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"Koz toujours, ça ira mieux demain" : pourquoi certaines femmes françaises se sentent désormais presque obligées de recourir à l'avortement
©Reuters

Bonnes feuilles

Le plus influent des blogueurs catholiques lâche la toile pour le papier. Douze événements et débats cruciaux au cours de cette dernière décennie ont interpellé Erwan Le Morhedec. Il les revisite ici en s’inspirant des figures de Benoît XVI et du pape François et explore nos débats sociétaux, que ce soit l’euthanasie, l’avortement ou le sort des migrants, jusqu’aux derniers attentats et les questions qu’ils posent à la France des dix prochaines années, sur son identité, sur l’islam et sur l’intégration. Extrait de "Koz toujours, ça ira mieux demain", publié aux éditions du Cerf (1/2).

 Koz

Koz

Koz est le pseudonyme d'Erwan Le Morhedec, avocat à la Cour. Il tient le blog koztoujours.fr depuis 2005, sur lequel il partage ses analyses sur l'actualité politique et religieuse

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Quel choix, quand ne pas préférer l’avortement est si inacceptable aux oreilles publiques ? Quel choix quand le refuser vaut une mise au ban des groupes d’amis, d’un dîner, des collègues et des médias ? Quel choix, quand on devine si bien comme ils sont nombreux, les uns et les autres, anonymes, politiques ou journalistes qui, confrontés à l’avortement – qu’ils l’aient subi ou fait subir – ne peuvent plus que le confirmer, le justifier, le promouvoir, le « surassumer », voire le revendiquer pour simplement vivre avec ? Et vivre avec un poids dont, au demeurant, plus personne ne peut les alléger, dans une société sans Dieu ? On voudrait beaucoup, certains voudraient beaucoup, qu’il n’y ait aucune culpabilité après avoir avorté. Telle jeune femme publie une tribune sur le Web, clamant : « J ’ai avorté et je m’en fous ». Peut-être certaines s’en foutent-elles en effet et, à vrai dire, je ne tire pas ma satisfaction de savoir les autres rongés par la culpabilité. Mais cela paraît tellement vain et artificiel de prétendre évacuer sinon une culpabilité, une blessure profonde et parfois sournoise. Vain et finalement mensonger, surtout dans notre époque qui explore jusqu’aux traumatismes psychologiques hérités des générations précédentes, et qui prétendrait ici écarter toute blessure personnelle, quand une femme n’est évidemment plus la même avant et après ce qu’elle n’a certainement jamais voulu ou espéré pour elle. Quelle femme a imaginé, a-t‑elle rêvé pour elle, enfant, qu’elle porterait la vie et s’en séparerait ? Et même celle-là, qui dit s’en foutre, en est-elle si sûre ? Combien d’autres blessures cachons-nous, dont on affirme bravaches qu’elles nous sont indifférentes, souvent par peur d’ouvrir ce placard sombre et parce qu’il faut continuer d’avancer ? Il suffit d’être un peu à l’écoute de l’autre et présumé réceptif pour entendre la vie de ce quadragénaire, qui ne passe pas une journée sans penser à cet avortement et à cet enfant qui aurait aujourd’hui 22 ans, ou celle de ce couple qui, après dix ans, a construit une forme de radeau, pour le lancer sur l’eau d’un lac et tenter de dire ainsi adieu à cet enfant qui n’est pas né.

Et encore le cas de Géraldine D. ne concerne-t‑il pas les interruptions médicales de grossesse pratiquées jusqu’au terme de la grossesse (comme l’autorise l’article L. 2213‑1 du Code de la Santé publique, qui précise que l’IMG peut être réalisée « à toute époque ») et, donc, notamment sur des enfants tout à fait viables et sensibles, développés, mobiles, prêts à s’ouvrir à la vie, une vie différente certes mais une vie tout de même, qui peut connaître le bonheur, parfois davantage même que des personnes tout à fait « normales ». Cela concerne au premier chef les enfants trisomiques qui, dans 96 % des cas, font l’objet d’un avortement. Un député, Olivier Dussopt, avait même déclaré lors d’une séance en commission du 25 janvier 2011 : « La vraie question que je me pose, c’est pourquoi il en reste 4 % », expliquant ensuite qu’il ne considérait pas que ces enfants soient des « enfants en trop », mais qu’il s’interrogeait « à titre personnel, sur les motivations qui peuvent encore conduire des parents à faire ce choix » : le respect de toute vie, l’amour inconditionnel de tout enfant, ne lui étaient ainsi pas venus à l’esprit comme une de ces motivations évidentes. Quelle est la liberté quand l’avortement tombe à ce point sous le sens comme la seule solution possible ? Quand il faut même une volonté affirmée, face au corps médical, pour choisir une autre voie ? Je parle là d’expérience, quand il nous a été annoncé un risque de trisomie 21 pour notre premier enfant, à la suite de tests sériques aussi fiables qu’un thème astral. Un risque… Selon ces tests, il était de 2 % – soit 98 % de chances qu’il ne se réalise pas. Et pour ces 2 %, le médecin voulait que nous courions le risque, de 1 %, de perdre l’enfant en réalisant une amniocentèse. Encore, face à notre réticence, a-t‑il montré son agacement, et est-il allé jusqu’à mettre en cause la solidité de notre couple, soulignant les nombreux cas de divorce de parents d’enfants trisomiques. Même la découverte, par un autre médecin, d’une erreur de calcul qu’il n’avait pas vue, qui aurait pu le rendre plus humble, et qui diminuait encore le risque, ne l’a pas ébranlé. Cette annonce nous a évidemment bouleversés et affrontés à la perspective possible d’être parents d’un enfant trisomique. Elle nous a brutalement confrontés à nos convictions. Et quel aurait été notre choix, si nous n’avions pas eu ces convictions ? Si cet infime risque s’était transformé en certitude, quelle aurait été la pression du corps médical – même si je ne veux pas ignorer non plus les témoignages de ceux qui ont rencontré des équipes médicales formidablement attentives ? Au-delà des médecins, les parents ont-ils seulement la possibilité de rencontrer le soutien de leurs proches ? J’ai moi-même entendu, de la part d’une proche dans ma propre famille que je ne pouvais pas garder l’enfant et « imposer ça à la société ». Imposer ça à la société… Imposer quoi ? Imposer la vue d’un enfant différent ? Imposer un coût à la Sécurité sociale ? Imposer ça à la société, quand la société, elle, finit par imposer la mort de l’enfant ? Et quand, en ne remplissant pas son rôle, en n’offrant pas à tout enfant l’accueil qu’elle lui doit, en ne développant plus les structures d’accueil, elle rend plus compliqué encore d’imaginer un avenir avec un enfant handicapé ? Quand encore elle éloigne de notre regard ceux qui n’ont pas été éliminés, rendant plus anormale si possible leur présence quand, pour tant d’autres – de races, de religions, ou de pays différents – on nous dit légitimement qu’il faut s’habituer à vivre ensemble dès l’enfance, pour que l’acceptation devienne naturelle. Oui, formellement, les parents sont libres de garder ou non l’enfant, mais leur liberté intérieure de poser le choix de l’accueillir est-elle encore préservée ?

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Tel n’est pas le cas général, ni celui de Géraldine D. mais même pour ce cas général, quel est le choix véritable quand les pouvoirs publics subventionnent des campagnes d’affichage en 4 par 3 sur nos quais de gare : « Mon droit, mon choix, ma liberté »… la fête, quoi ?! Quand l’avortement est un bien, pourquoi se prendre la tête ? Quand l’avortement est célébré comme le plus éminent droit de la femme, presque un accomplissement, pourquoi tergiverser ? Avorter, ce serait prendre sa place dans une longue file de femmes courageuses qui ont lutté pour leurs droits. Avorter, ce serait presque un hommage aux suffragettes. Quel est le choix qu’offrent ces pro-choix quand des politiques militants, assistés de politiciens lâches, forment le voeu, à l’Assemblée, que l’avortement soit non seulement un droit, mais un droit fondamental, c’est-à-dire un droit suprême, d’une dignité supérieure à tous les autres droits, bientôt l’un des « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République » connus du droit administratif ?

Chaque fois que l’on échange sur le sujet de l’avortement, il se trouve quelqu’un pour répondre : « Et ce serait mieux si on l’interdisait ? » Étrange cécité volontaire, étonnante couardise, qui craint que la moindre interrogation soit une remise en question. À croire qu’entre la promotion et l’interdiction, il n’y ait pas de place pour la raison. Certes, l’avortement me révulse mais j’ai conscience, sans plaisir, de l’état de notre société. Alors je suis cent fois d’accord avec Géraldine D. pour dire que l’avortement ne sera jamais une chose banale pour une femme, cent fois d’accord pour dire que c’est une épreuve. Mais, de fait, plutôt que l’encenser, j’aimerais l’éviter, en commençant par redonner aux hommes et aux femmes les moyens d’un choix véritable.

Et ce n’est pas ce que fait la France.

Extrait de "Koz toujours, ça ira mieux demain", de  Erwan Le Morhedec, publié aux éditions du Cerf, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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