Un référendum pour unir le peuple de gauche ? La proposition de Cambadélis très loin de suffire pour relever ce défi <!-- --> | Atlantico.fr
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Jean-Christophe Cambadélis défend, depuis quelques temps, une union des gauches face au "bloc réactionnaire" que représentent, selon lui, le Front National et Les Républicains.
Jean-Christophe Cambadélis défend, depuis quelques temps,  une union des gauches face au "bloc réactionnaire" que représentent, selon lui, le Front National et Les Républicains.
©Reuters

Dans le mur

Jean-Christophe Cambadélis a proposé samedi 19 septembre la mise en place d’un référendum afin de savoir si "le peuple de gauche" était favorable ou pas à l’unité des partis de gauche pour les régionales. Cet électorat est en faveur d’un rapprochement au premier tour, d'après les sondages.

Eddy  Fougier

Eddy Fougier

Eddy Fougier est politologue, consultant et conférencier. Il est le fondateur de L'Observatoire du Positif.  Il est chargé d’enseignement à Sciences Po Aix-en-Provence, à Audencia Business School (Nantes) et à l’Institut supérieur de formation au journalisme (ISFJ, Paris).

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Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Un référendum peut-il suffire à allier les partis de gauche ? Pourquoi ?

Eddy Fougier : Jean-Christophe Cambadélis défend, depuis quelques temps,  une union des gauches face au "bloc réactionnaire" que représentent, selon lui, le Front National et Les Républicains. Cette idée se concrétise avec la proposition d'un tel référendum. D'autant plus que le contexte actuel y est favorable. Dans un récent sondage, il avait été noté que les sympathisants de gauche sont favorables à rapprochement des différentes familles de gauche.   

L'idée derrière cette proposition est de préparer les régionales tout en se mettant dans la perspective des présidentielles. Cambadélis veut faire en sorte qu'il y ait le moins de dissonances possibles entre les partis pour que le candidat de gauche aille au deuxième tour. Or comme l'a montré le sondage, les sympathisants et militants de gauche sont très en faveurs d'alliances entre les différents partis. Si, un tel rapprochement ne semble pas être souhaité par les dirigeants de ces dits partis qui ont déjà bien du mal à unir leurs propres troupes ; le chef du parti socialiste essaye de les mettre devant un fait accompli. De leur démontrer à quel point leurs soutiens ont une "soif de la gauche". Après, il reste est peu probable que ces  leaders jouent le jeu et ce, malgré le ressenti de leur électorat. Le succès de cette initiative demeure donc très incertain.

Néanmoins, politiquement parlant, c'est un bon coup. En effet, Jean-Christophe Cambadélis, en endossant le rôle de l'unificateur fait passer ceux qui sont opposés à ce rassemblements pour des diviseurs bien que certains ne manqueront pas de dénoncer l'évidente "manœuvre politicenne".  

Jean Petaux : Curieuse proposition ! Premier élément de curiosité : les modalités pratiques de ce référendum. Il aurait été plus rigoureux en termes de précision du vocabulaire de parler d’une "pétition". Si, en matière d’élections le PS a montré son réel savoir-faire avec l’organisation des primaires totalement ouvertes à l’automne 2011 (bureaux de vote, listes d’émargement pour identifier les votants fournies par les mairies, etc.), dans le cas précis cela n’a rien de commun. Totale improvisation. Il est question d’une consultation sur internet et de trois jours de "scrutin ouvert" sur les marchés… Cela ressemble étonnamment au "référendum" totalement ridicule que le parti Les Républicains  a organisé cette semaine auprès de ses propres militants pour qu’ils se prononcent sur la politique migratoire à mettre en place. Seuls 50.000 militants LR se seraient prononcés (aucune garantie sur la réalité de ce vote) et plus de 90% de ces "votants" auraient répondu "oui" à chacune des questions posées. Le résultat est évidemment connu à l’avance.

Dans le cas de la proposition du premier secrétaire national du PS, Jean-Christophe Cambadélis, ne vont voter que ceux qui ont la nostalgie de "l’union de la gauche" ou de la "gauche plurielle". Le romantisme d’une gauche unie et réunie (en réalité rêvée et fantasmée) va pouvoir s’exprimer avec des trémolos dans la voix digne des lamenti mélenchonesques. Le seul intérêt qui peut exister dans une telle proposition pour Cambadélis et le PS est de faire porter la responsabilité de la "non-union" et donc des conséquences qui en résultent (nombreuses victoires de LR et de ses alliés) aux formations politiques de gauche, autres que le PS, qui auront refusé l’union. On voit bien ici le calcul parfaitement cynique du patron du PS : il propose un référendum militant sachant fort bien que l’électorat de gauche, socialiste ou non, est plutôt attaché à l’union. La réponse à cette consultation, lancée à l’initiative du PS, devrait être favorable . Mais cela ne pourra se concrétiser dans les faits tant le fossé est grand entre PS, PCF, PG et Ecolos. Les résultats d’un pseudo référendum ne sauraient s’imposer en effet aux états-majors partisans des organisations politiques de gauche, voisines des socialistes. Au final, le refus de l’union ne proviendra pas du PS. Finalement, c’est sans doute ce qui importe à Monsieur Cambadélis…. Habile mais cousu de fil blanc. Et, paradoxalement, totalement révélateur d’une crise majeure des partis politiques et du PS en matière de projets, d’idées, d’ambition. Si Cambadélis voulait administrer la preuve que son parti, comme les autres partis français, est une sorte d’astre mort, il n’avait pas à s’y prendre différemment.

Dans quelle mesure la gauche a-t-elle besoin d’un projet commun si elle veut rassembler ? Y a-t-il un tel projet aujourd’hui ?

Eddy Fougier : A priori,  il y a une véritable absence de projet commun aujourd'hui que l'on perçoit au travers même du projet de référendum. L'idée étant toujours la même : celle de s'opposer à la droite qui d'après ses détracteurs serait plus proche de l'extrême droite idéologiquement parlant.

Ce référendum est un projet par défaut. Or tout parti a besoin d'un projet définitif, surtout la gauche qui se retrouve en porte-à-faux au pouvoir. Avant d'être élue, elle avait un certain nombre de projets (imposition à 75% sur les très hauts revenus) mais une fois au pouvoir elle a mis de l'eau dans son vin à cause du contexte européen (contrainte économiques et institutionnelle) qui n'est pas toujours favorable aux réformes d'une gauche classique. D'où ce sentiment délicat d'être coincé entre la trahison de ses idéaux (ce que défendent les frondeurs par rapport à Hollande) et celui d'une impuissance. Soit on est traité de traître car on revient sur l'idéal d'une gauche idéalisée ou on fait face à une impuissance totale.

Bien évidemment, la gauche a besoin d'un projet tel que peut en avoir la droite, mais aujourd'hui elle ne le construit que par défaut et ceci se remarquera de plus en plus. On l'a vu aux départementales, on le verra aux régionales et à fortiori aux présidentielles (les candidats de gauche se présenteront en tant rempart à leurs opposants du "bloc réactionnaire").

Dès lors qu'apparaît la volonté de rompre avec ce sentiment de trahison, la gauche se retrouve dans une impasse. C'est là qu'apparaît la volonté de se se définir de gauche uniquement par opposition à la droite ainsi qu'à l'extrême droite. Ceci est le seul dénominateur commun à gauche alors qu'elle est profondément divisée.

Jean Petaux : La vraie question consiste vraiment à s’interroger sur ce qu’est la gauche aujourd’hui en France. Pour des raisons multiples (et parfois même totalement contradictoires) aucune organisation partisane justement classée à gauche, ou se prétendant appartenir à la gauche, n’a véritablement intérêt à engager un examen approfondi et interne qui lui permettrait de répondre à cette question, j’allais dire "une bonne fois pour toutes". Parce qu’il est considéré comme plus essentiel de faire semblant d’être de gauche que de remettre en cause ce dogme quasi-sacré. Au lieu de cela, telles les sectes des premiers chrétiens, les différentes formations se réclamant de la gauche se déchirent entre elles en revendiquant chacune la propriété d’un morceau de "la vraie croix" authentiquement de gauche. Aucun programme dans tout cela. Il faut remonter à 1972 pour trouver le seul et unique "programme commun de l’union de la gauche" jamais signé par les trois formations politiques qui prétendaient alors gouverner le pays après la "grande alternance" : PS, PCF et MRG (minoritaires scissionnistes du vieux Parti radical-socialiste).

Depuis septembre 1977, date de la rupture de ce "Programme commun", il n’y plus jamais eu de projet commun à toute la gauche. Contrairement à ce que l’on croit souvent, en 1981 après la victoire de François Mitterrand le 10 mai et la majorité absolue du PS aux législatives de la fin juin 1981, lorsque quatre ministres communistes entrent au gouvernement il n’y aucune projet commun signé entre les formations politiques participant au gouvernement Mauroy II. En 1997, avec la "gauche plurielle" et la victoire de Lionel Jospin, la gauche est unie pour composer ce gouvernement. Mais, encore une fois, aucune plateforme politique commune n’est signée entre les formations politiques qui vont gouverner ensemble pendant 5 ans. Même chose juste avant la présidentielle de 2012 entre socialistes et écologistes. Martine Aubry négocie, en 2011, en tant que première secrétaire nationale du PS, un accord électoral "réservant " une vingtaine de circonscriptions au parti EELV dirigé alors par Cécile Duflot. Mais cet accord électoral pour les législatives de juin 2012 n’est en rien un projet commun de gouvernement…

La meilleure preuve, c’est que rien n’est signé concernant la fermeture des centrales nucléaires voire, tout simplement, le fameux aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Donc pas plus aujourd’hui qu’hier n’existe un projet de gouvernement en commun. On peut même préciser qu’il n’y a plus rien de commun entre la ligne gouvernementale actuelle et les propositions programmatiques du PCF, du Parti de Gauche ou d’EELV. Paradoxalement cela ne signifie pas que des alliances ne vont pas se nouer entre toutes ces formations au soir du premier tour des élections régionales, le 6 décembre prochain, dans certaines régions. Tout simplement parce qu’il ne faut pas confondre "accord programmatique" et "accord électoral". Tout simplement aussi parce qu’il y a une telle désorganisation de toutes les formations politiques en France aujourd’hui que les comportements "périphériques" peuvent être totalement différents et contraires aux "lignes" déterminées au "centre"…

La gauche semble se déchirer entre notion de radicalité et responsabilité sans injecter pour autant un réel contenu politique. Comment l’expliquer ?

Jean Petaux : Essentiellement parce que les deux orientations ont toujours existé. En France mais aussi dans tous les pays européens. Que ce soit au sein d’une même formation politique (comme au Danemark, en Suède ou chez les Britanniques du Labour) ou en séparant des partis politiques de gauche entre eux (comme en Allemagne avec Die Linke et le SPD ou en France depuis 1920 entre la SFIO – ancêtre du PS – et la SFIC – ancêtre du PCF -). Il y a toujours eu, lorsque la gauche n’est pas divisée en plusieurs partis, une "aile droite" et une "aile gauche" au sein du Parti Socialiste, l’une l’emportant sur l’autre et inversement.

Tony Blair a ainsi incarné le "New Labour" avec sa "troisième voie" entre le thatchérisme néo-libéral et le "Old Labour" dont l’actuel et nouveau leader, Corbyn, est un héritier direct. En Grèce aujourd’hui on voit bien comment la gauche radicale est repartie dans son isolement politique laissant la "fraction de gouvernement" de Syriza (celle emmenée par Tsipras) seule dans sa tentative de gouverner le pays. En fait la contradiction fondatrice à laquelle "la gauche" est confrontée depuis plus de 200 ans est toujours la même. Elle impacte directement son projet politique : faut-il transformer radicalement, fondamentalement, les mécanismes économiques, sociaux, monétaires (voire le mode d’exercice du pouvoir politique) d’une société ou s’efforcer de les corriger, de les amender, de les modifier à la marge ? La révolution ou la réforme ? En France aucune des formations de gauche n’est allée au bout de ce débat.

Le Parti Communiste Français se présente encore un parti révolutionnaire quand il est, de fait, un parti réformiste pépère. Le Parti Socialiste se prétend encore adepte de la réforme (et il ne faudrait sans doute pas pousser beaucoup ses Frondeurs à son aile gauche pour qu’ils pensent encore être "révolutionnaires") quand il est souvent perclus de conservatisme figé n’ayant en tête que la protection d’avantages acquis, totalement hors de saison désormais… On mesure ici combien l’injection d’un contenu politique qui s’apparenterait à un programme dûment pensé relèverait de la science-fiction.

Dans ce contexte, à 3 mois des régionales, que peut faire la gauche ? Quid de sa matrice intellectuelle ? Est-ce trop tard ?

Eddy Fougier : Aujourd'hui, il y a une grande division entre les partis de gauches qui tentent d'adopter une logique plutôt réaliste en s'alliant avec le PS dans le but d'être présent au second tour et les idéalistes qui privilégient la logique des convictions au risque de remporter peu de voies (notamment dans le Nord-Pas-de-Calais).

Cette problématique amène le dilemme du vote utile ou du vote de conviction. La tension entre les différents partis est-elle trop importante ?  On le verra avec  cet acte de la dernière chance et s'il parvient à contrer les listes autonomes, mais cela s'annonce compliqué. 

Jean Petaux : Les régionales qui auront lieu dans moins de 100 jours sont considérées par la direction du PS comme devant amener une remarquable "dégelée"… L’heure est désormais à essayer de sauver 3 ou 4 régions. Une symbolique : l’Ile de France (1ère région européenne pour le PIB régional). Deux ou trois autres "politiquement ancrées à gauche": la Bretagne et la nouvelle grande région Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes voire, avec un peu de chance pour le PS et ses éventuels alliés, l’autre grande nouvelle région Midi-Pyrénées-Languedoc-Roussillon où gauche et droite seraient au coude-à-coude. Il n’est aucunement question de matrice intellectuelle pour la gauche dans cette affaire. Sa seule ambition est de "sauver les meubles". Si les listes de gauche doivent se réunir entre les deux tours (et il n’y aura qu’une semaine entre le premier et le second tour, avec un "bouclage" des négociations au plus tard le mardi 8 décembre en fin d’après-midi), dans certaines régions, cela se fera sur un accord de gestion de telle ou telle région, permettant de répartir les vice-présidences entre les partis qui se coaliseront alors après avoir fait "cavaliers seuls" au premier tour. La rudesse des négociations entre les deux tours tiendra beaucoup aux résultats obtenus par les uns et les autres au premier tour. On aura certainement l’occasion d’y revenir. Ce qui va prévaloir dans ce contexte ne relèvera pas d’un projet politique partagé et construit en commun… Rien de tout cela qui se profile à l’horizon politique à court-terme. Au cas par cas, dans chaque région, chaque formation essaiera de maximiser ses gains et ses positions. Même s’il doit y avoir des contradictions, d’une région l’autre...

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