Mort de Robert Boulin : la justice n’a plus beaucoup de temps si elle veut percer le mystère <!-- --> | Atlantico.fr
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François Berléand a incarné Robert Boulin dans un film
François Berléand a incarné Robert Boulin dans un film
©Téléfilm, "Crime d'Etat", produit par Jean-Pierre Guérin

L'épilogue

La justice vient d’ouvrir une information judiciaire pour séquestration et assassinat de Robert Boulin retrouvé mort le 30 octobre 1979 dans les étangs de Rambouillet. L’espoir renait pour sa fille Fabienne qui n’a jamais cru à la thèse du suicide. Elle n’est pas la seule. Des personnalités politiques comme Michel Jobert, Alexandre Sanguinetti ont partagé cet avis. C’est le cas aujourd’hui du journaliste Benoît Collombat. Une chose est sûre : Boulin, que Giscard songeait à promouvoir Premier ministre, gênait dans certains rangs du RPR. De là à l’assassiner ?

Gilles Gaetner

Gilles Gaetner

Journaliste à l’Express pendant 25 ans, après être passé par Les Echos et Le Point, Gilles Gaetner est un spécialiste des affaires politico-financières. Il a consacré un ouvrage remarqué au président de la République, Les 100 jours de Macron (Fauves –Editions). Il est également l’auteur d’une quinzaine de livres parmi lesquels L’Argent facile, dictionnaire de la corruption en France (Stock), Le roman d’un séducteur, les secrets de Roland Dumas (Jean-Claude Lattès), La République des imposteurs (L’Archipel), Pilleurs d’Afrique (Editions du Cerf).

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Connaîtra-t-on un jour la vérité sur la mort, il y a 36 ans, dans la nuit du 29 au 30 octobre 1979, de Robert Boulin, ministre du Travail  de Valéry Giscard d’Estaing ? Suicide ou assassinat ? Pendant de longues années, la première hypothèse a été considérée comme la seule plausible. Mais voilà que grâce à une plainte déposée, via son avocate Me Marie Dosé, pour séquestration, assassinat par la fille de l’ancien ministre Fabienne Boulin –Burgeat, qui va faire l’objet d’une instruction au Tribunal de Versailles, le dossier Boulin est rouvert. Avec un espoir : que la justice balaie une fois pour toutes la thèse du suicide au profit de celle d’une mort violente commise par des tiers.

 Pour ce faire, Fabienne Boulin s’appuie sur deux témoins qui auraient conduit Robert Boulin en voiture le jour de sa mort. Deux témoins qui ne se sont jamais manifesté à ce jour. Ainsi, redémarre l’une des plus mystérieuses affaires de la Vème République. Depuis, que n’a-t-on écrit sur Robert Boulin ! Un jour qu’il était sous la coupe d’un maître chanteur dénommé Henri Tournet !  Un autre qu’il avait été abattu par un clan gaulliste qui lui reprochait son allégeance au pire ennemi des gaullistes, en l’espèce Valéry Giscard ‘ Estaing… qui doit –on voulait en faire son premier ministre. Une chose est sûre : Robert Boulin, résistant, gaulliste dans l’âme, maire de Libourne, avocat de profession, plusieurs fois ministre depuis 1959 était un personnage avenant, sympathique… Et en cet automne 1979, quinze jours  avant sa mort dramatique, nous l’avions accompagné lors d’un voyage de presse près de Bordeaux et rien ne laissait présager une telle fin. Ni dans ses propos, ni dans son attitude. Souriant, disponible, il n’avait rien a priori d’un homme traqué ou au bout du rouleau.

Retour en arrière. Au cours du mois de septembre 1979, bon nombre de journaux reçoivent des lettres anonymes qui accusent Robert Boulin d’avoir acquis un terrain dans le village protégé de Ramatuelle ( Var) grâce à  un de ses amis, Henri Tournet. Montant : 40 000  francs. Or, non seulement ce terrain semble avoir été vendu 3 fois, - ce qui accrédite la thèse d’une escroquerie dont Boulin est victime- mais il semble  que le ministre soit aussi intervenu pour que le terrain soit déclaré constructible. C’est dire qu’une faveur aurait été accordée à Tournet, authentique résistant lui aussi, ami de Jacques Foccart depuis 1941, et promoteur disons indélicat, pour être gentil. Il est décédé au Chili en 2008. 

Naturellement le journal Minute s’en donne à cœur joie en publiant le 17 octobre 1979 un premier article au titre cinglant : «  Boulin a fait la belle boulette. » Quatre jours plus tard, Boulin réplique lors de la fameuse émission Le club de la Presse d’Europe n°1 : « Que voulez-vous que je réponde ? J’ai l’âme et la conscience tranquilles et j’ai été exemplaire »… Suit alors cette phrase qui, par la suite, prendra une résonnance toute particulière : « Peut-être encore plus que vous ne le pensez, parce qu’il y a des choses que je ne peux pas dire ici » La campagne de presse se poursuit. Notamment dans Le Canard Enchaîné et Le Monde qui se penchant sur les relations nouées entre Boulin et le promoteur Tournet. C’est à ce moment qu’on apprend qu’un jeune d’instruction, âgé de 26 ans, totalement inconnu du grand public, enquête sur cette histoire de terrain de Ramatuelle. Son nom : Renaud Van Ruymbeke qui s’illustrera plus tard dans les affaires de financement du PS et du Parti républicain avant d’être saisi plus tard des dossiers Karachi et autres affaires concernant Nicolas Sarkozy. En cette année 1979, Van Ruymbeke s’intéresse évidemment à Tournet en l’inculpant et le plaçant en détention. Un jour ou l’autre, le magistrat devrait entendre le ministre du Travail de Valéry Giscard d’Estaing. Il n’aura pas le temps. Et pour cause : le 30 octobre 1979, à 8 heures 40, le corps de Robert Boulin gît à genoux à cinq mètres de la berge  de l’étang du Rompu dans la forêt de Rambouillet. Il baigne dans 50 cm d’eau.  Sa voiture est retrouvée  sur un chemin d’accès à l’étang, situé à 200 mètres  d’une route départementale reliant  Saint-Léger-en Yvelines au sud  à Montfort-l’Amaury au nord. De quoi est mort le ministre ? Les premières conclusions de l’enquête du SRPJ de Versailles dirigé par Claude Bardon sont formelles : ne supportant pas la campagne de dénigrement  orchestrée par la presse depuis plusieurs semaines, Boulin s’est suicidé. Il a absorbé beaucoup de barbituriques et ingéré du Valium. Cette thèse est validée par l’ensemble des journalistes qui côtoient le ministre du Travail et même par la famille de ce dernier.  Pourtant quelques voix discordantes se font entendre ici et là. Comme celle de Laurent Fabius, député PS de Seine-Maritime et porte- parole du groupe à l’ Assemblée nationale. A l’occasion d’une question orale posée au Premier ministre, voici ce qu’il déclare : « L’opinion éprouve en même temps que de l’émotion une très grande perplexité. Les motifs, les circonstances, les conditions exactes, tout cela n’apparait pas claire. Etes-vous réellement prêt à rechercher la vérité ? Qui nous garantit qu’une fois de plus elle ne sera pas étouffée ? » L’épouse de Robert Boulin manifestera très vite des doutes sur son suicide.  Fabienne Boulin raconte dans son livre très émouvant «  Le dormeur du Val » qu’Achille Peretti, haut dignitaire du gaullisme, président de l’Assemblée nationale était venu voir sa mère Colette pour lui proposer beaucoup d’argent afin qu’elle fasse taire ses doutes. Ce que la veuve de Boulin refusa.  

Au fil des ans, la thèse du suicide eut du plomb dans l’aile, tant les incohérences au cours de l’enquête apparurent nombreuses. On apprit par exemple au cours d’une autopsie du corps de Robert Boulin, que sa bouche était fermée, ce qui était incompatible avec une mort par noyade. De même on découvrit  que le visage de Boulin était bleu et enflé, ce qui laissait penser qu’il avait été battu. Pourtant l’instruction ouverte pour rechercher les causes de la mort du ministre se termine par un non-lieu.  En 1983, la famille qui ne croit de moins en moins à la thèse du suicide obtient une contre-autopsie. Le 16 novembre, le légiste rend ses conclusions. Primo, il clairement identifié comme une trace de corde  circulaire au poignet droit de Robert Boulin » et a découvert « un hématome derrière la boîte crânienne. »  Autant dire que plus le temps passe, plus la thèse de l’assassinant semble la plus probable. D’abord, en raison des conclusions des nouvelles autopsies mais également en raison de quelques témoignages dignes de foi, selon la formule consacrée. Ainsi Laetitia Sanguinetti, la fille d’Alexandre, un grognard du gaullisme qui a connu bien des secrets de la Vème République est formelle : quelques jours avant sa mort, son père lui aurait confié que Robert Boulin avait été assassiné. Michel Jobert, aurait pour sa part affirmé à Jean Mauriac, très proche de la famille Boulin, que le ministre du Travail de VGE qui en savait trop sur le financement du RPR, via Saddam Hussein mais Omar Bongo ne se serait pas donné volontairement donné la mort.

Aujourd’hui,  la fille de Robert Boulin, avec opiniâtreté, cherche à connaître enfin la vérité sur la mort de son père. Elle se bat depuis 36 ans, tantôt pleine d’espoir quand des enquêtes de journalistes- comme celle de Benoît Collombat par exemple- accréditent la thèse de l’assassinat de son père, tantôt abattue, voire meurtrie lorsque des juges d’instruction et procureurs referment le dossier sans avoir trouvé la preuve –les preuves- qui iraient dans le sens  de Fabienne Boulin. Sacré personnage que la fille de l’ancien ministre du Travail qui est allée, comme dans un geste ultime d’espoir de solliciter l’aide la CIA pour connaître la vérité. En vain. Depuis ce 10 septembre, le Tribunal  de grande instance de Versailles, lui a redonné espoir en ouvrant une information judiciaire pour séquestration et assassinat. La justice doit agir vite. Sans doute, y a-t-il encore des témoins qui détiennent les secrets ( les moins avouables)  du mouvement gaulliste de la fin des années 70. Mais voudront-ils parler et soulager leur conscience ? 

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