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Staline « ce père qu’elle regardait avec tant d’amour et d’horreur »
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Petit papa du peuple

La fille de Joseph Staline, Svetlana Alliluyeva, est décédée mardi 22 novembre aux Etats-Unis. Elle s’y était exilée en 1967, l’année de la publication du livre consacré à son père, «un homme simple, rustre, très cruel.»

1967 : c’est le cinquantième anniversaire de la réunion bolchévique. Svetlana Alliluyeva quitte l’URSS pour la première fois de sa vie, et s’installe aux États-Unis. Elle y publie un livre écrit quelques années auparavant, intitulé 20 lettres à un ami.Un ouvrage qui traite principalement de son propre père, Joseph Staline, décédé en 1953. L’annonce de la publication fait scandale en URSS : Svetlana Alliluyeva a trahit son pays.  

"Avec ce livre, j’ai voulu raconter l’histoire de ma famille", "rendre hommage à ma mère", raconte en 1967 la jeune immigrée, dans un anglais encore un peu hésitant, interviewée par la National Educational Television.

A la sortie du livre, l’historien Arthur Schlesinger en fait la chronique dans The Atlantic. Un article que le journal vient de republier sur son site Internet. Pour Schlesinger, ce livre est, sous une surface romantique et lyrique, "le jugement blessé d’une fille sur son père, sur une époque, et sur de grands espoirs trahis".

Celle qui fut l’unique fille du dictateur (Staline a également eu deux fils, tous les deux décédés, l’un dans un camp de concentration allemand, l’autre en 1962) est un témoin à la fois "privilégié et restreint". Svetlana se lance dans l’écriture à la demande d’un ami, sans penser qu’il sera publié. Un exercice thérapeutique dans lequel s’exprime l’ambivalence des ses sentiments vis-à-vis d’un père "qu’elle regarde avec tant d’amour et d’horreur".

Svetlana était la fille chérie de Staline. Elle raconte une enfance heureuse jusqu’en 1932, année du suicide de sa mère. Ses relations avec son père se dégradent alors. "C’est comme si mon père était au centre d’un cercle noir, et quiconque s’aventurait à l’intérieur disparaissait ou périssait." Elle raconte la paranoïa d’un homme qui voyait des ennemis partout. "Une fois qu’il écartait de son cœur quelqu’un qu’il connaissait depuis longtemps, une fois qu’il avait relégué cette personne au rang d’ennemi, il était impossible de parler à nouveau de cette personne avec lui."

Dans un commentaire fait au New York Times, la fille de Staline remarquait que son enfance avait été ravagée par le fait que sa famille ait été "le champ de bataille de la lutte entre entre idéalisme et réalité du pouvoir" aux lendemains de la révolution, le terrain de la lutte violente entre la fin et les moyens, le bien et le mal dont sa mère et son père étaient chacun l'incarnation tranchée avec une mère éprise des idéaux révolutionnaires et ne pouvant se résoudre à constater que l'homme de sa vie était en train de pervertir l'idéal communiste. La jeune Svetlana ne découvrit que tardivement l'hypothèse du suicide de sa mère ayant été entretenue dans la version officielle soviétique que son décès était dû à une appendicite aigüe. Certains témoignages de membres du Kremlin révélés des années plus tard suggéraient que sa mère avait en fait été abattue par Staline dans une crise de rage.

Mais pour la fille du dictateur, le suicide de sa mère serait l'explication d'une forme de folie de son père devenu paranoïaque parce qu'incapable de pouvoir faire confiance à qui que ce soit suite à ce qu'il percevait comme la trahison de sa femme, revenant auprès de sa fille en permanence sur ce qui avait pu mener son épouse à cette fin tragique. Le témoignage de Svetlana rejoint celui de Khroutchev dans le rapport secret de 1956 sur les dérives de Staline : il voyait des ennemis partout jusqu'à souffrir d'une manie de la persécution.

Mais malgré sa cruauté, Svetlana Alliluyeva ne peut s’empêcher de continuer à défendre un homme "seul et désolé", manipulé selon elle par Lavrenti Beria, chef du NKVD. Appelée auprès de son père peu de temps avant sa mort, elle raconte ses derniers instants. "Quelque chose de complètement incompréhensible et de génial s’est passé, quelque chose que je ne peux toujours pas oublier, et que je ne comprends toujours pas. Il a soudainement levé sa main gauche comme s’il désignait quelque chose en l’air, et jeté un sort sur nous. Ce geste était incompréhensible et plein de menace, et personne ne pouvait dire à qui il était destiné."

En 1967, l’URSS perçoit ce livre comme le point d’orgue d’une campagne orchestrée depuis les Etats-Unis pour gâcher l’anniversaire de la révolution. "On peut comprendre leur colère contre une femme qui de leur point de vue, écrit Arthur Schlesinger, a fait précisemment ce qu’elle condamne elle-même : trahir sa terre natale, l’abandonner, fuir à la rechercher du confort matériel (…) Mais les Russes ont tort. Ce livre n’est pas l’ouvrage d’une personne sensationnaliste ou d’un traître. C’est profondément un livre russe. C’est un testament qu’un jour, on l’espère, les Russes seront libres de lire."

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