"Le système Soral, enquête sur un facho business" : l’extrême-droite YouTube, professionnelle des mises en scène <!-- --> | Atlantico.fr
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Alain Soral.
Alain Soral.
©Reuters

Bonnes feuilles

Grâce aux témoignages d’amis de longues dates ou d’anciens compagnons de route qui se confient pour la première fois, on découvre que celui qui prétend être un penseur "dissident" est surtout un boutiquier avide de gloire qui fait commerce de sa haine. Dans le système Soral, marketing, business et droite radicale constituent un cocktail explosif. Extrait de "Le Système Soral", de Robin D'Angelo et Mathieu Molard, publié chez Calmann-Levy (1/2).

Mathieu  Molard

Mathieu Molard

Mathieu Molard est journaliste pour le site d'information StreetPress.

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Robin D'Angelo

Robin D'Angelo

Robin d'Angelo est journaliste pour le site d'information StreetPress.

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« Juif, la France n’est pas à toi ! » Le slogan raisonne dans le ciel gris de Paris, repris en choeur par une partie de la foule. Ici et là, quelques saluts nazis. Ce dimanche 26 janvier 2014, un tombereau de haine se déverse dans les rues de la capitale. Ils sont 17 000 pour la police, 120 000 selon les organisateurs, venus réclamer la démission de François Hollande. À la manoeuvre, le collectif Jour de colère a réussi le tour de force de faire défiler, aux côtés de l’extrême droite la plus radicale, des bonnets rouges bretons opposés à l’écotaxe, des fans de Dieudonné et même quelques « altermondialistes » autoproclamés.

>>>>>>>>> A lire également : "Le système Soral, enquête sur un facho business" : une paranoïa poussée aux extrêmes

« Travail, famille, patrie », scandent les néo-pétainistes de L’OEuvre française (1). « La France est catholique, stop à l’invasion musulmane », hurle le leader des catholiques intégristes Alain Escada. Un petit groupe bat la mesure : « Faurisson a raison, la Shoah c’est du bidon. » Plus loin, une Marseillaise résonne, entonnée par quelques centaines de fans Blacks-Blancs-Beurs de Dieudonné, keffiehs autour du cou, drapeaux français et ananas à la main. Ces derniers enchaînent les quenelles devant les forces de l’ordre et les caméras des journalistes « collabos ». Puis tous reprennent en choeur l’hymne de la quenelle, écrit par Dieudonné sur l’air du Chant des partisans : « François, la sens-tu, la quenelle qui se glisse dans ton cul ? »

Craintes à Matignon

Cet après-midi de janvier, la France découvre le visage de sa nouvelle extrême droite. Elle s’autoproclame « dissidence », reprend de vieilles antiennes antisémites et marque par son apparence métissée. Une force de frappe qui inquiète, à tel point que la « dissidence » s’invite dans le débat politique national. Manuel Valls, le ministre de l’Intérieur, s’en alarme à la tribune de l’Assemblée nationale. « C’est la première fois que cette extrême droite réunit autant de monde », martèle-t‑il au lendemain de Jour de colère (2) avant de pointer un phénomène inédit : « La présence d’un certain nombre de groupes [issus du net]. » En filigrane, c’est Alain Soral qui est désigné. Quelques semaines plus tard, à l’occasion de la commémoration des attentats commis par Mohamed Merah, le ministre de l’Intérieur précise sa pensée en le qualifiant de « néonazi ». « Il appartient à la société de se poser la question de savoir pourquoi il y a des millions de visiteurs sur le site de cet individu », poursuit-il (3).

Alain Soral, longiligne, crâne rasé, yeux bleus et muscles saillants, est devenu pour certains « l’ennemi public nº 2 (4) ». Juste devant lui, à la première place, Dieudonné, le comique spécialisé dans les blagues antijuives et dont les one-man- show continuent de remplir les plus grandes salles de France. Les deux partenaires marchent main dans la main. Mais si « l’ami Dieudo » est la mascotte de cette « dissidence », c’est bien son acolyte Alain Soral qui dessine ses contours idéologiques. Le premier sert d’appât grâce à sa notoriété, le second apporte les idées. À coups de vidéos et de conférences, Soral propose un petit logiciel d’analyse qui désigne des boucs émissaires pour expliquer tous les maux de la société : les bobos, les féministes,le lobby gay ou, encore et toujours, les Juifs. Il les déteste tous et entraîne dans sa roue des centaines de milliers de sympathisants, grâce à ses petites phrases et à ses diatribes racoleuses.

Soral roule des mécaniques

Ce « jour de colère », les premiers manifestants sont partis depuis plus d’une heure en direction des Invalides quand Alain Soral, tout de noir vêtu, rejoint la Bastille. Autour de lui, une trentaine de gros bras venus des quartiers populaires. Les cités et l’extrême droite unies dans les rues de Paris. Enfin ! jubile le petit chef qui, depuis qu’il s’est engagé en politique, appelle « les jeunes de banlieue (5) » à rejoindre le camp des nationalistes au nom d’une « virilité » partagée. Capuches sur la tête, écharpes sur le bas du visage ou bonnets enfoncés sur le crâne, les molosses doivent jouer des coudes pour l’escorter derrière une banderole tricolore, barrée des mots « Français en colère ». Dans la cohue, Soral est presque immédiatement reconnu. On acclame le héros, on se bouscule pour lui serrer la main ou pour prendre un selfie. Il rayonne. « So-ral, So-ral, So-ral », scande la meute, tandis qu’il prend place dans le cortège, sous une fine pluie d’hiver.

Son cameraman immortalise la scène. Ou plutôt la mise en scène… Car, comme souvent avec lui, la réalité est loin d’être aussi parfaite. Il semble que ses soi-disant fidèles issus des quartiers ne se soient pas déplacés gratuitement. « On a touché 120 euros chacun pour être là », assure, sous couvert d’anonymat, l’un d’eux. Charlie (6) n’a jamais été adhérent d’Égalité & Réconciliation, l’association fondée par Alain Soral en 2007, et assure « ne même pas partager ses idées ». Un ami d’ami lui a proposé ce bon plan. « Pour moi c’était un taf, plutôt bien rémunéré et assez tranquille. » Ce jour-là, il a donc été payé pour se montrer. Sur ses photos souvenirs de Jour de colère, Soral pose au milieu d’une petite trentaine de lascars encapuchés, en train d’effectuer des bras d’honneur. Charlie en dénombre seulement quatre (sur vingt-quatre) qui n’ont pas été rémunérés. Il ajoute encore une anecdote : « En quittant le cortège, Soral a voulu emprunter une rue barrée par la police. Il a roulé des mécaniques et leur a dit que sachant qui il était, ils devaient le laisser passer. » Les policiers ne bronchent pas. La petite équipe doit faire demi-tour et se faufile dans une autre allée. « On l’a ensuite raccompagné jusqu’au pied de son immeuble. » À deux pas de Saint-Germain-des- Prés, dans le très chic VIe arrondissement parisien.

L’extrême-droite YouTube

Alain Soral s’est construit une légende. Celle d’un homme viril, un adepte du coup de poing doublé d’un intellectuel, qui aurait fréquenté l’avant-garde des années 80, avant de devenir l’un des porte-voix de la France d’en bas et des cités. En politique aussi, il raconte avoir tout connu. Le Parti communiste, par exemple, où il jure s’être engagé pendant sept ans ; le Front national qui l’aurait porté aux nues, jusqu’à lui confier un rôle de conseiller occulte et de plume du président, Jean-Marie Le Pen. Sauf que la vérité est moins glorieuse. Comme pour sa parade à Jour de colère, beaucoup de ses faits d’armes relèvent de l’esbroufe. D’ailleurs, « Soral » n’est pas le vrai nom de celui qui est né Alain Bonnet, le 2 octobre 1958, à Aix-les-Bains, en Savoie.

Depuis dix ans, Alain Bonnet dit Soral a en tout cas trouvé un nouveau fonds de commerce pour combler son ego insatiable : l’extrême droite dure. Il a pu s’y imposer comme le leader médiatique incontestable. Une OPA rendue d’autant plus facile que cette famille politique marginalisée manquait d’une personnalité capable de la faire sortir de son ghetto. Aujourd’hui, il vit même de ses activités politiques, qu’il décline en commerces tous azimuts avec sa société Culture pour tous. Son outil : internet, où ses milliers d’heures d’interviews inondent YouTube et Dailymotion. Et si Soral n’a participé qu’à une seule élection, s’il n’organise pas de manifestations, son influence n’en semble pas moins croissante. Les tags « Soral a raison », que l’on aperçoit sporadiquement sur les murs des bretelles d’autoroute, ne sont que l’un des symptômes de sa popularité. Son essai Comprendre l’Empire (7), dans lequel il présente sa vision du monde, est un best-seller. Un succès qui touche toutes les classes sociales, toutes les générations et toutes les origines.

1. Mouvement nationaliste d’extrême droite fondé en 1968 par Pierre Sidos, dissout par le Conseil d’État le 30 décembre 2014 après l’affaire Clément Méric.

2. http://www.wat.tv/video/jour-colere- valls- ferme- contre- 6 mxtt_2exyh_.html.

3. https://www.youtube.com/watch?v=yhPFyOHgM-k.

4. L’Express, Tugdual Denis, 16 janvier 2014.

5. https://www.youtube.com/watch?v=8NULkfIke_Y.

6. Le prénom a été modifié.

7. Éditions Blanche, 2011.

Extrait de "Le Système Soral - enquête sur un facho business", de Robin D'Angelo et Mathieu Molard, journalistes chez Streetpress, publié chez Calmann-Levy, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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