Mais pourquoi donc envoyer des imams français se former au Maroc ? <!-- --> | Atlantico.fr
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"La formation religieuse n'est pas du ressort d'un Etat laïque."
"La formation religieuse n'est pas du ressort d'un Etat laïque."
©Reuters

Reculer pour mieux sauter

A l'occasion de la visite du président de la République François Hollande au Maroc, les deux pays ont signé une déclaration conjointe relative à la coopération en matière de formation d'imams à l'institut Mohammed VI, ouvert en mars à Rabat.

Franck Frégosi

Franck Frégosi

Franck Frégosi est directeur de recherche au CNRS notamment au sein du laboratoire UMR PRISME à l'université de Strasbourg et enseigne à l'Institut d'études politiques d'Aix-en-Provence. Membre associé du Cherpa, ses travaux portent sur l'organisation du culte musulman et les modes d'expression de l'islam dans l'espace européen.

Il a publié de nombreux ouvrages dont Penser l'islam dans la laïcité aux Editions Fayard (2008).

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Malik Bezouh

Malik Bezouh

Malik Bezouh est président de l'association Mémoire et Renaissance, qui travaille à une meilleure connaissance de l'histoire de France à des fins intégrationnistes. Il est l'auteur des livres Crise de la conscience arabo-musulmane, pour la Fondation pour l'innovation politique (Fondapol),  France-Islam le choc des préjugés (éditions Plon) et Je vais dire à tout le monde que tu es juif (Jourdan éditions, 2021). Physicien de formation, Malik Bezouh est un spécialiste de la question de l'islam de France, de ses représentations sociales dans la société française et des processus historiques à l’origine de l’émergence de l’islamisme.

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Atlantico : Quels problèmes rencontre actuellement la France avec ses imams pour envisager aujourd'hui de les envoyer se former au Maroc?

Franck Frégozi : D'abord, ce n'est pas la France qui envoie les imams se former au Maroc. Il s'agit d'imams qui sont liés à des organisations musulmanes. Ce sont des imams d'obédience marocaine qui décident de se former au Maroc. L'Etat français n'a aucune vocation à former des imams chez lui, pas plus qu'il n'en a à les envoyer à l'étranger. La formation religieuse n'est pas du ressort d'un Etat laïque. Il appartient aux communautés religieuses d'assurer la formation de leurs responsables. Dans le cas présent, il s'agit d'imams franco-marocains qui sont liés à une organisation qui est l'Union des Mosquées de France qui ont été envoyés au Maroc afin de recevoir une formation théologique, religieuse, dans le cadre d'un institut qui a été créé à Rabat et qui forme également des imams originaire d'Afrique sub saharienne, du Sénégal et du Mali.

Malik Bezouh : L'islam marocain institutionnel, et de façon générale l'islam maghrébin, est perçu comme équilibré, sage et tempéré. Ce qui n'est pas faux. Il reste cependant, comme la plupart des courants de l'islam sunnite, orthodoxe et conservateur. Officiellement, il s'agirait donc de former des imams compétents, dotés d'une formation sérieuse et approfondie en théologie. Il est vrai que certains imams, en France, n'ont pas les qualifications requises pour exercer un ministère du culte musulman.

Au-delà, on peut voir dans cette initiative une dimension politique, pour ne pas dire géopolitique. En effet, le gouvernement français, en envoyant des imams au Maroc plutôt qu'en Algérie, livre clairement un "message". On sait, en effet, la rivalité historique qu'il a existé entre les capitales du Maghreb pour contrôler la communauté musulmane de France...

Pourquoi le Maroc prendrait-il mieux en charge cette formation ?

Franck Frégosi : La question qu'il faut se poser en amont c'est : pourquoi ces imams doivent aller se former au Maroc ? Cela veut dire que ces imams n'ont manifestement pas trouvé en France d'institut ou de cadre qui puisse dispenser l'enseignement dont ils ont besoin d'un point de vue religieux afin de répondre aux sollicitations des fidèles. 

Mais il est clair qu'il y a aussi un autre élément qui est la volonté de certains Etats de garder un droit de regard sur l'islam en France. Il est clair que les autorités marocaines, comme les autorités kurdes et algériennes, ne veulent pas perdre toute capacité de contrôle sur ce qu'il advient de l'Islam en France, et notamment par le biais de la formation minimum.

Malik Bezouh : La Tunisie ou l'Algérie pourrait sans la moindre difficulté prendre en charge cette formation. Il est plus que légitime de se poser la question en effet. J'y ai répondu, partiellement, dans la première réponse : il y a peut-être des considérations de politique internationale à prendre en considération... Il aurait été plus équilibré d'envoyer des imams dans les trois pays du Maghreb : Algérie, Tunisie et Maroc ; même si, pour ma part, je considère qu'envoyer des imams de France dans des pays arabes en vue d'une formation en théologie musulmane est une erreur, voire un non-sens !

Une partie de la formation ne doit-elle pas rester en France par ailleurs ?

Franck Frégosi : Il va de soi que les imams qui reviennent en France vont avoir besoin en parallèle de recevoir un certain nombre d'enseignements et de formations, destinés notamment à appréhender les différents aspects du droit français et les éléments relatifs à l'histoire des relations entre la religion et l'Etat. Les autorités françaises entendent d'ailleurs garder la main et organisent, en partenariat avec l'enseignement supérieur,  des formations, - sous la forme de diplômes universitaires et de certificats -, qui dispense un enseignement de type universitaire à destination de l'ensemble des responsables associatifs afin que ceux-ci puissent recevoir un socle commun de connaissances notamment en matière de régime de laïcité et de libertés publiques. C'est une volonté des pouvoirs publics de favoriser ce type de formations qui sont dispensées en France, et non à l'étranger. C'est une formation complémentaire à la formation religieuse.

Malik Bezouh : Je dirai que l'essentiel de la formation doit se faire en France. Les imams de France doivent être formés à la culture française. Combien d'imams connaissent l'histoire de l'anticléricalisme français ? C'est indispensable pourtant ! Si l'on veut créer un islam de France, il est impératif de doter les futurs imams d'un "regard français" ce qui passe par une appropriation de l'histoire de France et, en particulier, par une connaissance fine des processus historiques qui ont conduit à la séparation de l'État et de l'Église. Je travaille à cela dans le cadre de mon association.

Sans connaissance de l'environnement historico-culturel français, on fabrique des imams professant un islam qui aura du mal à s'adapter à la réalité culturelle française.

Je m'interroge encore sur le choix du gouvernement français...

Ce déplacement de la formation des imams vers le Maroc correspond-il, selon vous, à une volonté politique de ne pas toucher à la question de la laïcité en France ?

Franck Frégosi : Si des imams partent se former à l'étranger c'est qu'ils ne trouvent pas une formation satisfaisante en France.

Malik Bezouh : J'aurai tendance à dire que si l'on veut aider "l'islam en France" à devenir "l'islam de France", il faut au contraire tout faire pour former des imams en France. Je ne dis pas que l'initiative française est foncièrement mauvaise. Je dis qu'elle ne répondra pas au besoin et ne favorisera pas l'émergence d'un islam qui comprend en profondeur la culture anticléricale qui structure l'histoire moderne de ce pays. N'est-ce pas du reste cet anticléricalisme virulent de la fin du XIXe siècle qui enfantera ce principe de laïcité ? Un meilleur respect de la laïcité passe par une connaissance profonde de l'histoire de l'anticléricalisme français qui est une vraie particularité française (j'en parle dans mon livre : FRANCE-ISLAM : LE CHOC DES PRÉJUGÉS).

L'islam maghrébin institutionnel est tempéré et professe, en effet, une religion du juste milieu. Toutefois, il n'a intégré ni la laïcité ni les processus de sécularisation. Ce n'est pas au Maghreb que l'on formera des imams français dotés d'un regard critique des textes sacrés, car l'islam maghrébin, aussi tempéré soit-il, est un islam orthodoxe, enfermé dans une lecture conservatrice des textes sacrés.

Pour ma part, je crois qu'il faut former des imams "réformés", marchant sur les pas de ce que j'appelle les mu'tazilites, ces théologiens rationalistes, à l'instar d'AVERROES, faisant de la raison un pilier de la religion. Hélas, ces derniers ont disparu au XIIIe siècle... Depuis c'est un islam conservateur qui domine le monde musulman.

Alors, envoyer des imams au Maroc, pour se former, non vraiment, je n'adhère pas...

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