Comment les entrepreneurs de l’agroalimentaire, les agriculteurs et les pouvoirs publics peuvent changer la qualité future de notre assiette<!-- --> | Atlantico.fr
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Les éleveurs de cochon français ne parviennent pas à vivre de leur travail.
Les éleveurs de cochon français ne parviennent pas à vivre de leur travail.
©Reuters

Les entrepreneurs parlent aux Français

Il faut de toute urgence construire un nouveau modèle permettant aux agriculteurs de vivre dignement de leur travail et aux consommateurs de bénéficier d’une alimentation saine et équilibrée, dont l'origine est clairement identifiée.

Laurent Muratet  et Edouard Rousseau

Laurent Muratet et Edouard Rousseau

Laurent Muratet et Edouard Rousseau sont fondateurs associés de Terravita Project. Ils sont respectivement ex-Directeur marketing et ex-Président de coopérative agricole (et Agriculteur). Ils apportent leurs compétences complémentaires dans l’objectif d’apporter plus de transparence et d’efficience de l’amont (problématique producteurs) à l’aval (problématique consommateur) de la filière alimentaire.

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L’actualité a mis en exergue, à nouveau, la tension et la détresse de notre agriculture face à un système de distribution souvent brutal, qui s’oppose à l’investissement et la qualité. Et la qualité de notre alimentation, en filigrane, est l’enjeu non mentionné. Des questions cruciales doivent être enfin posées, mais surtout résolues. Si le système actuel avait initialement apporté des solutions, de nombreux problèmes économiques, sociaux et environnementaux doivent trouver des réponses, très vite.

Il faut de toute urgence construire un modèle, permettant aux agriculteurs de vivre dignement de leur travail et aux consommateurs de bénéficier d’une alimentation saine et équilibrée. Il faut se poser 2 questions, centrales et emblématique, qui permettraient l’émergence d’une dynamique vertueuse et casser le rythme infernal, qui mène les producteurs comme les consommateurs vers un fonds de sauce indigeste, et un empoisonnement mondial des milliards d’habitants de la planète, qu’il faudra nourrir en masse dans des villes toujours plus grandes.

La première question nous concerne tous en tant que consommateurs. C’est celle de la transparence. Dont nous sommes bien loin à ce jour. Le consommateur, malgré les multiples étiquettes qui entourent, de leur notice illisible et inutile, les produits que nous consommons, sont dans l’obscurité totale. D’où viennent les produits que nous consommons ? Que contiennent-t-ils ? Bien malin qui peut y répondre.

Connaître l’origine des produits que nous consommons implique une traçabilité sur la filière alimentaire. Et finalement cette dernière existe. Chaque produit est tracé au long de sa chaine et il est possible – même si c’est parfois laborieux et si elle est dans certains cas faillible – de remonter la chaîne. Mais le vrai problème est que certains industriels n’ont pas forcément intérêt à communiquer ou à rendre accessible cette traçabilité.

Chaque consommateur a non seulement le droit de savoir d’où vient le produit qu’il achète et ce qu’il consomme. Le droit, mais surtout l’obligation. La santé des habitants de cette planète, la moralisation des affaires, et la durabilité de notre agriculture l’exigent. D’ailleurs pour 97% des consommateurs, il est primordial (dans une étude récente) que la traçabilité du produit soit parfaitement assurée jusqu’au magasin*. Nous retrouvons aussi comme une attente pour également 97% d’entre eux, le fait que le produit alimentaire brut doit provenir d’une exploitation agricole implantée en France*. La préoccupation de qualité rejoint la volonté de France, de produit français.

Prenons l’exemple de la filière miel, dont la réglementation oblige de mettre en avant l’origine du produit. Après vérification en magasin, c’est effectivement le cas. De nombreux miels affichent "Mélange de miel originaires de la CE et non originaires de la CE". Totalement inutile, puisqu’en gros cela indique que le miel provienne du monde entier. (Sic !). D’après l’étude réalisée par Que Choisir**, 1/3 des miels que nous consommons présentent des cas de fraude sur l’origine ou d’adultération du miel (ajout de sirop de sucre). Avec des pratiques qui menacent potentiellement la santé, de la part de nombre de pays. Dans cet exemple, la Chine, relativement coutumière du fait.

Un exemple qui illustre bien la complexité de savoir ce que nous consommons si l’information ne lui est pas donnée – et c’est bien la demande des consommateurs – accessible de manière simple  et accessible. Et honnête.

L’idée n’est pas tant ici d’accuser les pratiques, certaines initiatives ont vue le jour et elles méritent d’être reconnues, à titre pédagogique, pour encourager des pratiques plus transparentes.

Une société basée sur une "transparence 2.0" changerait en profondeur les rouages de cette dernière. D’une part parce que de nombreux fantasmes existent et que ces derniers seraient levés, d’autre part parce que dans les cas plus complexes, ils auraient le mérite d’être débattus et le conflit serait, en quelque sorte, réhabilité.

Vœux pieux et naïf diront certains. Mais Internet, les réseaux sociaux et la pression de la société civile, nous y amèneront de toute manière. Il est de plus en plus difficile pour les trafiquants de toute sorte, d’échapper à la vérité. Mais ils sont nombreux et la pression est forte, de transformer des entrepreneurs vertueux en flibustiers, parce que mis sous pression de produire, pour moins cher, toujours moins cher,  et préférer la survie de leur entreprise à la vertu. D’autres n’ont simplement pas de vertu.

Au delà de cette transparence nécessaire, le choix de nos modèles agricoles et alimentaires mérite également d’être posé. Sans opposer les uns aux autres, certains points méritent d’être soulevés. Et des réponses apportées.

Entre les circuits cours et les circuits longs, comment recréer sur nos territoires des systèmes locaux de nourriture avec une économie soutenable sur le plan économique, social et environnemental?

Cette question soulève également celle de l’échelle, ainsi que 2 autres :

Entre les filières courtes d’un côté et les filières longues de l’autre, que faire au milieu ?

Comment privilégier des économies à taille humaine, capables de créer des emplois tout en restant compétitive ?

Et comment permettre à l’investissement de s’orienter vers ces systèmes agricoles et alimentaires, plus qualitatifs au niveau des éco systèmes et de la nourriture, avec un partage de la valeur plus équilibrée du producteur au consommateur ?

Pour répondre à ces questions, il faut se résoudre à quelques constats préalables :

La traçabilité documentaire peut être "faillible" en particulier sur les achats réalisés à l’étranger qui intègre de nombreux intermédiaires (Erreurs, fraudes…).

Sur notre planète, les conditions techniques, économiques, règlementaires et sanitaires d’élaboration et de mise à disposition d’un aliment varient sur une échelle de 1 à 10. Ce qui induit des différentiels de qualités et de coûts de production encore très importants.

Aussi complexe soit-elle, la réglementation internationale et européenne sur l’alimentation visant à qualifier les différents modes de production et régir les échanges de produits agricoles et alimentaires entre pays ne résous pas suffisamment les distorsions de concurrence et les cas de fraudes.

L’alimentation dans le budget des ménages français est passée de 30 à 15 % en 40 ans (Insee). La population active agricole familiale et salariée française est passée de 6,2 millions de personnes en 1955 (Soit 31 % de l’emploi total en France) à 1,3 million de personnes en 2000 (Soit 4,8 % de l’emploi total). (Source Agreste). Le niveau des attentes liées à l’alimentation est très variable. Elle évolue d’une simple réponse fonctionnelle ou hédoniste, jusqu’à une nouvelle vision de la société.

Une part croissante de la population est déconnectée des réalités terriennes actuelles. La connaissance économique et de ces mécanismes complexes est inconnue de la population.

Malgré cela, une part croissante de la population propose et demande un nouveau modèle agricole et alimentaire. Dans ce contexte, c’est aux acteurs volontaires et complémentaires de l’agriculture à l’alimentation de se mobiliser autour d’une vision et d’objectifs communs.

La construction d’une filière agricole et alimentaire visant à rétablir l’équité et la clarté, va beaucoup plus loin que le sourire d’un producteur sur une étiquette.

Cela demande une nouvelle ingénierie relationnelle et technique de gestion des échanges. Ingénierie qui doit être comprise et partagée par chacun des acteurs de la chaîne alimentaire. Il faudra :

- Développer une lecture commune de l’évolution de la société à travers ses demandes alimentaires.

- Comprendre les exigences opérationnelles et techniques des différents métiers (du sol à l’assiette).

- Consolider l’expertise de la chaîne des coûts, la partager avec des outils et un langage commun.

- Établir des objectifs communs avec des indicateurs de progression.

- Anticiper et planifier ensemble les besoins des métiers à rotation rapide (Commerce) et des métiers à rotation plus lente (Cycle de production agricole, process d’élaboration alimentaire).

- Établir des mécanismes de régulation et d’ajustement au marché et à la production.

- Être engagés les uns envers les autres au delà d’une simple relation commerciale (Sociétariat dans la durée, investissements communs etc.).

- Réaliser un marketing  partagé de cet ensemble d’acteurs du territoire.

Nous pouvons donner un exemple complet de méthode vertueuse, le cas BIOCOOP. Vertueux car BIOCOOP est un exemple d’engagement. Acteur historique de l’alimentation biologique, des écoproduits et de leur diffusion en France. Leur lien aux producteurs est constitutif de leur histoire, son ADN profonde.

Elle a démarré dans le garage de particuliers qui cherchaient à trouver des produits et producteurs BIO à une époque ou ces produits ne représentaient qu’une proportion invisible de la consommation. Devant la croissance de la demande et des magasins, le maintien du lien aux producteurs a du évoluer et prendre un cadre plus structuré. Ainsi les producteurs participent à la gouvernance du réseau, à travers la section agricole et sont présents au sein du conseil d’administration du réseau. Ainsi orientation politique et services opérationnels sont traités dans un espace approprié.

Même si parfois, voire souvent, les intérêts peuvent être divergents entre producteurs et commerçants. Le conflit apparent est traité dans un cadre et un espace approprié qui permet d’identifier les éléments factuels, mécaniques des difficultés rencontrées des éléments plus politiques ou émotionnels de la relation. C’est dans ce cadre qu’au bout du compte, les solutions peuvent être trouvées.

Construire durablement des filières agricole et alimentaires demande plus que la réponse à un "Cahier des charges produit" et une proposition tarifaire. Cela demande des moyens et un engagement nouveau. C’est beaucoup plus engageant mais aussi beaucoup plus solide. C’est cette voie qui doit être suivie. Une ligne directe tracée du producteur au consommateur, dans laquelle chacun prend sa responsabilité, dans l’intérêt de l’humanité toute entière.

* Source IPSOS Public Affairs / Juin 2014

** Source Que Choisir / Septembre 2014

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