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Comment l’antisémitisme révolutionnaire est devenu le cœur du jihadisme moderne
©Reuters

Bonnes feuilles

A ceux qui pensent que l'islamisme se nourrit de la tragédie du peuple palestinien, ce livre montre que cette assertion est contredite par l'histoire de l'islamisme radical, dont la rhétorique violemment antijuive a précédé la création de l'Etat hébreu. Extrait de "Jihad et haine des Juifs - Le lien troublant entre islamisme et nazisme a la racine du terrorisme international", de Matthias Küntzel, publié aux éditions du Toucan (2/2).

Matthias  Küntzel

Matthias Küntzel

Matthias Küntzel est essayiste et politologue allemand, chercheur à l'Universté hébraique de Jérusalem et professeur à Hambourg, il travaille depuis vingt ans sur l'antisémitisme et les conflits du Proche-Orient.

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Second point de notre enquête. Nous avons appris que le conflit palestinien n’a pas de racines «naturelles» ou «historiques», mais que son escalade était et est encore le résultat d’une campagne dûment menée. Alors que le fondamentalisme juif a toujours été une force minoritaire au sein du sionisme, dans le camp arabe le courant radical antijuif mené par al-Husseini et al-Banna a prévalu par des batailles sanglantes contre ses opposants. Leur «guerre sainte» n’a jamais eu pour but une vie meilleure ou le bonheur individuel, mais elle servait une mission «plus haute» : le renforcement d’une identité religieuse exclusive qui éliminait tout ce qui lui était étranger et ostracisait ceux qui hésitaient comme des déserteurs.

Pourquoi, parmi toutes les questions, al-Banna a-t-il choisi la Palestine comme l’instrument le plus important pour rétablir le principe du jihad en tant que devoir des musulmans ? En tant que devoir religieux, le jihad demandait une justification religieuse. Dans le cas de la Palestine ce pré-requis était présent. La mosquée Al-Aqsa à Jérusalem était, après la Mecque et Médine, le troisième lieu saint de l’islam. De plus, selon la Sunna, c’est justement de Jérusalem que Mahomet embarqua par une nuit mystique pour un voyage au ciel. Seule la lutte pour la Palestine pouvait être enflée jusqu’à devenir une question de vie ou de mort et servir de «marché » selon l’expression utilisée par le journal des Frères musulmans Al-Nadhir «où nous pouvons négocier une affaire dans laquelle nous serons gagnants d’une façon ou de l’autreþ: par la victoire ou par le martyre». Seule la Palestine offrait ce point de départ à partir duquel l’Oumma, la communauté de tous les musulmans du monde, pourrait s’unir vers un seul et même but. Mahomet, selon la tradition, n’avait-t-il pas prédit une bataille décisive «à Jérusalem et aux alentours1»?

Troisième point. Seuls ni les Frères musulmans ni le mufti n’auraient eu l’influence qu’ils ont eue ensemble sur le conflit palestinien. Après 1945 la confrérie aida al-Husseini à retrouver son leadership, alors que sous le règne des Nashashibi en Palestine le jihad d’al-Banna n’aurait été qu’une affaire dérisoire. Dans son étude de 1950, J. Heyworth- Dunne résume ainsi la signification de cette allianceþ: «Le vrai changement pour Hassan [al-Banna] vint avec les troubles en Palestine à partir de 1936. Il prit contact avec le mufti et il devint un de ses supporters les plus ardents. Il n’y a guère de doute qu’il passa un accord avec al-Husseini, car ce fut son travail en Palestine avec les Arabes et le mufti, qui changea toute la perspective du mouvement et de la politique d’al-Banna. Al-Husseini avait une très haute opinion du chef de l’Ikhwan, qui de son côté avait un profond respect pour le mufti2.» Dans cette alliance historique, al-Banna opérait comme un clerc guerrier utilisant le conflit palestinien pour unir le monde islamique autour d’un nouveau califat, tandis que le mufti agissait en tacticien raffiné qui se servait de l’islam pour obtenir la «libération» de la Palestine (et asseoir ainsi son propre pouvoir). Cependant c’était en fait la figure religieuse, représentant la partie urbaine, qui poursuivait une politique de masse avec les moyens de propagande les plus modernes, tandis que le mufti tenait la population rurale, les racines claniques, la terreur de la charia et la formation des gangs. C’est cette interaction entre les éléments urbains d’Égypte et ruraux de Palestine qui aida le tandem Banna-Husseini à propager son influence dans le monde arabe.

Quatrième point. Il est remarquable que, depuis lors, la cohésion du monde arabe ait été définie non pas par la religion ou par une relation particulière avec la Grande-Bretagne ou les États-Unis, mais par l’opposition au sionisme ou plus précisément à Israël. La haine des Juifs est devenue le trait d’union le plus important. Ce fut la politique britannique en Palestine, et non celle du pétrole, qui détermina qui de l’amitié ou de l’inimitié devait prévaloir dans les relations arabobritanniques, tout comme aujourd’hui les États-Unis sont critiqués principalement pour leur soutien à Israël. Le spectre de l’ennemi israélien avait une fonction dans la politique intérieure : dès que quelque chose va mal, ce n’est pas l’autorité nationale qui en est responsable mais cet ennemi apparemment tout-puissant.

Cinquième point. L’histoire des Frères musulmans montre que l’antisémitisme révolutionnaire n’est pas un trait secondaire du jihadisme moderne ; il en est le coeur. Quand la confrérie lança ses premières activités, l’antisémitisme était apparent surtout comme une structure de la pensée et une vision du monde. Certaines puissances, certains groupes étaient identifiés comme responsables de la démission des anciens croyants et de l’humiliation des musulmans. Étaient catalogués comme ennemis,þles communistes, l’Occident, les missionnaires chrétiens, les hédonistes, les sionistes ou la compagnie du canal de Suez. La principale caractéristique de ce mode de pensée est une rage contre tout ce qui est différent, et qui ne peut passer que par une action violente contre «þl’autreþ». Au lieu d’accepter la valeur des différences – et la reconnaissance de l’égalité entre les hommes et les femmes a toujours été le point de départ de cette acceptation – l’utopie islamiste a toujours eu pour but la suppression des différences afin de supprimer l’individualité et de soumettre tout un chacun aux forces contraignantes du clan et de la religion.

Extrait de "Jihad et haine des Juifs - Le lien troublant entre islamisme et nazisme a la racine du terrorisme international", de Matthias Küntzel, publié aux éditions du Toucan, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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