Coup de chaud sur l’absentéisme : mais qu’est-ce qui nous arrive ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les salariés sont en moyenne absents 16,7 jours par an.
Les salariés sont en moyenne absents 16,7 jours par an.
©Reuters

Allô, docteur ?

Burn out, dépression, excès de stress ... La crise économique, la mondialisation et le numérique impactent la durée des absences au travail. En hausse de 7,5% en 2014 selon deux études, cet absentéisme est signe que le rapport de la société au travail ne va pas si bien que cela.

Xavier  Camby

Xavier Camby

Xavier Camby est l’auteur de 48 clés pour un management durable - Bien-être et performance, publié aux éditions Yves Briend Ed. Il dirige à Genève la société Essentiel Management qui intervient en Belgique, en France, au Québec et en Suisse. Il anime également le site Essentiel Management .

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Yannick Jarlaud

Yannick Jarlaud

Yannick Jarlaud est directeur d'Alma Consulting Group

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Denis Monneuse

Denis Monneuse

Denis Monneuse est sociologue, directeur du cabinet Poil à gratter et chercheur à l’UQAM (l’Université du Québec à Montréal). 

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Le groupe de protection sociale Malakoff-Médéric et le cabinet Alma Consulting ont publié simultanément deux études sur l'absentéisme au travail, qui constatent toutes les deux une hausse de 7.5% en 2014 dans le secteur privée, soit 18 jours  d'absence par an. Alma Consulting révèle en outre que la nature de l'absentéisme a évolué et que ce n'est pas le nombre qui a augmenté, mais la durée moyenne.

Atlantico : Quel type d'absentéisme est en évolution ? Comment expliquer cette augmentation de la durée et pas du nombre ?

Denis Monneuse : La tendance globale qui se dégage en France est une augmentation des arrêts de moyennes ou longues durées liés en partie au vieillissement de la population et du recul de l'âge de la retraite. Auparavant, les personnes usées par le travail pouvaient partir en pré-retraite. Aujourd'hui ce n'est plus le cas.

De manière générale, les arrêts sont plus longs car les problématiques plus lourdes.  La première raison de cela est l'intensification du travail. Il y a moins de petites pauses et de temps morts où l'on peut respirer. On observe également que les cadres moyens vont plus facilement prendre des arrêts de travail, car ils ne sentent pas assez valorisés au sein de l'entreprise. Ainsi, ils n'hésitent pas à prendre des arrêts de travail car ils pensent ne pas être plus importants que leurs autres collègues et ne pas être indispensables. Il y a ainsi moins de réticence pour eux à s'arrêter.

La crise économique a  provoqué une dureté du travail aujourd'hui poussant certains à craquer. Ils ont besoin d'un temps de convalescence plus important avant de reprendre le travail. Les médecins généralistes qui craignent les "burn out" sont de leur côté plus enclins à proposer des arrêts un peu plus longs aux salariés pour qu'ils puissent retrouver pleinement leur santé avant d'attaquer à nouveau un travail intense.

Yannick Jarlaud :  La 7ème édition du baromètre de l’absentéisme Alma Consulting group mesure un taux d’absentéisme en France en hausse de 7,4% avec un taux de 4,59% (soit 16,7 jours par salarié et par an).

Sur les différents motifs d’absence mesurés, les absences d’origine maladie, et dans une moindre mesure les accidents de travail et les maladies professionnelles, sont tous en augmentation comme le démontre également le rapport d’activité « Accidents de Travail/Maladies professionnelles» 2014 de la Caisse Nationale d’Assurance Maladie (CNAMTS). Cette augmentation plutôt dans la durée que la fréquence des absences s’explique par deux raisons principales.

Tout d’abord, l’allongement de la vie professionnelle et la présence en plus grand nombre des « + de 51 ans » participent à cette évolution. En effet, les « seniors » sont absents moins souvent mais plus longtemps que les autres catégories d’âge. Ces absences sont principalement dues à l’état de santé. Ensuite, les entreprises ont mis en place les dispositifs simples de prévention des absences de courte durée mais les absences de longue durée restent difficiles à prévenir et à réduire pour les directions des Ressources Humaines et les managers.

En effet, Comment prendre contact avec le salarié ? Que lui dire sans entrer dans sa sphère personnelle ? Comment favoriser sa reprise du travail dans le respect de son intégrité et de sa santé ? Autant de questions qui paralysent les organisations des entreprises.

Comment peut-on justifier l’absentéisme grandissant ? La période d'instabilité et d'insécurité due à la crise économique peut-elle avoir un rôle ? En quoi la mutation de l'emploi dûe au digital en particulier pour les classes moyennes peut-elle avoir une influence sur l'absentéisme au travail ?

Denis Monneuse : Cela révèle une dégradation des conditions de travail. La société nous impose un travail dans l'urgence, sans prendre de vraies pauses. Il empiète dans nos soirées, nos week-end … Les salariés demandent à l'inverse un équilibre de vie.  Une pression est également provoquée par la compétition sur le marché du travail. Cette pression fragilise les employés. Les effets de la nouvelle technologie et du numérique nous empêche également d'avoir de réelles pauses.

En toile de fond, nous observons également la difficulté de l'entreprise à accompagner les salariés en arrêt. Il est difficile pour une personne arrêtée depuis plusieurs semaines de revenir dans l'entreprise, en raison du déficit d'accompagnement matériel et humain de la part des ressources humaines. Ainsi, certains reprennent leur travail une semaine, et craquent à nouveau car ils ne se sentent ni importants, ni accompagnés. Celà re-crée un arrêt de moyenne ou longue durée. Les managers n'ont pas le temps de s'occuper de l'accompagnement des personnes en arrêt maladie.

Yannick Jarlaud : Dans les périodes de crise économique, les entreprises doivent s’adapter en permanence et repenser leurs organisations pour rester compétitives. Dans ces périodes de fortes transformations, les conditions de travail sont parfois dégradées et les salariés sont en recherche de sens et de reconnaissance de leur savoir-faire dans l’entreprise. Deux causes majeures d’absence dans nos entreprises.

Dans ces périodes, dirigeants et managers doivent donc prendre encore plus de temps pour communiquer et expliquer leurs objectifs et leurs choix à l’ensemble des salariés. A défaut, les premiers signes de désengagement apparaitront et se matérialiseront par l’augmentation de l’absentéisme.

Sur le terrain, les salariés doivent comprendre que le rythme des transformations et des adaptations ne va cesser d’accélérer dans cette nouvelle ère de l’ultra-compétitivité mondiale. Ils doivent apprendre à développer leurs capacités de résilience et d’adaptation de leurs savoir-faire dans ces différentes vagues de changement.

Xavier Camby : La modification des modalités du travail salarié moderne -toutes classes confondues, même si ce vocable périmé n'a plus de consistance et relève désormais d'une réduction sémantique et idéologique du vrai monde laborieux- est incontestable. 
Il est cependant totalement impossible de démontrer la moindre corrélation entre la digitalisation de l'économie -à ses débuts- et l'explosion de la souffrance psychique au travail (surmenage, stress, somatisations diverses, burn-in et burn-out, dépressions...). Malgré les explications simplistes -ou incantatoires- répétées, en dépit des sottises qui s'impriment encore parfois, rien, absolument rien ne prouve qu'un courriel et un sms soient "toxiques" par nature pour notre psychisme, même à haute dose. 
Le temps passé à cette "communication digitale" en passe de devenir universelle, explose (en moyenne : 5 heures de travail par jour pour un cadre intermédiaire, pour simplement répondre à ses messages dé-matérialisés). Il est aussi prouvé démontré que l'absentéisme est principalement lié à la souffrance -morale- des salariés (la peur des conflits, des collègues, des "managers" ou des subordonnés, des clients internes ou externes, des fournisseurs, des rh comme des financiers...).
Puis-je l'écrire dans vos colonnes ? L'absentéisme est un concept parfaitement obsolète : la digitalisation l'a relégué à l'obscurantisme le plus inhumain. En effet, quel sens peut encore avoir une pointeuse, alors que je peux travailler depuis chez moi, sans manquer d'être en relation immédiate avec mes correspondants et d'être plus efficace ? Le succès des start-up comme de certains grands groupes, des expériences pleines de succès (belges ou suisses, notamment), menées jusque dans des administrations, le démontrent avec force.  Quel sens aurait donc encore ce puéril contrôle temporel, infantilisant, qui laisserait penser que ma valeur ajoutée vient de ma présence plus que de mon travail effectivement productif et créatif ?
Il est temps d'abolir les représentations passéistes d'une -pseudo- organisation de travail, définitivement révolue !
Les premiers cas de burn-out avérés ont été constaté dans des cliniques privées aux USA, au début des années 1970. Ce n'est que 25 ans après -soit un quart de siècle, environ une génération- qu'apparaitront les ordinateurs portables, Internet et les téléphones portables. Cette pression que ressentent aujourd'hui, un nombre de plus en plus grandissant de salariés vient d'ailleurs que de la digitalisation de notre monde économique. L'inhumanité de certaines pressions au travail -ce que nous appelons la toxicité- constitue LA principale cause de toute détresse psychique au travail, laquelle mène au burn-in, puis au burn-out, en ses différentes formes. Il est démontré désormais qu'en augmentant de quelques points leur bien-être -ressenti-, on peut décupler la performance économique individuelle et collective des salariés ! Cette pression contre-productive, opposée aux résultats qu'elle prétend rechercher ou semble vouloir promouvoir, négative et inhumaine, est la vraie cause de chaque accident psychique au travail, qui détruit autant de valeur ajoutée sociale qu'économique
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Il est de plus en plus difficile de se projeter aujourd'hui et de donner du sens à ce que l'on fait, notamment pour les jeunes qui doivent sans cesse tout remettre en question.

En quoi cette perte de sens pousse t-elle plus facilement à l'absentéisme ? Qu'est-ce que cela révèle  du rapport de la société au travail ? 

Denis Monneuse : Comparé aux anciennes générations, l'attachement au travail est plus faible. L'implication est moindre et la relation affective avec son employeur et son entreprise diminuent. Nous sommes prêts à travailler si nous sommes certains d'avoir un échange qui suit.  C'est du donant-donnant. Nous avons besoin de reconnaissance et moins de personnes sont prêtes à donner sans attendre de retour ou sont prêtes à s'impliquer corps et âmes pour leur employeur. L'évolution est liée au monde du travail, mais également au monde de la famille. Avec l'explosition de divorces, et du nombre de plus en plus croissant de familles monoparentales, il est plus difficile de gérer son travail et sa vie familiale.

Les 35h on également leur part de responsabilité. Les employeurs cherchent à réduire les temps de pause pour faire en 35 heures ce que l'on fait en 39 heures. Des techniques de management consistent à éviter au maximum les temps de pause. Finalement, elles se révèlent contre-productif, car les salariés finissent par craquer. Ils ont moins le temps de souffler au jour le jour, donc cela pousse à des arrêts de travail.

Yannick Jarlaud : Le premier enseignement de l’étude est que l’absentéisme est le meilleur indicateur du niveau d’engagement des salariés dans leur entreprise. L’étude qualitative menée cette année auprès de près de 500 salariés le confirme. L’absentéisme n’est pas le premier signe du désengagement d’un collaborateur. Avant l’absence, les salariés déclarent que leurs premiers signes de désengagement sont : la baisse de qualité du travail, le « faire juste » son travail, la multiplication des temps de pause et l’isolement vis-à-vis de l’entreprise et de l’équipe de travail.

Les causes de l’absentéisme sont très souvent endogènes à l’entreprise. Selon le panel représentatif de salariés interrogés les causes d’absence, après l’état de santé, sont : une mauvaise organisation du travail, une qualité de vie au travail jugée médiocre et un manque de reconnaissance Mais, il est important de souligner que l’absentéisme n’est pas une fatalité ! Il existe des actions concrètes et efficaces pour le limiter voire pour l’enrayer.

Pour cela, secret de la réussite d’un adapté au type d’absences rencontrées et à la culture de l’entreprise. Les DRH et les salariés interrogés ont placé 3 actions en tête des actions les plus efficaces : l’amélioration des conditions de travail, l’organisation de temps d’échange manager-collaborateurs et l’amélioration de l’ergonomie des postes. 


Xavier Camby : Le présentéisme ou l'absentéisme constituent des "normes" absconses et abstruses, lorsqu'on cherche la création de valeur ajoutée économique. L'autonomie, dans l'organisation de son travail, est redevenue -n'en déplaise à feu Frederic taylor et à ses disciples attardés- la clé de la motivation individuelle ou collective et celle de la création de richesse !
Et c'est ce renouveau libéral que sert la possible digitalisation de nos travaux : je peux répondre à mon client depuis chez moi, faire mes réunions depuis mon chalet à la campagne, gérer mes stocks ou ma trésorerie en SaaS... Là encore, cette digitalisation bénéfique et irréversible ne demande qu'à être intégrée dans un management -enfin responsable- de notre organisation du travail moderne, loin des croyances passéistes et des comportements asservissants.

Propos recueillis par Cécile Picco

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