parfait. L'important, c'est de responsabiliser les gens, de parvenir à convaincre l'opinion. C'est exactement ce que nous avons tenté de faire la semaine passée en lançant l'opération « je suis un héros, je roule à zéro ». L'idée n'était pas du tout ce que les médias en ont fait (en ruinant toute notre campagne). Nous n'avons jamais réclamé le degré zéro, nous voulions simplement mener une campagne de sensibilisation, à l'anglaise, et tâcher de responsabiliser les gens, de manière à limiter les accidents. Il s'agissait d'avoir un message positif : ne pas boire et conduire. En Angleterre, le taux légal n'est pas à 0.5 mais à 0.8 g. Les accidents mortels liés à l'alcool sont deux à trois fois moins élevés que chez nous. En expliquant que 40 millions d'automobilistes revendiquait le taux 0, les médias ont tué cette campagne que nous lancions, qui visait à sensibiliser, pas à exiger. De ce fait elle a braqué ceux qui ne sont pas d'accords et solidifié les convictions de ceux qui l'étaient.
Pour ce qui est du manque d'attention, des objets connectés... tout dépend de quoi on parle. Je suis persuadé que la voiture connectée sauvera énormément de vies. En revanche, il est indéniable que des objets informatiques comme un GPS présentent de véritables risques et sont responsables de plus d'un accident. Néanmoins, il est important de remettre tout cela dans son contexte. Un GPS provoque des accidents, certes, mais ce risque est bien dérisoire  par rapport à l'avantage qu'il procure. Entre un GPS et une carte dépliée sur le siège du passager, on comprend vite lequel est le plus dangereux. Ce type d'outils connectés apporte plus en sécurité parce qu'il apaise l'automobiliste au volant, qui  est moins stressé. Cela vaut également pour les systèmes type coyote qui avertissent le conducteur des zones dangereuses. Certains présenteront la chose comme « il s'agit de tricher pour ne pas se faire flasher », mais dans les faits, l'automobiliste sait ou se trouve le risque et par conséquent peut adapter sa conduite en conséquence. Concernant d'autres objets similaires comme le téléphone, je comprends largement les risques. L'avoir en main pendant la conduite pose un vrai problème est est dangereux. Il est primordial d'inciter et de réglementer de façon à ce que ce comportement cesse. Pour autant, je reste persuadé qu'il est impossible de retirer complètement le téléphone des voitures. 
Le plus dangereux reste l'application (et toutes celles qui lui ressemblent) dont l'unique objectif de pointer précisément les contrôles alcoolémie des forces de l'ordre sur une carte, expliquer  comment faire pour le contourner. C'est criminel et assassin.
Enfin, sur le laxisme, il faut savoir que la France est le pays le plus répressif d'Europe sur la vitesse. C'est le seul pays en Europe où on enlève un point pour les tous petits excès de vitesse entre 0 et 10 km/h. On a beau avoir un système extrêmement puissant en termes de perte de point pour les excès de vitesse, ça ne fait pas de la France le meilleur pays de sécurité européen. Loin de là puisqu'on ne figure ni dans le top 3 ni dans le top 5 ni dans le top 10. Il faut remonter à la 14ème place européenne pour retrouver la France. Objectivement nous ne sommes n'est pas bons. Nous  avons le système le plus répressif sur la vitesse et nous ne sommes pas bon. Une fois ce constat fait, il convient de s'interroger sur la place de la répression. Est-ce vraiment la clef ?Je ne pense pas.
Je pense que la clef c'est l'inverse. La répression est essentielle. Une règle sans moyens ni sanctions mis en place découle sur l'anarchie, dont on peut légitimement douter de l'efficacité sur le long terme. Je suis pour la répression, mais je crois qu'il faut qu'elle soit mesurée. Aujourd'hui,  le comité interministériel, le Conseil National de la Sécurité Routière, tous prennent des mesures mais n'écoutent pas. Prenons l'exemple d'une entreprise de transport de fret. On demande actuellement aux patrons de dénoncer les employés au volant en cas d'erreur : sur le principe l'intention est louable. Mais la vraie question est ailleurs. Il faut s'interroger sur ce qui pousse ces chefs d'entreprises à ne pas dénoncer leurs salariés et les raisons sont multiples. On auditionne des experts, mais jamais des gens qui vivent la situation sur le terrain. La réponse est simple pourtant : si un patron dénonce ses conducteurs, il risque de les perdre. Soit parce qu'ils se retrouvent sans permis, soit parce qu'ils ne reconnaissent plus leurs erreurs et que le dialogue se brise.

En dépit du nombre de morts, en hausse, peut-on vraiment dire que la situation est aussi dramatique que présentée dans les médias ?  Qu'en est-il du nombre d'accidents, de blessés graves ou moins graves ?

Elle est dramatique dans le sens où une victime sera toujours une victime de trop, c'est une évidence. En revanche, de temps en temps, même si c'est dur parce qu'on parle de vies humaines, il faut savoir prendre du recul, se mettre un peu plus haut et regarder d'en haut les chiffres. La situation globale est moins sombre qu'on le croit : légère augmentation de la mortalité routière sur laquelle je suis déjà revenu. À moins d'être profondément malhonnête, tout le monde sait qu'en 2016 les résultats de la sécurité routière seront meilleurs. Depuis 1972, la sécurité routière s'améliore et le nombre de tués chute. C'est vrai pour tous les pays du monde. Cette année, on assiste à un « sursaut » dans tous les pays d'Europe parce que le prix du carburant baisse partout. Mais il serait sot de croire que c'est du à un relâchement aléatoire du comportement des automobilistes. Personne ne se dit « 1er juillet, je roule comme un con ! » ou « 1er septembre, cette fois je roule bien ! » Un relâchement généralisé du comportement des automobilistes ne s'arrangerait évidemment pas d'un mois sur l'autre.
l y a un signal qui conforte mon optimisme, c'est le nombre de blessés graves. Cette année, on compte 500 blessés graves de moins que l'année précédente, sur la même durée. C'est un signal extrêmement positif. Certes, on fait également face à la hausse de la mortalité routière, mais on ne peut pas se baser sur un seul élément pour construire toute une analyse, surtout quand il est démenti par les autres. On compte moins de blessés graves en 2015 qu'en 2014. Moins de blessés légers, également. Dire que tout est catastrophique, la raison pour laquelle se réunit le Comité Interministériel de la Sécurité Routière, c'est apporter une réponse politique à une pression médiatique ; c'est créer une urgence là où il n'y en avait pas.

La France compte parmi les pays d'Europe à disposer d'un arsenal répréhensif des plus complets en Europe. Celui-ci est-il efficace ?

Au Danemark, les gens roulent plus vite qu'en France en vitesse pratiquée. Les limitations de vitesse sont plus basses, cependant, les automobilistes roulent plus vite : au Danemark il n'y a pratiquement pas de radars. Il y en a dix, automatiques, sur toute l'étendue du territoire. Le Danemark a considéré que ce n'était pas ça le modèle de sécurité routière. Je pense qu'aujourd'hui nous nous trompons. Le résultat est là aussi en Angleterre, qui est en train de désactiver ses radars automatiques depuis 2009. Plus d'un radar sur deux a été désactivé en là-bas, avec le résultat que nous connaissons. L'Angleterre figure désormais dans le top 3 des pays européens les plus performants en terme de sécurité routière. La réponse n'est jamais la répression, c'est l'acceptation. La seule bonne mesure de sécurité routière c'est celle qui est acceptée. Si on ne parvient pas à faire accepter une mesure, il ne faut pas la prendre. On fait de la sécurité routière avec les automobilistes, on ne la fait pas contre eux.

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