Le paradoxe Fillon : une vision efficace pour la droite, une incapacité à la traduire en force politique<!-- --> | Atlantico.fr
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François Fillon se définit comme un gaulliste social très proche intellectuellement de Philippe Séguin.
François Fillon se définit comme un gaulliste social très proche intellectuellement de Philippe Séguin.
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Singularité

A un an de la primaire des Républicains, François Fillon est distancé dans les sondages. Il publie ce mois-ci, "Faire", un ouvrage lui permettant de revenir sur la scène médiatique. L'ancien Premier ministre peine à se démarquer de ses rivaux.

Gil  Mihaely

Gil Mihaely

Gil Mihaely est historien et journaliste. Il est actuellement éditeur et directeur de Causeur.

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Frédéric  Métézeau

Frédéric Métézeau

Frédéric Métézeau est journaliste depuis 15 ans. Il a été journaliste pour France Bleu Nord, basé à Lille, et a présenté les informations sur France Inter avant devenir chef du service politique sur France Culture. Depuis août 2015, il est chef du service politique de France Inter.

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Atlantico : François Fillon a sorti son livre, Faire, le 16 septembre. L’ancien Premier ministre traine, jusqu’à aujourd’hui, une image assez floue. On a du mal à l’identifier politiquement, ancien gaulliste social converti au libéralisme… Quel est son corpus idéologique ?

Frédéric Métezeau : C’est en effet ce qu’on apprend dans son dernier ouvrage, François Fillon historiquement se définit comme un gaulliste social très proche intellectuellement de Philippe Séguin. Il fait vraiment partie de l’équipe rapproché de Philippe Séguin.  On peut néanmoins s’interroger sur sa cohérence idéologique sur le long terme. Ce gaulliste social ressemble aujourd’hui à Thatcher ou Reagan des années 80. Il y a donc une sacrée évolution. Autre élément, souvenez-vous en 2007, il avait publié un ouvrage dans lequel il théorisait notamment l’effacement du Premier ministre. Il accepte ensuite le poste de premier ministre alors qu’en réalité il estime que ce poste n’est plus utile et il y reste 5 ans. Il se bat comme un diable pour rester à Matignon en 2010 alors que Nicolas Sarkozy envisage de nommer Jean-Louis Borloo. Et au bout de 5 ans, il explique qu’il  n’a pas pu faire ce qu’il voulait, qu’il aurait préféré aller plus vite et plus loin. Il regrettait de ne pas avoir eu assez de pouvoir alors même qu’il avait théorisé l’effacement du premier ministre. Qu’il y ait des évolutions, cela est normal, mais François Fillon va particulièrement loin dans le changement.

Son zigzag idéologique rappelle celui de Nicolas Sarkozy. En effet ce dernier peut être très étatiste, puis très libéral, parfois très ouvert à la diversité et au melting-pot puis en faveur d’un modèle très français voire « buissonien » en 2012… Il y a parfois des mouvements de la sorte avec l’ancien Premier ministre. Autre illustration, un an après l’élection présidentielle, il affirme une divergence de vue sur la question du FN avec Nicolas Sarkozy, ajoutant qu’ils étaient irréconciliables sur ce point. Et ensuite, il déclare que s’il a le choix entre FN et PS, il votera pour le moins sectaire, ce qui laisse entendre qu’il pourra voter FN.
François Fillon est encore difficile à identifier même si son ouvrage nous éclaire sur son idéologie aujourd’hui.

Gil Mihaely : Son programme politique est ancré à droite par sa vision libérale de l’économie et de l’Etat, un courant de pensée certes minoritaire dans la droite française mais néanmoins clairement à droite. Ensuite la dimension souverainiste du retour à un Europe des nations et finalement par sa sensibilité à la dimension identitaire, c’est-à-dire à quelque chose qui dépasse largement les valeurs universelles pour toucher le passé, le patrimoine dans le sens le plus large du terme et la transmission.  
François Fillon est gaulliste à travers sa vision de l’Etat nation comme l’unité de base du système international d’un côté, et comme l’unique cadre permettant une démocratie libérale qui fonctionne bien de l’autre. En revanche, même s’il avance que le général de Gaulle était au fond libéral dans le domaine économique, l’ancien Premier ministre me semble être sur ces questions-là plutôt en rupture qu’en continuité avec le gaullisme pour la simple raison que pour lui l’économie occupe un rôle beaucoup plus important et plus autonome par rapport à la dimension politique et que par son parcours et son expérience il est plus à l’aise dans ce domaine que le fondateur de la Ve République.

Il a une vision originale des réformes à faire en matière d’économie ou des attitudes à avoir ne matière géostratégique, comment expliquez-vous que son discours n’intéresse pas les électeurs ? Comment a-t-il pu tomber si bas dans les sondages ? Ce livre peut-il créé le rebond nécessaire à le faire entrer à nouveau dans la course à la primaire ?

Frédéric Métezeau : D’abord ce n’est pas l’ouvrage qui va changer la situation, mais le plan de communication qu’il y a autour. Dans 90% des cas les personnalités politiques font des livres afin qu’on les invite dans les médias à ce sujet. Les ventes sont toujours assez modestes. Ce n’est pas un livre qui peut permettre de changer fondamentalement l’image d’après moi.
Le réel rebond se situe dans sa distinction avec les autres principaux rivaux au sein du parti Les Républicains ; en quoi est-il différent de Sarkozy, en quoi est-il différent de Juppé ? Voilà son vrai challenge.
Son handicap est son passé de Premier ministre sous le mandat de Nicolas Sarkozy, pendant 5 ans, ce qui est unique. Concernant son image, il a été le député-maire de la Sarthe, l’ancien président des pays de Loire. Il a été parachuté à Paris. Le suivre est donc compliqué.
Beaucoup de facteurs expliquent sa chute dans les sondages... Il a été le tandem de Nicolas Sarkozy, il incarne le quinquennat Sarkozy. Dans son ouvrage il explique qu’il ne faut pas « dire » mais « faire », en creux cela peut se comprendre comme « Nicolas Sarkozy dit beaucoup, moi je vais faire ». Certains objecteront : « Pourquoi ne l’avez-vous pas fait ? » Il a du mal à se séparer de cette image ce qui peut expliquer les chiffres assez bas dans les sondages.
Nicolas Sarkozy a été président de la République, il séduit le cœur de l’électorat du parti Les Républicains, et ceux se situant à droite.
Le bilan très positif en tant que Maire de Bordeaux fait oublier qu’Alain Juppé a été un ministre très impopulaire de son histoire, et raide. Il essaye de contourner par le large, par le centre, il se fait le chantre de l’identité heureuse… Conviction ou pure opportunisme ? Le fait est que son image est claire.
François Fillon estime qu’il faut aujourd’hui tout changer façon Thatcher, réagir etc. Ce créneau est intéressant. Problème, il est déjà occupé par Bruno le Maire qui a 45 ans. C’est aussi l’une des raisons du faible écho auprès des électeurs.

En l’écoutant, on se demande toujours  s’il est uniquement mu par un désir de revanche par rapport à Nicolas Sarkozy ou pour défendre des orientations politique auquel il croit. Cette ambiguïté ne trouble-t-elle pas son image ?

Frédéric Métezeau : C’est tout à fait cela. Il veut ici passer son message : « j’ai un programme, je suis prêt à gouverner ». Il est vrai qu’il propose un programme, François Fillon bénéficie aussi d’un réseau de parlementaires. Et en même temps il consacre un chapitre de son ouvrage à Nicolas Sarkozy où il le qualifie de « plébéien teigneux ». Soit on fait un livre-programme, soit on décide de vider son sac. On ne peut mêler les deux. Il connait le système médiatique, c’est la phrase que l’on retiendra de son ouvrage. Sa manière de faire est ambiguë selon moi. Ainsi, à travers toutes ses nombreuses interventions, il passera son temps à devoir se justifier à ce sujet.

Comment a été préparé ce livre ? Certains conseillers affirment n’en avoir entendu parler que très récemment. C’est un travail personnel ? Comment François Fillon élabore-t-il son programme ?

Frédéric Métezeau : Je ne peux me prononcer sur le making-off. François Fillon est quelqu’un qui suscite à la fois beaucoup d’estime des gens qui le connaissent, et en même temps une forme de déception. Des parlementaires se confient et expliquent avoir travaillé avec lui, le jugeant estimable, et un beau jour il les a oubliés, il ne m’a pas manifesté beaucoup d’attentions lors des campagnes électorales… C’est quelque chose que l’on entend fréquemment. Ainsi, Eric Ciotti, bien qu’officiellement filloniste, se rapproche de Nicolas Sarkozy, ce n’est pas clair non plus pour Valérie Pécresse qui était un soutien à l’ancien Premier ministre.

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