7 ans après Lehman Brothers et le déclenchement de la grande crise : ce qui s’est vraiment passé en 2008 et qu’on a toujours de la peine à comprendre<!-- --> | Atlantico.fr
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L’idée que personne n’avait pu anticiper cette crise est complètement fausse.
L’idée que personne n’avait pu anticiper cette crise est complètement fausse.
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Ce que l'on ne vous a jamais dit

Le 15 septembre 2008, suite à la crise des subprimes, la banque américaine Lehman Brothers se déclarait en faillite, entraînant l’économie mondiale dans sa chute. Pourtant, et malgré son caractère évident, cette version de l’histoire se révèle bien peu crédible.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Tout a été dit sur la crise de septembre 2008 et la faillite de Lehman Brothers, en dehors, peut-être, de l’essentiel. Parce qu’apparemment, les événements qui ont conduit la planète économique à se déliter lors de ces quelques années noires sont connus de tous. Des banquiers irresponsables auraient vendu des crédits hypothécaires (subprimes) à des personnes insolvables, ce qui a conduit, en cascade, à un effondrement du système financier américain, pour en arriver à provoquer, en bout de course, un écroulement économique généralisé. Cette crise, selon la plupart des dirigeants politiques, était imprévisible, et n’aurait d’ailleurs été prévue par personne. Une sorte d’ouragan inattendu, contre lequel on ne pouvait rien. Le problème avec cette vision des choses est qu’elle ne correspond pas à la réalité. Il s’agit d’une fable. Et il n’est pas nécessaire d’aller débusquer les complotistes pour s’en rendre compte.

La crise des subprimes débute au cours de l’année 2007, son impact sur l’économie est alors résiduel. L’emploi est faiblement touché, la croissance ralentit légèrement. Le marché immobilier est bien en cause, car les prix baissent depuis l’année 2006, mais le choc reste encore contenu à ce seul secteur. En Europe, en-dehors des tensions dues aux investissements des banques locales (françaises et allemandes) dans les subprimes, tout va bien.

Pourtant, dès le mois de décembre 2007, lors d’une réunion de la Réserve fédérale des Etats-Unis, une sombre prévision est formulée par un Gouverneur de la Banque centrale, Frederic Mishkin, économiste vedette de l’équipe qui constitue le comité en charge de la politique monétaire américaine. Mishkin n’est pas n’importe qui, professeur reconnu à Columbia, il est l’auteur de nombreux ouvrages de référence en macroéconomie. Nous sommes ici au cœur du pouvoir économique mondial, et lors de cette réunion, Mishkin prend la parole pour avertir les membres du comité de sa perception de la situation. En raison du caractère " sensible " de ces prises de parole internes à la FED, ces propos ne seront publiés que 5 années plus tard :

"Mais je voudrais dire pourquoi ma bonne humeur est moins bonne aujourd’hui, et pourquoi je suis actuellement très très inquiet, ne disons pas déprimé, mais au moins un peu plus que d’habitude, c’est parce que je pense que les scénarios négatifs qui sont mentionnés dans le livre vert (le livre vert rassemble les prévisions économiques de la FED) sont de réelles possibilités. En fait, il y a deux scénarios séparés, le scénario de la correction immobilière et le scénario de la crise de crédit. Je pense qu’il existe une réelle possibilité, très forte en fait, que ces deux scénarios se produisent en même temps, parce si les prix de l’immobilier baissent encore, cela crée des problèmes supplémentaires en terme d’évaluation des risques, et un sérieux problème d’évaluation du risque signifie un approfondissement de la perturbation du marché du crédit, ce qui nous amène à encore plus de problèmes macroéconomiques parce que cela conduit à une spirale négative. L’économie réelle se dégrade. Ce qui signifie qu’il y a plus d’incertitudes. Les écarts de crédit se dégradent, et vous obtenez la réalisation d’un très mauvais scénario. Cela peut nous amener au scénario de la crise de crédit. De la même façon, un scénario de crise de crédit, je le pense, aura un effet très négatif sur l’économie réelle, ce qui signifie que les prix de l’immobilier baisseront, ce qui rend encore plus probable une situation où nous aurons un scénario d’une plus forte correction immobilière. C’est la première cause de ma dépression".

"La seconde est que le livre vert ne traite pas des effets que cela pourrait avoir au niveau international. Il y a eu beaucoup de discussion dans les médias à propos du découplage entre l’économie américaine et les économies étrangères, et lorsqu’il s’agit du commerce, je pense que cela est parfaitement raisonnable. Mais lorsque cela relève du financier, alors il y a une très bonne raison de croire au recouplage parce qu’une perturbation financière aux Etats Unis va très probablement se propager pour faite naitre des perturbations financières à l’étranger. Bien sûr, nous avons déjà vu ça. Cela est notamment remarquable dans ce qui est arrivé avec le marché des subprimes, qui s’est propagé dans plusieurs secteurs, dont les banques européennes, et d’ailleurs peut-être même plus que pour les banques américaines. Donc, la possibilité que des problèmes se développant aux Etats Unis provoquent des problèmes en Europe ou dans d’autres économies avancées, et que ces problèmes s’empilent avant de revenir aux Etats Unis, signifie qu’il y a un troisième scénario qui peut tout regrouper en même temps."

"Lorsque je constate cela, je deviens très nerveux. La limite est que mon modèle de prévision est sans doute négatif par rapport à ce que l’équipe suggère. Mais je pense qu’il y a une probabilité significative que les choses vont mal se passer. Vous n’aimez pas utiliser le mot " R " (Récession), mais la probabilité d’une récession est, je le pense, proche de 50%, et cela m’inquiète beaucoup, je pense également qu’il y a même une possibilité que cette récession soit sévère."

Tout y est. Le déroulé de la crise de 2008 est parfaitement décrit depuis décembre 2007, et ce, non pas par des personnes sans aucune influence, mais au sein même de l’institution économique la plus puissante au monde. L’idée que " personne " n’avait pu anticiper cette crise est donc, tout simplement, complètement fausse. Le risque est parfaitement connu, et Mishkin propose déjà une solution. Pour montrer aux marchés financiers que la FED a d’ores et déjà identifié un risque majeur, il lui suffit de surprendre les marchés en agissant massivement dès ce mois de décembre 2007. L’économiste propose de baisser les taux d’intérêts d’un demi-point, ce qui serait tout à fait inhabituel dans une période " normale ", mais permet ainsi de montrer au monde entier que l’institution a bien identifié le risque en question, et qu’elle ne se laissera pas surprendre par les évènements.

" En fait, l’idée d’une baisse d’un demi-point est que, en agissant en amont de la courbe (des taux), nous indiquons aux marchés que nous sommes prêts à réagir à des évènements qui pourraient présager que nous sommes au milieu d’une situation de type cercle vicieux. "

C’est-à-dire de donner le signal aux marchés financiers qu’il y a pilote dans l’avion, et que la situation est sous contrôle. Malheureusement, la proposition de Frederic Mishkin ne sera pas retenue par le comité, et la baisse de taux décidée au cours de cette réunion ne sera que de 0,25 point. Si la différence ne semble pas énorme, c’est l’interprétation par les marchés qui est essentielle. Et ce jour-là, la bourse américaine perd 700 points. La réaction des marchés financiers est simple à comprendre: la situation économique est susceptible de s’aggraver lourdement (l’arrivée d’un ouragan) et les institutions n’en tiennent pas vraiment compte (l’aveuglement des autorités). Une situation que Mishkin décrivait simplement:

"Ce que nous devons faire, c’est montrer aux marchés que nous savons que notre boulot consiste à éviter que des mauvais chocs ne se propagent pas de la pire manière. Nous ne pouvons pas prévenir ces chocs, parce que des choses arrivent, mais notre boulot, c’est bien de s’assurer qu’ils ne se propagent pas de la pire manière "

Le choc, ce sont les subprimes. Et la prévention de la propagation à l’économie, c’est bien le travail des banques centrales. Lorsque le Krash du 19 octobre 1987 frappa la bourse américaine, la FED intervint immédiatement, soit le lendemain même, et " l’économie réelle " fut préservée. Le rôle de stabilisation de l’économie face à une crise, dévolu à la Banque centrale, a été rempli à cette occasion.

Mais sans cette réaction, le choc va logiquement se propager à l’économie, le mode panique peut être activé parce que les investisseurs comprennent que le filet de protection est défaillant. La chute des marchés financiers débute dès la fin de l’année 2007, et se poursuivra tout au long de l’année 2008, jusqu’à la chute de Lehman Brothers. Tout au long de ce processus, et malgré les nombreux signaux d’avertissement, aucune réaction des autorités monétaires ne verra le jour. Mishkin démissionne de son siège de Gouverneur de la FED le 31 août 2008.

De l’autre côté de l’Atlantique, au siège de la Banque centrale européenne, tout est tranquille. Personne ne voit rien venir. Pire encore, la BCE va commettre la plus lourde erreur monétaire de tous les temps, sous la présidence de Jean Claude Trichet. Alors que les bourses mondiales passent leur temps dans le rouge, signe évident " qu’il se passe quelque-chose ", la BCE ne trouve rien de mieux que de s’inquiéter de la hausse de l’inflation. L’expression « être à côté de ses pompes » trouve ici sa plus belle illustration. En effet, alors que les marchés émergents restent dans leur dynamique de forte croissance, les prix des matières premières flambent. L’inflation, au sein de la zone euro, atteint les 4% au mois de juillet 2008.

Afin de faire face à cette " insupportable " échappée inflationniste, les champions de la BCE relèvent les taux directeurs de 0,25 point en ce même mois de juillet 2008, histoire de contrer la hausse des prix en mettant un coup de frein à l’économie européenne. Brillant. Car au même moment, l’économie de la zone euro est déjà en train de passer dans le rouge. Les indices des directeurs d’achats, (PMI) pourtant suivis de près par les autorités monétaires, indiquent déjà une situation de contraction économique. En effet, au mois de juin 2008, l’institut Markit publie son indicateur composite relatif à la zone euro, et celui-ci atteint 49.3 points, son plus faible niveau depuis 5 ans, et surtout, sous le seuil fatidique des 50 points, signe de récession. En réalité, la Banque centrale européenne s’est fait piéger comme une débutante par un élément extérieur. Car la hausse des matières premières est bien due à la forte demande des pays émergents, Chine en tête, et non pas à une surchauffe de l’économique européenne, puisque celle-ci est déjà en train de s’essouffler.

En prenant cette décision, la BCE jette l’économie de la zone euro par la fenêtre, alors que celle-ci avait déjà besoin qu’on lui tende la main. Les experts de la BCE millésime 2008 peuvent être fiers, cette décision est une cause fondamentale de la crise dont l’Europe n’est toujours pas sortie. (Une erreur similaire sera commise en 2011, sous l’autorité du même Jean Claude Trichet. clap clap clap).

Et les marchés financiers comprennent que la BCE passe complètement à côté de son sujet, les festivités commencent en Europe. Parce que pour un investisseur avisé, la conclusion est aisée ; la Banque centrale européenne vient de démontrer son incapacité à stabiliser l’économie du continent, et perd ainsi toute crédibilité. Le fameux mode panique devient viral. Les Etats Unis ne bougent pas, les européens marchent sur la tête, et les investisseurs continuent de fuir.

L’effondrement général qui s’en suit n’est que la conséquence de cette situation. Lehman Brothers en sera la victime et le symbole. Une telle crise était parfaitement gérable pour des autorités monétaires compétentes. Mais l’idée que des crédits hypothécaires ont pu être la cause de la dévastation de l’économie mondiale est en cela grotesque. Car elle n’est même pas crédible. Ce sont les erreurs à répétition des banques centrales qui ont dégoûté les marchés financiers, et qui ont permis cette propagation à " l’économie réelle ". Ce qui fait de 2008, une réplique quasiment parfaite de 1929.

Le point essentiel, ici, est de prendre en compte le fait que l’économie n’est pas stable par nature. Ainsi, lorsqu’un secteur souffre, comme cela a été le cas de l’immobilier américain dès 2006, un coût est à prévoir en termes de croissance. Et ce coût nécessite une contrepartie de la part des autorités monétaires. Il s’agit ni plus ni moins de leur rôle. Non pas dans une logique de course en avant, mais simplement dans une recherche de stabilisation. Dans une telle situation, l’inaction des autorités est donc une action en soi, car c’est bien cette stabilité qui est l’objectif. Lorsqu’une maison est chauffée à 20 degrés et que la température extérieure est de 15 degrés, il n’est pas inutile de modifier les réglages lorsque la température extérieure chute, surtout si l’on veut conserver la température initiale entre les murs. Considérer que cette crise est de la responsabilité des subprimes ou de Lehman Brothers, c’est accepter l’idée que si tout le monde est mort de froid, c’est de la faute de la température extérieure, et non de la personne en charge du thermostat. Ainsi, puisque les deux plus importantes banques centrales de l’économie mondiale ont raté le coche (le pompon a tout de même été décroché par la BCE), les dégâts ne pouvaient être que considérables.

La Grande récession de 2008 est évidemment une crise monétaire, dont les conséquences sont toujours les mêmes : chute de la croissance, hausse du chômage, hausse des déficits publics et de l’endettement des Etats. Après avoir tout raté au moment de la survenance de la crise, les européens ont choisi de soigner les symptômes (déficits et dettes) au lieu d’en traiter la cause, c’est-à-dire la politique monétaire. Aux Etats Unis, au moins, cette erreur a été réparée. Mais en Europe, le bilan est funeste; les dirigeants européens sont en train de commettre l’exploit inespéré de faire de 2008 une crise économique encore plus longue que celle des années 30.

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