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"Le gâchis français" : pourquoi nos dirigeants n’ont en fait presque rien essayé pour redresser le pays depuis plus de 40 ans
©Charles Platiau / Reuters

Bonnes feuilles

Chute de la croissance, augmentation du chômage, accumulation de la dette publique et perte d’influence en Europe… Depuis quarante ans, malgré des atouts réels, la France ne répond pas correctement aux crises successives – choc pétrolier, récession, déficit – et ses dirigeants semblent incapables de définir une politique économique cohérente. Quel gâchis ! Extrait de "Le gâchis français - 40 ans de mensonges économiques", de Jean-Marc Daniel, publié aux éditions Tallandier (1/2).

Jean-Marc Daniel

Jean-Marc Daniel

Jean-Marc Daniel est professeur à l'ESCP-Europe, et responsable de l’enseignement de l'économie aux élèves-ingénieurs du Corps des mines. Il est également directeur de la revue Sociétal, la revue de l’Institut de l’entreprise, et auteur de plusieurs ouvrages sur l'économie, en particulier américaine.

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Depuis quarante ans, chaque leader politique mène sa carrière et accède au pouvoir en affirmant solennellement « Ma priorité, c’est l’emploi », avant de devoir admettre son échec, quelquefois de façon spectaculaire, comme François Mitterrand en juillet 1993 qui déclare : « Contre le chômage, on a tout essayé. » En réalité, nos dirigeants n’ont presque rien essayé. Pour inverser ces tendances, ils ont essentiellement accru la demande publique sans mettre en regard les recettes équivalentes. Par conséquent, la dette publique n’a cessé de s’alourdir. En 1975, celle issue de la Deuxième Guerre mondiale a été effacée par l’inflation et, après 1958, par une politique systématique d’équilibre budgétaire. Le ratio dette sur PIB est alors de 15 %. Depuis 1975, plus aucun budget n’a été équilibré et la dette publique s’accumule pour atteindre, fin 2014, 96 % du PIB, devenant un problème inquiétant pour l’avenir.

Y a-t-il une sorte de fatalité condamnant la France, de plus en plus endettée, au déclin économique ? La réponse est non. Si tous les pays développés ont vu leur croissance ralentir après 1975, ils n’ont pas connu le même destin que la France, qui a eu ses spécificités et a commis ses propres erreurs. À mes yeux, la plus lourde a été l’incapacité de ses dirigeants à définir une politique économique cohérente. C’est ce que ce livre essaie d’exposer.

>>>>>>>>>>>>>> A lire également : "Le gâchis français" : pourquoi l’économie ne cesse de se venger sur la France et sa population depuis la récession de 1975

Depuis 1976, l’enjeu des gouvernements a été l’emploi, alors qu’il aurait dû être le pouvoir d’achat, et donc la croissance, qui passe par l’acceptation de mutations économiques et de destructions d’emplois. Selon les économistes, à long terme, celle-ci repose sur une combinaison de progrès technique, d’énergie peu chère et de mobilisation de la population susceptible de travailler, ce que l’on appelle la « population active1 ». Se pose donc la question de l’action publique à court terme capable de conforter la croissance à long terme. Au milieu des années 1970, deux approches sont apparues.

La première, portée par les États-Unis, considère que l’héritage keynésien reste valide pour répondre aux difficultés immé- diates d’une économie. Le déficit budgétaire, l’accumulation de dettes qui en résulte et l’inflation qui permet d’effacer cette dette sont un moyen pratique de gagner du temps. Convaincus que les chocs pétroliers inauguraient une période d’énergie chère et que le progrès technique semblait faire faux bond, les Américains se sont persuadés de la nécessité de « ruser » avec l’histoire et de donner, pour paraphraser une des formules favorites de François Mitterrand, « du temps au temps »… économique. En conservant, grâce au déficit budgétaire, une demande publique importante, ils ont affirmé que cela allait maintenir le plein-emploi, même s’il repose sur le gonflement des effectifs des fonctions publiques et l’émergence d’emplois privés peu productifs. À leurs yeux, il serait toujours temps de corriger la donne quand le progrès technique, et avec lui une croissance durable, serait revenu. En termes de référence économique, cette approche, qui s’inscrit dans une logique de pérennisation du keynésianisme, s’accompagne d’un certain renouvellement de cette doctrine. La version initiale du keynésianisme, celle inaugurée par le New Deal de Franklin Roosevelt et généralisée dans les années 1950, assimilait augmentation des dépenses publiques, financées notamment par le déficit budgétaire, et croissance économique. Après 1975, le keynésianisme adopté par les Américains, que j’appellerai « keynésianisme amendé », continue à faire de l’action budgétaire, et notamment de l’acceptation d’un déficit, le centre de la politique économique. Mais il recherche désormais ce déficit dans les baisses d’impôt. Le fondement de la politique économique américaine qui se met en place dans les années 1970 est de ne pas s’inquiéter de l’accumulation de dettes, qu’il faut tolérer une certaine dose d’inflation ou un certain niveau de déficit extérieur, mécanismes qui traduisent l’un comme l’autre un excès de demande dans l’économie, dès lors que cette dette et cet excès de demande contribuent à la réduction du chômage. Les crises financières à répétition et les problèmes liés à des endettements publics croissants vont néanmoins entretenir le doute sur les mérites de ce « keynésianisme amendé ». S’il a fini par prendre le pouvoir à Washington, il se heurte à diverses oppositions, celle des Démocrates issus du sud des États-Unis, comme les présidents James Carter (1977-1981) ou William Clinton (1993-2001), ou celle des technocrates comme Paul Volcker qui préside la Réserve fédérale, c’est-à-dire la banque centrale américaine, de 1979 à 1987.

La seconde approche s’identifie aux Allemands, qui considèrent hasardeuse la consolidation du keynésianisme au nom de la nécessité de gagner du temps. Parier sur l’idée que le temps résoudrait rapidement les problèmes leur est apparu d’autant plus dommageable que ce choix impliquait de considérer l’inflation comme un outil et non comme un problème. Ils ont développé une vision alternative à la conception américaine, reposant sur le refus du déficit budgétaire sur longue période et sur la stabilité monétaire. Et ils ont proposé à leurs partenaires européens de s’associer à eux dans la construction d’une Europe économique où les ajustements reposeraient non pas sur la demande publique et les corrections de prix relatifs par l’inflation, mais sur l’investissement privé et la pression exercée sur les acteurs économiques par la concurrence1. Cette approche ne voit dans le keynésianisme, même amendé, qu’un moyen de différer les problèmes. Ce dernier ne serait qu’une acceptation vaine de l’inflation et des baisses de pouvoir d’achat qui l’accompagnent, dans l’espoir d’en obtenir une baisse du chômage,

l’inflation d’aujourd’hui réduisant l’air de rien le coût du travail, l’inflation de demain effaçant la dette publique née de l’accumulation de déficits. Selon cette vision, espérer réduire le chômage d’aujourd’hui grâce à un endettement croissant au prix de l’inflation de demain est un pari dangereux. Elle sera qualifiée de « libérale-monétariste ». Ainsi, à la fin des années 1970, deux modèles s’opposent : un modèle américain, celui du « keynésianisme amendé », et un modèle allemand, celui du « libéral-monétarisme ». Dans le premier modèle, tout doit être fait pour éviter le chômage, y compris l’acceptation de l’inflation et de l’endettement ; dans le second, l’inflation d’aujourd’hui n’est que l’anticipation du chômage de demain, celui qui apparaît au moment où l’inflation devenue insupportable réclame des politiques monétaires restrictives qui brident le crédit et l’investissement, si bien que la priorité est la stabilité monétaire. Le premier suppose de ne pas sacrifier le court terme au long terme ; le second suppose de ne pas sacrifier le long terme au court terme, ou – pour reprendre une expression du premier prix Nobel d’économie, Jan Tinbergen, un travailliste néerlandais – de ne pas « sacrifier la prochaine génération à la prochaine élection ». Face à ces deux modèles, la France aurait dû choisir. Or, elle n’a cessé de louvoyer.

Extrait de "Le gâchis français - 40 ans de mensonges économiques", de Jean-Marc Daniel, publié aux éditions Tallandier, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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