Fallait-il vraiment renvoyer Marine Le Pen en correctionnelle pour incitation à la haine raciale suite à ses propos sur les prières de rue ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Marine Le Pen avait déclaré il y a 5 ans que les prières de rue étaient "une occupation".
Marine Le Pen avait déclaré il y a 5 ans que les prières de rue étaient "une occupation".
©Reuters

Amalgames en série

5 ans après les faits, la présidente du Front national devra répondre de son parallèle entre prières de rue et "occupation" devant le tribunal correctionnel. Un terme qui, dans la bouche du présentateur de l'époque, devenait "occupation nazie".

Christian Combaz

Christian Combaz

Christian Combaz, romancier, longtemps éditorialiste au Figaro, présente un billet vidéo quotidien sur TVLibertés sous le titre "La France de Campagnol" en écho à la publication en 2012 de Gens de campagnol (Flammarion)Il est aussi l'auteur de nombreux ouvrages dont Eloge de l'âge (4 éditions). En avril 2017 au moment de signer le service de presse de son dernier livre "Portrait de Marianne avec un poignard dans le dos", son éditeur lui rend les droits, lui laisse l'à-valoir, et le livre se retrouve meilleure vente pendant trois semaines sur Amazon en édition numérique. Il reparaît en version papier, augmentée de plusieurs chapitres, en juin aux Editions Le Retour aux Sources.

Retrouvez les écrits de Christian Combaz sur son site: http://christiancombaz.com

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Pour expliquer le degré d'inefficacité qui règne dans la gestion des affaires judiciaires en France, le journal télévisé de la première chaîne a choisi un biais commode et même confortable : figurez-vous que nous n'avons pas assez d'argent pour rendre la justice. En Allemagne l'investissement dans la machine judiciaire est deux fois plus élevé. L'objet du reportage du 22 septembre était donc de nous prouver que le déni de justice subi par les familles qui voient l'assassin de leur fils libéré à cause des lenteurs de l'institution avait pour raison principale le manque de magistrats. Sur la sottise éventuelle de ceux qui exercent ce métier, pas un mot. Sur le Mur des cons et l'obsession idéologique dont il témoigne, sur le fait qu'une partie de l'effectif court après des lubies et néglige l'essentiel, rien non plus. Sur l'oiseau noir de l'absurdité, de l'à-peu-près administratif, des expertises bâclées, de l'influence politique qui plane sur les décisions de justice, rien encore. Le même journal télévisé nous infligeait pourtant quelques doutes à ce sujet trois minutes après : Mme Le Pen était poursuivie, cinq ans après les faits, pour avoir déclaré que les prières de rue étaient " une occupation". Ce qui dans la bouche du présentateur devenait "pour les avoir comparées à l'occupation nazie". Ma source provient du Point de l'époque. Qui a dit quoi ? Même en lisant les journaux de 2010 sur internet, on a du mal à croire que la justice puisse être aussi insistante, menaçante, à propos d'une déclaration aussi peu criminelle, à moins que Mme le Pen n'ait parlé de bataillons armés prêts à fusiller tout le monde au nom de Dieu ou de la couleur de peau des fidèles, mais j'ai eu beau chercher je n'ai rien vu qui constitue une incitation explicite à la haine, encore moins raciale, sauf à considérer qu'une religion est liée à une race, et en ce cas, c'est le plaignant qui l'affirme, et c'est lui qui devrait être inquiété.

>>> Lire également Tensions sur le droit au blasphème : voit-on assez le méthodique jihad juridique engagé depuis plus de 20 ans ? (Partie 2)

Le rôle d'un écrivain n'est pas d'entrer dans ces querelles mais de se borner aux observations qu'elles appellent : la première est que l'inefficacité de la justice et l'encombrement des tribunaux ne sont manifestement pas dus à la seule faiblesse du budget mais aussi à de grandes éclipses de jugement auxquelles sont sujets les plaignants et les magistrats qui les écoutent. La deuxième est qu'il est important de connaître l'usage non seulement des mots mais des articles et des prépositions qui sont très importants. Si Mme Le Pen a dit que les prières de rue ressemblaient à une occupation, ce n'est pas la même chose que si elle avait employé l'article défini en parlant de l'Occupation, avec une majuscule de surcroît, en établissant une similitude étroite entre les deux situations, ce qui d'ailleurs ne serait pas un délit non plus. Inutile de se livrer à une analyse de texte, je n'ai pas l'intention de convaincre quiconque, sauf d'une chose : les mots ont tendance à être retournés contre ceux qui les profèrent dans des proportions extrêmement inquiétantes. On ne peut plus écrire le mot "quenelle" même pour rire dans un journal sérieux. Dans trois ans la moindre allusion à la sauce Nantua passera pour un acte séditieux. Partout les sous-entendus sont analysés par des procureurs du genre Aymeric Caron, dont le but n'est pas de chercher la vérité mais de conjurer son apparition.

Nous voyons ressurgir tout l'arsenal des procès révolutionnaires sur le ton "quand vous avez dit cela, vous pensiez à quoi?". C'est tellement vrai et tellement inquiétant qu'au Canada, un pays où la transparence obligatoire, la parité dans le langage entre les genres masculin et féminin, l'équité entre les communautés, sont en train de devenir totalitaires, un député vient de proposer que l'on puisse mettre en cause quelqu'un pour des propos inadmissibles tenus dans le privé.

Une grande vertu d'internet est de pouvoir montrer, dans dix ans, une fois que le désastre aura été consommé puis réparé, que quelques-uns d'entre nous avaient annoncé à cor et à cris la perte du sens commun- ce qui, accessoirement, ne les a pas enrichis, tandis que ceux qui nous ont précipités dans cette situation prospèrent toujours davantage. Mais l'autre vertu, la principale, est que l'on pourra retrouver aisément la trace des accusateurs grâce à l'indexation par Google, qui est l'outil de remise à plat le plus puissant que l'histoire ait jamais connu.

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