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L'intransigeance allemande est bien plus dangereuse pour l'euro que la dette grecque !
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Bonnet d'âne

L'obsession allemande de refus de création monétaire pour alléger la pression des marchés sur la dette souveraine de la zone euro menace de faire couler la monnaie unique.

Jacques Sapir

Jacques Sapir

Jacques Sapir est directeur d'études à l'École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS), où il dirige le Centre d'Études des Modes d'Industrialisation (CEMI-EHESS). Il est l'auteur de La Démondialisation (Seuil, 2011).

Il tient également son Carnet dédié à l'économie, l'Europe et la Russie.

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Une idée court dans les élites politiques européennes : il faut sortir la Grèce de l’euro. C’est explicite en Allemagne, et cette idée gagne du chemin en France. Mais c’est plus facile à dire qu’à faire. Rappelons qu’il n’existe aucun moyen juridique pour expulser un pays de la zone euro.

Si l’Allemagne et la France se décident à couper les vivres à Athènes, on ne voit pas ce qui empêcherait le gouvernement grec de réquisitionner sa Banque centrale pour se financer directement. Bien sûr, il se mettrait alors en contravention avec le Traité de Lisbonne (précisément avec l’article 123 qui a remplacé l’article 104 du traité de Maastricht). Mais une procédure d’expulsion de l’Union européenne prendrait des années, et pendant ce temps, la Grèce pourrait imprimer autant d’euros qu’elle voudrait… La Grèce pourrait ainsi racheter la totalité de sa dette le temps qu’on l’expulse.

Les Grecs, de « mauvais européens » ?

D’ailleurs, ces vilains Grecs, que l’on couvre d’opprobre pour avoir truqué leurs comptes sont-ils de si mauvais Européens que cela ? Ils n’ont pas procédé unilatéralement à l’équivalent d’une dévaluation de 10% - par le transfert de charges des entreprises vers la fiscalité des ménages - comme en Allemagne. Ils n’ont pas accru leurs excédents commerciaux sur les pays de l’Eurozone à mesure qu’ils perdaient de leur compétitivité sur le monde, comme l'ont fait les Allemands, qui réalisent en passant 63% de leurs excédents sur la zone euro et 77% sur l’Union européenne, alors que leur balance commerciale avec la Chine est devenue négative... L’Europe est menacée d’une dépression qui pourrait être la plus grave depuis la crise de 1929, et ce ne sont pas non plus les Grecs qui refusent de mener une politique de relance, et cherchent à imposer une austérité désastreuse à leurs voisins… mais bel et bien l'Allemagne. 

Pour être clair, si les Grecs ne sont pas « blancs-bleus » avec leur tradition d’évasion fiscale (d'ailleurs réalisée par moins de 10% de la population), leur absence de cadastre, les exemptions d’impôts dont bénéficie l’Église orthodoxe, il me semble que l’importance de ces défauts est en fait bien faible quand on la compare aux conséquences de la politique allemande.

Les « mauvais européens » ne sont pas nécessairement ceux que l’on croit

En décidant de constituer un système de monnaie unique mais en excluant toute possibilité d’union de transfert, en barricadant leur position sur la Banque centrale par la voie constitutionnelle, les gouvernements allemands qui se sont succédés depuis 1992 ont rendu ingérable la zone euro.

De plus, en imposant leurs règles à la BCE (Banque centrale européenne), ils ont provoqué une hausse du taux de change par rapport au dollar (et à toutes les monnaies qui y sont liées) qui a détruit l’économie des pays d’Europe du Sud. Les responsabilités de l’Allemagne en Europe exigeaient d’autres décisions.

Le blocage imposé par l’Allemagne dans les solutions à la crise actuelle est patent. Leur refus d’accepter une monétisation directe de la dette et les Eurobonds va tuer la zone euro, bien plus sûrement que la dette grecque... ou nous condamner à subir une dépression de longue durée aux effets politiques incalculables.

Décentraliser temporairement la création monétaire...

Il existe cependant une solution, qui commence à gagner dans les esprits de ceux qui, à gauche comme à droite, ne veulent pas se résoudre à la catastrophe. Puisque l’on ne peut rien faire à la BCE du fait du veto allemand, il faut décentraliser la création monétaire. Autrement dit, il faut réquisitionner les Banques centrales nationales et leur imposer de créer des euros en échange d’une partie des dettes publiques, ce qui se fait par un simple jeu d’écriture.

Bien entendu, on nous opposera l’article 123 du traité de Lisbonne. Ce à quoi on peut rétorquer que s’il s’agit de mesures temporaires prises pour pallier une crise à la gravité extrême, les règles de l’Union Européenne sont de notre côté.

Ce serait l’équivalent d’un « quantitative easing» à l’européenne, mais réalisé de manière décentralisée, et dont l’effet inflationniste serait très réduit du fait de la situation économique dominante.

... pour mettre l’Allemagne au pied du mur

Et là, c’est l’Allemagne cette fois qui serait au pied du mur. Soit elle accepte, en criant et en tempêtant, mais elle accepte quand même cette politique, quitte à s’arranger avec sa Constitution. Après tout, on ne paye pas les constitutionnalistes à ne rien faire…

Soit, elle décide de quitter la zone euro. Mais là, il lui faudra faire face à cette réalité : l’euro maintenu se dépréciera par rapport au dollar, sans doute jusqu’à 1 euro pour 1,05 dollar. Par contre, le mark reconstitué devrait s’envoler et atteindre les 1,60 dollar, si ce n’est plus…

Autrement dit la zone euro « maintenue » aurait dévalué de près de 35% (au minimum) par rapport au mark, et les excédents commerciaux allemands disparaîtraient immédiatement. Chiche ?

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