Traité TAFTA : ce qui se cache derrière la menace inattendue de la France de rompre les négociations<!-- --> | Atlantico.fr
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Le secrétaire d'Etat dénnonce le manque de transparence inhérent au processus de signature du traité.
Le secrétaire d'Etat dénnonce le manque de transparence inhérent au processus de signature du traité.
©Reuters

Don't talk with us

Lundi 28 septembre, Matthias Fekl, secrétaire d'Etat au commerce extérieur, a annoncé qu'il suspendrait les négociations quant au Traité transatlantique. Une nouvelle qui paraît surprenante dans la bouche de l'homme d'Etat, qui se disait encore confiant il y a peu.

Atlantico : Lundi 28 novembre, Matthias Fekl, secrétaire d'Etat au commerce extérieur, a menacé dans le quotidien Sud-Ouest de suspendre les négociations en cours sur le traité transatlantique (TAFTA). Comment expliquer ce changement d'attitude du gouvernement français qui paraissait jusqu'alors confiant ?

Nicolas  Ravhaile : Des négociations laborieuses qui s’étalent dans le tempspeuvent expliquer ces déclarations plus distanciées sur l’intérêt d’un tel traité. Compte tenu des prochaines élections présidentielles aux USA, il est de moins en moins probable qu’un accord aboutisse sous la présidence de Barak Obama. Puis, le temps pour une nouvelle administration américaine de prendre en main ce dossier après l’élection de 2016, les négociations pourraient reprendre en pleine période électorale en France.

Faut-il donc chercher l'explication en politique interne ?

Sans certitude, cette hypothèse peut être formulée pour expliquer un durcissement de la position française. « A quoi bon prendre des coups » pour un traité dont l’intérêt fait l’objet d’intenses controverses dans les débats politiques ? La recherche d’un accord sur ce traité pourrait se prolonger et tout accord devra ensuite être ratifié en Europe. Les procédures seront longues et complexes. Les parlements nationaux devraient être consultés - à titre d’exemple rien que pour le Belgique : pas moins de 6 Parlements ! L’entrée en vigueur du traité n’est donc pas d’une actualité brûlante.

Aux incertitudes d’agenda, il convient d’ajouter le bilan coûts/opportunités du TAFTA pour notre économie. S’il devait s’avérer positif, ce qui reste à prouver, les résultats n’apparaîtraient pas à court, même àmoyen terme, c’est-à-dire sous l’actuelle législature.

Les déclarations de Monsieur Fekel traduisent-elles un regain de tensions avec les Etats-Unis ?

Les Etats-unis voient dans le traité transatlantique un accès direct au marché intérieur européen. En ce sens, ils défendent leurs intérêts. Nous ne découvrons rien. Je vous renvoie à l’excellente étude de l’école de guerre économique : http://www.portail-ie.fr/article/1080/Traite-transatlantique-et-jeux-d-influence. Les USA agissent en Europe depuis longtemps et intensément avec une maîtrise parfaite du lobbying européen. Avant d’envisager de pouvoir défendre nos intérêts à Washington comme les américains le font à Bruxelles, il apparaît plus urgent de nous mobiliser davantage au niveau européen !

Peut-on y voir également une pression sur la Commission chargée de négocier le traité ou sur les partenaires allemands ?

Le dernier round de négociations entre la Commission européenne et le gouvernement américain a pu être complexe, surtout si on considère une impossible équation consistant à tenir compte des intérêts dissociés des différents Etats membres de l’UE. Contrairement aux européens, le gouvernement américain a un intérêt unique et bien défini.

Sans aucun doute, l’Allemagne fait partie des Etats qui pourraient bénéficier d’un accord de libre échange. Elle a construitun pacte national qui mobilise tous ses acteurs économiques - du patronat aux syndicats en passant par de puissantes fédérations professionnelles - au service de son commerce extérieur. Son économie conquérante, « guerrière », dans le marché intérieur européen la prépare à l’ouverture denouveaux marchésen Amérique. Cependant, l’Allemagne ne se semble pas très mobilisée en faveur du TAFTA. De nombreuses ONGd’outre-Rhin se mobilisent contre ce traité. Si on ajoute à ce contexte la situation périlleuse de Volkswagen aux USA ou encore les écoutes de la NSA en Europe, le climat n’est plus très favorable à la recherche d’un accord.

Il n’en va pas de même d’autres Etats, notamment d’Europe de l’est. Ceux-ci constituent le groupe des Etats membres les plus motivés par le TAFTA. Les raisons seraient à rechercher dans un atlantisme assez prononcé de nombreux de leurs dirigeants et surtout - fait moins connu sauf dans les couloirs des institutions européennes - dans la signature d’accords bilatéraux entre ces Etats et les USA. L’entrée en vigueur d’un traité signé entre les Etats-Unis et l’UE rendrait caducs ces accords très mal négociés par ces Etats européens… il y a plusieurs années.

La France a, en revanche, des intérêts très exposés dans le traité, comme la défense de ses appellations d’origine, de la qualité de ses produits…

Dans l'interview, le secrétaire d'Etat est revenu plusieurs fois sur le manque de transparence inhérent au processus de signature du traité. Pourtant celui n'est pas nouveau, comment se fait-il que Matthias Fekl ne le fustige que maintenant ?

La Commission européenne conduit des négociations très techniques et confidentielles. Elle tient régulièrement informé le Parlement européen lors d’échanges à huis clos. Le Parlement européen et la « société civile » demandent davantage de transparence. Le secrétaire d’Etat a dû les entendre.

Matthias Fekl a également dénoncé le remplacement des tribunaux d'arbitrage par une juridiction publique de règlements des différends en matière d'investissement. Il a parlé de "scandale démocratique » à ce sujet. Qu'est-ce que ce changement impliquerait-il  concrètement ? Pourquoi a-t-il ajouté qu'il était ravi que la parole française soit entendue ? 

La perspective d’un abandon du recours à l’arbitrage est sans doute une satisfaction pour la position française. Toutefois, on voit mal comment établir un système juridictionnel qui convienne à tous. Les exemples sont légion pour montrer l’insécurité juridique qui gouverne notre défiance réciproque. L’annulation d’un marché public gagné par Airbus aux USA en est une parfaite illustration. 

Surtout, cela ne doit pas nous faire oublier que les enjeux résident d’abord dans l’influence que nous devons exercer sur la législation et les normes avant de nous poser la question du règlement des contentieux. Si la règle de droit ne nous est pas favorable, voire si nous perdons la capacité de l’adopter, nous ne devons pas nous attendre à sortir victorieux d’un contentieux, quelque soit le système de règlement des conflits choisi. 

Nos intérêts se situent donc d’abord sur un plan européen. C’est un préalable pour envisager qu’ils soient ensuite défendus dans un éventuel accord avec les USA. Etat, entreprises, filières économiques ou encore territoires, nous devons oeuvrer ensemble à la défense de nos intérêts à Bruxelles. Le gouvernement gagnerait à prendre des initiatives en matière d’intelligence européenne. En l’espèce, une mobilisation est nécessaire pour obtenir des succès dans la législation, les normes ou les financements inhérents au marché intérieur européen afin de disposer d’une base de négociation solide avec les Etats-Unis.

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