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C'est la peur qui conduit les Français à croire aux rumeurs
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Brest in peace

"C'est la rumeur qui l'a tué" : c'est ainsi que le procureur de la République de Brest, Bertrand Leclerc, a résumé l'affaire de ce retraité, accusé à tort d'être pédophile et décédé d'une crise cardiaque lors de son interpellation par la police, alertée par des parents suspicieux qui avait poursuivi le vieil homme jusqu'à son domicile.

Jean-Noël Kapferer

Jean-Noël Kapferer

Jean-Noël Kapferer est professeur à HEC et expert européen des marques

Il est l'auteur de Rumeurs : Le plus vieux média du monde (1987, rééd. 2010, Points), Luxe oblige (avec Vincent Bastien, Eyrolles, 2008) et vient de sortir Réinventer les marques ( Editions Eyrolles, 2013) dans lequel il consacre un chapitre aux personnages-marques, et analyse l'exemple de David Beckham.

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Les faits : Un retraité  est décédé après avoir été interpellé lundi à Brest par la police alors qu'il était soupçonné d'être un pédophile. Son comportement était jugé inquiétant par des parents d'élèves qui le voyaient régulièrement devant l'école de leurs enfants. L'homme sous curatelle - sans antécédent judiciaire - a été menotté et placé dans une voiture de police. C'est là qu'il a fait une crise cardiaque fatale.

Le drame de Brest doit conduire à la réflexion. Que la mort de cet homme ne soit pas vaine. Qui sème le vent récolte la tempête dit le proverbe : nous y sommes. Il n’y a pas de rumeur sans un terrain fertile. Or la France semble offrir aujourd’hui ce terrain-là.

En effet un des moteurs majeurs de la rumeur est la peur. Quand on a peur on se regroupe, on parle, on commente, ce qui déjà fait diminuer la peur : la rumeur fait parler. Ça calme.

De quelle peur parlons nous ? Les loups sont dans la ville. Invisibles, tapis, peu reconnaissables mais bien là et il faut en protéger nos enfants. C’est bien sûr une métaphore mais l’actualité depuis cet été a égrené une série de crimes, à base sexuelle, tous plus horribles les uns que les autres, commis sur de très jeunes filles,… Océane, Agnès. Elles vaquaient à leurs occupations, innocentes, en toute confiance, l’une à trois cents mètres de son domicile allant chez un ami, l’autre sortant avec un camarade d’école. Elles ont rencontré l’horreur.

Ces faits divers ont provoqué un émoi considérable relayé par les médias, à moins que ce ne soit l’inverse. De toute façon, le fait divers a ce rôle dans la société : faire parler, faire commenter. Ce sont les faits divers qui portent en eux cette interrogation de fond sur l’état de notre société qui sont médiatisés.

Puis le politique s’en mêle et instaure une nouvelle loi, un nouveau cran dans la défense contre…une autre fois, pour la prévenir. Ce qui veut dire implicitement que ce ne sont pas des évènements exceptionnels mais qu’il y en aura d’autres, ici, là, n’importe quand.

Il n’est alors pas étonnant que le public s’inquiète : on ne peut le lui reprocher. Le sentiment d’insécurité est monté lui aussi d’un cran et chacun se veut sur ses gardes et en parle autour de lui. Nous sommes entrés dans l’auto-défense. Avant on parlait au policier dans la rue avec son képi bon enfant, désormais –perte de lien entre la police et le public – il faut aller au commissariat pour faire part de ses soupçons et ses craintes. Trop long, trop dur… la rumeur va plus vite. Chacun y contribue en surveillant les indices suspects. A Brest ? le suspect avait le tort d’avoir l’air suspect : il était bizarre, il parlait mal, il ne communiquait pas bien. A l’ère de l’internet, mal communiquer fait de vous un être dont il faut se méfier. Pire, il fut vu avec une enfant. Dans le climat actuel, c’était l’acte fatal.

Le plus grave est que des parents de ce quartier interrogés sur le fait que cet homme était mort pour rien, ne se sentaient pas coupables pour autant. On ne sait jamais : principe de précaution. Il faut s’interroger vite sur cette rumeur qui a tué. Brest doit ériger une statue à cet homme –paix à son âme- qui symbolise la perte du lien et toute humanité dans la cité. Qu’il ne soit pas le soldat inconnu de c’est la faute à pas de chance.

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