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Après l’accord dérisoire conclu hier à Bruxelles, l’exode des réfugiés vers l’Europe et la guerre actuelle contre l’Occident exigent trois choses
©Reuters

Action-réaction

L’accord dérisoire conclu hier mardi 22 septembre à Bruxelles sur la crise des migrants exige trois choses : la création d’un leadership européen, le renouveau d’une politique diplomatique française et de repenser le sens du mot frontière.

Nathalie Krikorian-Duronsoy

Nathalie Krikorian-Duronsoy

Nathalie Krikorian-Duronsoy est philosophe, analyste du discours politique et des idéologies.
 
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Il aura fallu un exode du Sud vers le Nord, des milliers de gens fuyant des zones de conflits inhumains, pour qu’apparaissent aux yeux du monde, en une petite quinzaine de jours, deux faits majeurs, sur la construction de l’Europe d’une part et la place de l’Occident démocratique, dans un monde globalisé, d’autre part. Mais la chose est complexe, car le monde est devenu synonyme d’univers où toutes les parties habitées communiquent entre elles. Ce progrès transfrontalier date de vingt-cinq ans à peine et, dans cet univers nouveau, l’Occident est un phare, ainsi qu’en témoignent autant les immigrations massives en sa direction que les motifs d’une guerre contre les Lumières dans cette même partie du globe.

1. Au plan européen, l’accord conclu hier à Bruxelles, pour "la re-localisation de 120 000 personnes"[1] n’a fait que confirmer trois faits préoccupants :

- Alors qu’au mois d’août, l’Allemagne proposait d’accueillir 800 mille réfugiés, que plus de 4 millions se trouvent à ce jour dans des camps au Moyen-Orient et que le nombre d’arrivées, pronostiqué par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), serait de un million d’ici la fin de l’année, force est de constater, sinon l’irresponsabilité, du moins l’incohérence des choix européens en la matière. Ajouter à cela, le fait que quatre pays, dont la Hongrie qui a géré, cette année, le passage de 225 mille personnes, ont voté contre ce plan [2] : l’inexistence d’une politique européenne digne de ce nom est confirmée. Et l’accord dérisoire auquel l’Europe est parvenu hier ne suffira sans doute pas à faire oublier aux Français l’affligeant spectacle du chacun pour soi, donné par l’Allemagne et la France. En outre, les derniers sondages sont éloquents sur le fossé intellectuel et moral séparant les électeurs des dirigeants : le 13 septembre, 56% des Français étaient pour une intervention au sol en Syrie, dans le cadre d’une coalition,[3] les 15 et 16 septembre, 80% se disaient "favorables au rétablissement des contrôles aux frontières".[4] Alors que sur ces deux questions, le Président François Hollande a manifesté son opposition à l’Assemblée nationale, le 16 septembre, via son Premier ministre, dont le double discours a prouvé, qu’en France, la guerre idéologique est si puissante qu’elle masque les réalités. Sur la question des migrants, en permanence manipulée par la classe politique et les médias, 34% des Français optent aujourd’hui pour les positions de Marine Le Pen.

- Depuis le moins de juillet, les pays européens se sont illustrés par des désaccords internes sur deux questions essentielles : l’une économique, le Grexit, l’autre territoriale, sur l’accord de Schengen, dont le rôle, depuis 1985, était de créer un espace de libre-circulation entre les signataires, c’est-à-dire : tous les États membres de l’Union Européenne, à l’exception de : Chypre, la Croatie, la Roumanie, la Bulgarie, le Royaume-Uni et l’Irlande, et de quatre États non-membres, l’Islande, la Norvège, le Liechtenstein et la Suisse.[5] Dès la lecture du traité la question se pose : comment créer une unité européenne à partir d’une telle disparité d’adhésions entre ses membres ? 

- L’afflux massif de migrants a mis en faillite cette organisation territoriale dont les frontières sont donc très floues, voir inexistantes. En quelques jours, les pays européens ont eux-mêmes démontré l’échec du concept de libre-circulation dans Schengen, dès lors que ladite circulation dépassait les chiffres d’une immigration déjà problématique. Ainsi la crise actuelle a-t-elle fait de cet espace, non seulement un motif de conflits politiques internes aux nations européennes, ce qu’il a toujours été - en témoigne la montée des nationalistes européens - mais il est devenu, comme on l’a vu, après l’intervention unilatérale un peu fanfaronne de madame Merkel sur la capacité d’accueil de l’Allemagne, un motif de conflits entre les différentes nations elles-mêmes, pourtant sensées être unies dans la construction d’un projet commun.

Force est donc de constater que l’Europe n’est unie ni par l’économie, ni par la frontière. Reste, en l’absence de politique, le cœur. Or, comme l’a rappelé monsieur Manuel Valls, dans son discours, l’émotion ne remplace pas la politique et, doit-on ajouter, moins encore la diplomatie, qui est l’unique manière de gérer les relations entre ces personnes collectives que sont les Etats et les peuples. Pourtant, depuis son discours à l’ONU sur la guerre en Irak,[6] la France peine à proposer une position originale, qui seule, avec l’intelligence et l’audace, pourraient encore lui garantir, à défaut d’un rôle, qu’elle avait déjà perdu sous De Gaulle, du moins l’image d’une grande puissance mondiale, pour laquelle le grand homme s’est toujours battu.

2. Au plan international, les conséquences de cette immigration massive de populations venant du Sud en direction du Nord de l’Europe montrent du doigt son origine : la réalité d’une guerre mondiale dans laquelle, d’une part, les Etats-Unis ont joué un rôle important et qui, d’autre part, débouche sur la nécessité d’une recomposition des relations diplomatiques, avec tous les pays concernés. 

Jusqu’à la fin de la Guerre froide, en 1989, certains de ces pays étaient, soit nos ennemis, comme la Russie, soit des Etats pour lesquels nos relations se limitaient à des questions économiques, comme l’Arabie Saoudite, par exemple. Désormais, l’Europe se doit d’établir avec ces nations des relations diplomatiques au plan politique, qui toucheront à des questions d’ordre culturel, qu’il conviendra d’envisager avec "souplesse et fermeté", pour reprendre une expression qu’on a beaucoup entendue ces derniers temps.

La question diplomatique renvoie à des interrogations profondes : depuis la chute du mur de Berlin, et dans la suite des théoriciens de la fin de l’Histoire ,qui confondaient le double effondrement du système communiste et de son utopie criminelle, avec l’arrêt de toute forme de progrès, le monde occidental s’est focalisé sur un projet de libération des peuples opprimés. Or, c’est bien sur cet idéal,  proprement occidental, des guerres faites au nom du droit d’ingérence, dont l’idée vient de la fin de la deuxième guerre mondiale, que la crise des migrants nous pousse à nous interroger. Parce que, d’une certaine manière, cette crise de l’immigration symbolise, aussi, l’échec de ce projet d’un monde pacifié.

Dans cette logique, l’attentat du 11 septembre 2001 annonçait déjà les difficultés qu’il y aurait désormais à tenir sur la ligne d’une conception démocratique de la guerre. Un ennemi d’un genre nouveau venait de naître, qui s’opposait à l’Occident tout entier. En s’attaquant aux Etats-Unis, l’islamisme naissant touchait à l’image de la puissance occidentale en même tant qu’au symbole des valeurs d’autonomie qui la différencient du reste du monde.

La naissance de l’Etat islamique il y a deux ans, la crise de l’immigration aujourd’hui, sont autant de manifestations d’une guerre culturelle, entreprise par le camp occidental, tant en Afghanistan, qu’en Irak, puis en Libye et en Syrie. Cette guerre débouche, aujourd’hui, sur l’échec des conflits, engagés au nom du transfert de l’idéal d’universalité des Droits de l’Homme, pensés par les Lumières, à des politiques droit-de-l’hommistes, dont les buts, comme les moyens, sont dévoyés de l’intérieur, puisque la fin permet d’y justifier les moyens.

Or, dans le même temps, l’une des figures centrales ayant produit l’échec de ce dévoiement des buts de l’Occident est le fait qu’à l’idéal de l’unité ce soit substitué celui de la diversité.

On ne peut combattre un ennemi qui veut votre mort sans vouloir en contrepartie son élimination. L’Occident tout entier, en proie à cette même maladie droit-de-l’hommiste a produit, de l’intérieur, une inversion de ses valeurs qui le plonge dans l’incapacité morale de mener la guerre en leur nom. Le paradoxe confine à la schizophrénie, mère de l’immobilisme. Puisque ces politiques d’ingérence, faites au nom de la théorie droit-de-l’hommiste qui règne en maître à l’ONU, ont fait oublier le rôle classique de la diplomatie qui permet, avant de faire la guerre, de négocier des accords. En s’octroyant le rôle de gardien des valeurs du monde, l’Occident s’est fourvoyé.

Pour conclure, la seule issue à cette crise passe par trois étapes. Et il est peu probable qu’on puisse faire un jour l’économie de la seconde, qui est la guerre contre L’Etat islamique. Sur cette question, on l’a vu, les Français sont plus courageux que leurs dirigeants. Mais la nécessité d’une intervention de grandes puissances coalisées a comme préalable incontournable une vision politique commune en Europe. Depuis plusieurs mois, l’UE n’a cessé de donner au monde l’image de la désunion, voir d’un chaos, à partir duquel elle pourrait rebondir si elle décidait de se doter d’une instance gouvernementale autonome, ce fameux leadership politique européen que les peuples ne voient toujours pas venir, qui est essentiel à la résolution de la crise et au rétablissement de la paix.

Enfin, les dirigeants des nations européennes ont pensé l’ouverture des frontières en termes économiques, tout en méprisant le rôle du politique. Partant, ils ont oublié le réel. Diabolisant la frontière, méconnaissant le sens du mot limite, dont Kant nous dit qu’il est au fondement de la modernité, ils ont pris le risque de ruiner la belle idée de libre-circulation. Car contrairement à ce que croient les idéologues utopistes ou les esprits simplistes, la frontière est une chose dont il faut penser l’usage et non l’éliminer.


[1] En préparation pour le sommet des chefs d’Etat et de gouvernement d’aujourd’hui s’est tenu hier, un conseil extraordinaire des ministres de l’intérieur de l’Union européenne (UE).

[2] République Tchèque, Slovaquie, Roumanie, la Finlande s’est abstenue.

[5] Voir l’excellent article et en particulier la carte qui l’illustre, publiés par La Croix, http://www.la-croix.com/Actualite/Europe/Schengen-un-espace-remis-en-question-2015-09-17-1357219

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