Une majorité de Français en faveur d’une intervention militaire au sol en Syrie : les multiples raisons tactiques et politiques qui s'y opposent<!-- --> | Atlantico.fr
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56% des Français se déclarent en faveur d'une intervention militaire terrestre en Syrie.
56% des Français se déclarent en faveur d'une intervention militaire terrestre en Syrie.
©Reuters

Kamikazes

Un sondage de l'Ifop et du JDD révélait ce week-end que 56% des Français se déclarent en faveur d'une intervention militaire terrestre en Syrie. Pourtant, la France n'a pas les moyens militaires de le faire, les Etats-Unis en période pré-électorale ne veulent pas d'un nouveau bourbier, et l'absence de solution politique rend cette éventualité intenable.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : 56% des Français se déclarent favorables à une participation de la France à une éventuelle intervention militaire terrestre, dans le cadre d'une coalition militaire internationale, selon un sondage Ifop pour le Journal du Dimanche (JDD). Est-ce souhaitable et réaliste? 

Alain Rodier : La question ne se pose même pas car une intervention terrestre est aujourd’hui totalement impossible pour des raisons simplement tactiques (qui viennent s’ajouter à celles qui peuvent être qualifiées de politiques). A savoir qu’une offensive militaire destinée à vaincre Daesh devrait descendre l’Euphrate et le Tigre pour reprendre Raqqa, la « capitale » de l’Etat Islamique et Mossoul, le poumon économique de l’Emirat (on peut discuter du ou des points de départ d’une telle opération). Pour avoir une chance de succès raisonnable, ces opérations devraient engager chacune au moins 150 000 hommes soit un total de 300 000 militaires. Bien sûr, l’armée française actuellement à la manœuvre au Sahel, en France dans l’opération sentinelle et sur des implantations extérieures, n’a plus un soldat disponible. On nous a aussi habitué à la guerre « zéro mort » (pour l’attaquant). L’offensive décrite ci-avant provoquerait immanquablement des pertes qui se compteraient par centaines car l’ennemi est prêt à se sacrifier volontairement.Je tiens à souligner ici que les armées françaises réalisent tous les jours des miracles pour remplir les missions qui leur sont données par le pouvoir politique. Certes, on parle (un peu) des tués au combat mais moins des blessés qui sont marqués dans leur chair et psychologiquement pour le restant de leur vie. Beaucoup d’idéologues pensent que la guerre n’est que le prolongement de la politique sans tout à fait en envisager les horreurs que les militaires connaissent parfaitement. Sur le plan politique, le président Obama (prix Nobel de la paix, il faut le rappeler) dont l’heure de gloire a été de retirer les GIs d’Irak, n’a aucune intention de réengager l’armée américaine en masse dans le bourbier moyen-oriental, surtout durant la période électorale qui débute aux Etats-Unis. Globalement, les armées des pays arabes sont mobilisées pour maintenir l’ordre à domicile et pour tenter de mener à bien le conflit qui se déroule aujourd’hui au Yémen contre les rebelles Al-Houthi. L’armée iranienne ne s’engagera pas en zones sunnites pour des raisons géostratégiques évidentes. La Turquie voudrait bien créer une « zone tampon » de 100x70 kilomètres au nord-ouest de la Syrie, mais pas plus. A noter que ce pays a les moyens humains (700 000 hommes plus 400 000 réservistes) et matériels de lancer une guerre totale à Daesh. Ankara ne le veut pas pour des raisons de politique intérieure mais aussi parce que cela ne serait pas accepté par les autres puissances de la région.

Pour terminer avec le côté tactique, la mise sur pied d’une coalition internationale est une chose extrêmement compliquée à mettre en œuvre et nécessite des mois de préparation et des budgets à la mesure des ambitions. Enfin, la durée des offensives décrites ci-avant ne se compterait pas en quelques semaines mais en dizaines de mois. Combattre une force irrégulière n’est pas la même chose qu’abattre l’armée classique de Saddam Hussein ce qui, en passant, n’a pas empêché le déclenchement de l’insurrection qui dure, avec des hauts et des bas, depuis 2003.

A la question : "Pensez-vous que seule une intervention militaire internationale peut résoudre la crise actuelle en Syrie ?", 50% des Français pensent plutôt que non. En effet, la coalition ne prendrait-elle pas un risque à intervenir militairement au sol, sans solution politique pour la suite? Est-ce que cela ne rappelle pas d'autres cas de figure précédents, comme la Libye ?

En effet, même après avoir repris Raqqa et Mossoul (ce qui est impossible aujourd’hui, je le répète), il faudrait ensuite gérer les territoires reconquis ce qui mobiliserait encore plus de forces militaires qui seraient exposées à des actions de guérilla. En un mot : « le merdier » comme le film du même nom mais sur un autre théâtre (le Vietnam. Le film en VO est intitulé « Go tell the Spartans »). De plus, cela ne règlerait en rien le problème du pouvoir en place à Damas. Il faudrait d’ailleurs définir des « frontières » entre zones libérées et celles tenues par l’armée syrienne. A noter que, même si un accord -pour l’instant totalement inenvisageable- était conclu avec le gouvernement syrien actuel, ce dernier n’a pas les moyens militaires nécessaires pour passer l’offensive et apporter une aide significative à une coalition. Ils lui suffisent à peine pour défendre son pré carré situé à l’ouest du pays, et ce malgré l’aide des pasdarans iraniens, du Hezbollah libanais et de « techniciens » russes. Enfin, que faire des groupes rebelles qui dépendent d’Al-Qaida dont le Front Al-Nosra ? Pour compliquer un peu plus l’équation, ils sont plus ou moins soutenus par l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie.

N'est-ce pas dangereux pour la coalition d'intervenir de manière trop volontariste dans une région où les conflits ne sont pas circonscrits à la Syrie, mais concernent plus largement l'affrontement chiites/sunnites ? 

C’est un des grands dilemmes de la région. Parler avec tout ne monde ne veut pas dire prendre partie pour un camp ou pour l’autre. De toutes façons, les chiites ne s’aventureront pas en dehors des zones à populations majoritairement chiites (de même que les Kurdes ne sortiront pas de leurs enclaves).

Comment interprétez-vous cette position des Français ? Est-ce à cause de la crise des réfugiés que tout le monde voudrait voir résolue ?

L’intervention de l’armée française au Mali a donné une fausse impression de « facilité », laissant croire que l’on pourrait renouveler cela ailleurs. Sans vouloir diminuer en rien les mérites de l’armée française qui a été remarquable, force est de constater que l’ennemi se comptait en quelques milliers d’activistes peu coordonnés, ne bénéficiant que de moyens légers et n’ayant pas une expérience opérationnelle importante. Les combattants fanatisés de Daesh se battent, pour certains, depuis des années puisque nombre sont d’anciens officiers irakiens. Ils ont une structure de commandement qui, si elle n’est pas vraiment centralisée, reste très efficace avec beaucoup d’initiative laissée aux commandants locaux sur le terrain. De plus, même si une partie des armements lourds a été remisée en raison de pertes occasionnées par les frappes aériennes depuis un an, ils bénéficient d’armes modernes dont de nombreux missiles anti-chars. Leur arme de choc est le véhicule blindé bourré d’explosifs qui sert à rompre les lignes ennemies tout en provoquant la panique chez ses adversaires. Et surtout, ses forces sont mélangées à de nombreuses populations civiles -ce qui n’était pas tout à fait le cas au Nord-Mali-, ce qui rend les opérations offensives extrêmement délicates pour éviter les pertes collatérales qui poussent ces mêmes populations à soutenir l’adversaire.

La position prudente de François Hollande, lors de sa conférence de presse du 7 septembre, annonçant que des vols de reconnaissance seraient opérés, précédant d'éventuelles frappes aériennes, est-elle la stratégie la plus sage et recommandée actuellement ? Le chef de l'Etat a-t-il pris la bonne décision ?

Le chef de l’Etat n’avait pas beaucoup de choix. Daesh, que la France combat, est établi en Irak mais aussi en Syrie. Frapper en Irak mais s’interdire de taper en Syrie était techniquement aberrant car le front syro-irakien est unique. Le fait d’être maintenant présent « au-dessus » de la Syrie va permettre d’avoir accès à des informations que les Américains gardaient pour les membres de la coalition intervenant dans ce pays (c’est bête, mais c’est comme cela que procèdent les Américains). Cela ne va pas permettre de gagner la guerre mais c'est un signe en direction des Américains qui nous aident aussi discrètement eu Sahel. Je rappelle qu’aucune guerre n’a été gagnée par les airs si elle n’était suivie d’une exploitation par des troupes au sol à l’exception du Japon…Alors, on se dirige vers quoi ? Une guerre d’usure qui va durer des années (de 10 à 30 selon les estimations) en espérant que des tribus sunnites irakiennes et syriennes finiront par se révolter contre la tutelle de Daesh. Pour cela, il faudra les aider et que les promesses ne restent pas lettre morte comme cela a été le cas en Irak lorsqu’elles ont permis de vaincre l’Etat Islamique d’Irak (EII) en 2007/2008, ancêtre de Daesh. Dans cette guerre, la France a surtout en charge le théâtre sahélien (héritage historique) et la défense de ses citoyens sur son sol. Cependant, il convient de dépasser le niveau tactique car la victoire contre Daesh (et contre Al-Qaida que l’on a tendance à oublier mais qui était derrière les attentats dirigés contre Charlie Hebdo) ne pourra s’obtenir que grâce à la défense des idées. Il faut se souvenir que la Démocratie a un prix.

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