La nouvelle Allemagne ? Ce qu’il faut savoir pour vraiment comprendre ce qui se passe outre-Rhin sur la crise des migrants<!-- --> | Atlantico.fr
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"Dans l’esprit des Allemands, la question des réfugiés se traite différemment de la question de l’immigration."
"Dans l’esprit des Allemands, la question des réfugiés se traite différemment de la question de l’immigration."
©Reuters

Différences culturelles

Référence au passé, conception du statut de réfugié, nature de l'immigration, contexte économique... Plusieurs raisons permettent d'expliquer la différence d'approche de la crise des migrants entre Paris et Berlin.

Hans Stark

Hans Stark

Hans Stark est chercheur à l'IFRI (Cerfa) et professeur à la Sorbonne.

 

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Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Jérôme Vaillant

Jérôme Vaillant

Jérôme Vaillant est professeur émérite de civilisation allemande à l'Université de Lille et directeur de la revue Allemagne d'aujourdhuiIl a récemment publié avec Hans Stark "Les relations franco-allemandes: vers un nouveau traité de l'Elysée" dans le numéro 226 de la revue Allemagne d'aujourd'hui, (Octobre-décembre 2018), pp. 3-110.
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1 – Les mouvements de populations allemandes post-second guerre mondiale ancrés dans les esprits-outre-rhin.

Hans Stark : La position de l'Allemagne sur l'accueil des réfugiés s’inscrit dans une continuité humanitaire qui intègre largement les expériences de l’après-guerre. L’Allemagne d'alors est partagée entre quatre zones d’occupation, et perd 20% des territoires du pays, en plus des territoires conquis par Hitler. Dans les années 1945-1947, les pays qui avaient gagné ces territoires anciennement allemands ont reçu l'autorisation de les vider des populations considérées comme originaire d’une minorité nationale allemande (accords de Potsdam). Cela a concerné près de 12 millions de personnes, lâchées dans la nature, forcées de partir. On les a orientées vers l’ouest, et ils se sont dirigés vers la zone occidentale de l'Allemagne qui allait devenir la RFA. Alors que ce territoire comptait 40 millions d’habitants, elle en comptait 60 après ces transferts. Sur ces 20 millions, aux 12 venant des pays de l’est se sont ajoutés 8 millions d’Allemands qui ont quitté la RDA avant la construction du mur de Berlin.

C’est suite à cet épisode-là qu’a été inscrit dans la constitution allemande le droit pour les demandeurs d’asile de venir en Allemagne s’ils fuient une situation de guerre. Tout au long de l’histoire après 1945, il y a donc eu des réfugiés comme les Afghans qui se sont installés en RFA dans les années 1980, suite à l’occupation de leur pays par l’URSS. De même dans les années 1990, Bosniaques, Croates et Slovènes ont demandés l’asile à l’Allemagne jusqu’à la in de la guerre.  

Jérôme Vaillant : L'Allemagne  a connu sans aucun doute à la fin de la Deuxième Guerre mondiale des flux migratoires considérables qu'elle avait elle-même initiés par les  déplacements de population civiles asservies sous le IIIe Reich. Après la guerre, l'Allemagne de l'Ouest a été amenée à intégrer des millions de réfugiés issus de ses anciennes provinces orientales et d'Allemands de l'Est qui fuyaient le régime de la RDA, environ 13 millions au total. L'intégration s'est faite non sans heurts avec les Allemands sur place mais elle s'est faite tant bien que mal.

C'est dire que même si l'Allemagne s'est refusée jusqu'à aujourd'hui à se déclarer pays d'immigration, elle a un fort passé d'immigration, mais il s'agissait en l'occurrence d'une immigration allemande. C'est seulement à partir des années 1960 que la RFA a fait appel à la main d'oeuvre étrangère qui s'est établie durablement dans le pays, entraînant une évolution de la société vers un multiculturalisme plus ou moins bien accepté selon les régions et les couches sociales. L'Allemagne de l'Est restée davantage fermée aux populations étrangères qu'à l'ouest pendant les années du communisme fait preuve aujourd'hui encore de moins de tolérance à l'égard des réfugiés et des migrants en général que l'Allemagne de l'Ouest, comme l'ont montré les attentats et les manifestations contre les foyers de demandeurs d'asile en Saxe. C'est aussi pour réagir à cette image d'une Allemagne xénophobe qu'une l'Allemagne généreuse s'est levée ces derniers jours pour souhaiter la bienvenue aux réfugiés et les accueillir même avec des ovations. La chancelière allemande a provoqué une prise de conscience et en même temps pris ses responsabilités politiques en se rendant à Heidenau en Saxe et en décidant d'ouvrir les frontières du pays aux réfugiés de guerre syriens, irakiens et érythréens. A la vue des files de réfugiés heureux d'arriver en Allemagne ("We want Germany") les Allemands, de l'Est et de l'Ouest confondus, se trouvent également reportés à ces jours heureux de 1989 quand les réfugiés de RDA ont pu passer toutes les frontières - y compris, ironie de l'histoire, la frontière autrichienne que la Hongrie a ouverte pour mettre à bas le rideau de fer! - ouvrant ainsi la porte à l'unification de l'Allemagne. La générosité de l'Allemagne est aussi l'expression d'une reconnaissance sur fond de leçon tirée de l'histoire.

2 – Des réfugiés temporaires, non des immigrés

Hans Stark :Dans l’esprit des Allemands, la question des réfugiés se traite différemment de la question de l’immigration. Les réfugiés sont des victimes de guerre, qui ont tout perdu, et risquent leur vie dans leur pays d’origine. Ceux-là peuvent demander à jouir du droit d'asile. Ainsi, 90% des demandeurs d’asile Syriens sont accordés. Mais elle comprend une différence importante aux yeux des Allemands : pour reprendre l’exemple des réfugiés bosniaques, croates et slovènes, lorsque la guerre s’est terminée, l’Allemagne leur a demandé de repartir dans leur pays. Nous sommes dans le même cas de figure pour les réfugiés syriens : ils peuvent rester le temps que le conflit continuera chez eux, mais se verront demander de repartir par la suite.

La nature des migrants entre la France et l’Allemagne permettent également d’expliquer cette différence de positionnement que l’on observe actuellement : on n’ose pas imaginer ici en Allemagne que ces individus resteront toujours, car cela impliquerait qu'ils aient "perdu" leur pays ou que la Syrie soit dans un état de guerre permanent. Il est en revanche clairement défini que ceux qui bénéficieront de l’asile auront le droit de travailler, et tout sera fait pour qu’ils apprennent l’allemand, que leur répartition sur le territoire soit homogène afin qu’ils se fondent dans la population. Cela relève donc d’une logique d’intégration, mais à priori leur séjour est limité dans temps.

3 – Un accueil économiquement réalisable et démographiquement profitable

Hans Stark :Contrairement à la France, l’Allemagne a besoin d’un apport humain important. Si la France est vieillissante, l’Allemagne est dans un processus de vieillissement accéléré. Recevoir des individus en âge de travailler est évidemment une aubaine pour le pays. L’absence de chômage influe aussi favorablement dans leur attitude dans l’accueil des réfugiés sur le sol allemand.  

4 - Le droit du sang, une idée qui demeure ancrée dans les moeurs allemandes

Guylain Chevrier : L’accueil réservé aux réfugiés, avec les images très médiatisées des applaudissements d’Allemands venus à leur rencontre, et l’affirmation qu’Angela Merkel serait dans ce contexte la fierté de l’Europe, ne doivent pas faire écran à une réalité plus complexe.

La plupart des législations en Europe combinent, comme en France, des éléments de droit du sang (jus sanguinis) et de droit du sol (jus soli). L’accès à la nationalité connaît plusieurs mécanismes dans notre pays. Par le "droit du sang" : est français tout enfant dont au moins l’un des deux parents est français. Le droit du sol a été acquis en 1889 sous la IIIe République pour demeurer  jusqu’à nous, avec des évolutions. Il prévoit qu’un enfant né en France d’un parent étranger lui-même né en France est français de naissance ("double droit du sol"). Pour l’enfant né en France de parents étrangers nés à l’étranger, la nationalité française lui revient automatiquement et de plein droit à sa majorité, s’il réside en France à cette date, et s’il a eu sa résidence habituelle en France pendant une période continue ou discontinue d’au moins 5 ans depuis l’âge de 11 ans. Avant sa majorité, il peut acquérir la nationalité sur demande de ses parents (entre 13 et 16 ans), ou sur demande personnelle (entre 16 et 18 ans), avec des conditions de durée de résidence en France. Une réalité qui concerne environ 30.000 jeunes par an.

En Allemagne le droit du sang a longtemps été la seule règle, mais elle a changé sa loi sur la nationalité en 2000, mettant fin à ce principe exclusif qui prévalait depuis 1913. Désormais, tout enfant né dans ce pays d'un parent étranger y résidant légalement depuis au moins 8 ans, peut acquérir la nationalité allemande. On peut voir que les conditions du droit du sol sont ici plus restrictives, impliquant la filiation d’un parent vivant sur le territoire et sur une durée plus importante qu’en France. Si on parle de mentalités, le droit du sol est encore loin d’être acquis dans ce pays conservateur très chrétien.

Il y a aussi une autre différence majeure qui est à relier à l’importance du droit du sang en Allemagne, c’est qu’on ne devient pas Allemand comme on devient Français. La politique d’accueil en Allemagne ne comprend pas les mêmes mécanismes ni enjeux que celle de la France qui vise une intégration par le mélange des populations, la mixité. L’Allemagne est organisée sur le modèle du multiculturalisme, et donc, de la séparation des individus selon l’origine, la religion, la culture. Ce qui modifie la perception que les Allemands peuvent avoir de l’immigration dans la mesure où il y a peu de mélange entre les populations, sachant par ailleurs que les Turcs constituent une communauté assez fermée. Le fait de prédestiner les migrants ou réfugiés à rejoindre ou à s’organiser en communautés à part, fait qu’ils ne sont donc pas perçus comme un risque au regard de l’impact de cette politique d’accueil sur une identité nationale allemande qui reste très forte. D’autre part le modèle multiculturel a été pensé au regard d’une immigration conçue comme n’étant pas faite pour rester, et à laquelle l’accueil sous forme de communautés convenait ainsi parfaitement, mais qui s’est finalement  installée de façon durable dans ce pays.

La déclaration fracassante de la Chancelière Angela Merkel, selon laquelle le multiculturalisme est « un échec complet et total », en octobre 2010, souligne les tensions autour de ce modèle. Dans une interview au Der Spiegel le Ministre-président de Bavière exprimait alors son rejet de « l’illusion de la société multiculturelle », la rendant responsable du développement de « l’intolérance, et d’une prédisposition à la violence, à la séparation des groupes sociaux et à la polarisation de la société ».

En réalité, en abandonnant la notion de « Multikulturalismus » au profit du terme «Intégration», Madame Merkel a tenté une manœuvre tactique vis-à-vis d’une montée des opposants dans son camp politique à une approche ouverte de l’immigration. Une notion qui pourrait faciliter l’accueil des nouveaux venus dans leur pays d’adoption qui, répète-on à outrance, a un urgent besoin de main-d’œuvre dans une économie manufacturière hautement développée. La Chancelière a aussi mis l’accent sur la notion de « deutsche Leitkultur » (culture de référence allemande). Un modèle d’intégration basée entre autres, sur « les valeurs judéo-chrétiennes » dominantes. En fait, l’emploi de « Leitkultur » soulignait, une référence à des valeurs conservatrices, une « culturisation » de la politique, et une certaine réhabilitation du concept de la « nation ». Cette réorientation dans les mots, n’a vu depuis 2010 aucun changements notables, en dehors d’exhorter des références allemande qui ont valu à Angela Merkel sa réélection. Le modèle multiculturel est le pendant d’une politique « intégrationniste » qui se réduit à la formation des immigrants et leur insertion dans le marché du travail, très utilitariste et donc à courte vue.

Les bravos de quelques Berlinois très médiatisés ne doivent pas faire oublier les manifestations anti-migrants importantes du mouvement Pédiga et le fait que 200 centres d’accueil ont été dégradés ou incendiés depuis le début de l’année outre-Rhin. Accueillir 500.000 migrants nouveaux par an pendant plusieurs années, comme s’y engage l’Allemagne, ne va pas être simple dans ces conditions. Ceci étant, les réfugiés entrés dans ce pays bénéficie de la possibilité d’aller s’installer dans n’importe qu’elle autre pays de l’espace Schengen.

5 - Le fait que l'Allemagne n'a pas vécu, comme en France d'attentats terroristes

Guylain Chevrier : Pour comprendre la différence de ressenti entre la France et l’Allemagne dans l’accueil des réfugiés Syriens, il faut dépasser l’idée que, face à l’émotion créée, tous les pays réagissent d’une même façon. L’Allemagne par exemple n’a pas vécu les attentats terroristes dont la France a été le théâtre. La sensibilité de l’opinion publique au regard de la présence d’une immigration forte, originaire de pays où la religion dominante est l’islam, n’y est donc pas la même qu’en France. On peut voir aussi dans ce constat le reflet d’une Allemagne en retrait, au sein d’une Europe bien timorée, au regard de l’intervention menée au Mali contre les islamistes par la France. L’Allemagne n’est pas concernée par les frappes contre l’Etat islamique alors que la France est engagée de plein pied de ce point de vue dans la coalition. Le phénomène djihadiste est particulièrement marqué en France en raison aussi d’un contexte politique donc, bien différent, mais surtout d’une immigration qui historiquement n’a pas du tout la même identité.

L’Allemagne a une immigration turque qui correspond historiquement à des liens de longue date, qui remontent aux relations politiques avec l’Empire Ottoman. C’est l’Allemagne qui en a formé les officiers, modernisé et  « germanisé » son armée dans les années 1880. Cette place prépondérante dans l’Empire Ottoman a joué un rôle non négligeable dans son choix de se ranger aux cotés de l’Allemagne lorsqu’a éclaté la Première Guerre mondiale. En France, nous avons une immigration très différente, à domination maghrébine et sub-saharienne, qui entretient des rapports qui peuvent être parfois rugueux avec le pays d’accueil en raison d’un passé colonial qui reste prégnant.   

Le facteur religieux joue aussi différemment. Les revendications religieuses telles qu’elles s’expriment en France, dans un pays laïque, ne se posent pas du tout de la même façon dans un pays qui ne pense qu’en religions comme l’Allemagne, pour laquelle la religion quelle qu’elle soit est un principe commun, avec un financement public des cultes qui représente environ 8 % ou 9 % de l'impôt sur le revenu.

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