Alliance entre Varoufakis et les libéraux anglo-saxons : et si la droite était en train de se priver des clés d’un bon diagnostic économique ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Yanis Varoufakis.
Yanis Varoufakis.
©Reuters

Huis clos économique

La droite française a vivement réagi au budget 2016 présenté mercredi 16 septembre. Réduction des dépenses, baisse des impôts... Elle semble prisonnière d’une vision économique aveugle au pragmatisme anglo-saxon dont elle revendique pourtant la filiation.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

Voir la bio »

Atlantico : Dans une tribune publiée le 8 septembre dans le New York Times, Yanis Varoufakis a révélé avoir élaboré un plan alternatif de résolution de la crise grecque, en collaboration avec le soutien de trois personnalités anglo-saxonnes, plutôt marquées comme étant "libérales". Il s'agit de l'économiste Jeffrey Sachs, de l'ancien secrétaire américain au Trésor Larry Summers, et du britannique Norman Lamont, ancien Chancelier de l'Echiquier de Margaret Thatcher. Or, le plan présenté lors des négociations avec la Troïka n'a pas même été étudié par les Européens. Pour quelle raison la droite française, mais aussi européenne, s'enferment-elles dans une telle orthodoxie, sans même considérer ce que des économistes de sa propre obédience politique peuvent proposer d'alternatif ? 

Nicolas Goetzmann : Il suffit déjà de constater le débat politique français suite à la présentation du Budget 2016, mercredi 16 septembre. Le gouvernement présente son budget et la droite réplique immédiatement, ce qui produit une confrontation purement comptable de la situation économique du pays, tout en évitant de prendre en compte l'angle macroéconomique. Parce qu'une politique économique ne se résume pas à un simple budget. Ces querelles politiques ont un défaut majeur, les effets d’une rectification n’auraient pas beaucoup d’impact sur la vie des Français. Pour avoir un impact fort, pour permettre une réelle bascule de l’orientation économique, c’est l’angle macroéconomique qui doit être discuté. Et non les virgules du budget.

Dans le cas de la Tribune de Varoufakis, ce qui est saisissant, c’est l’attelage Norman Lamont, Jeffrey Sachs, Larry Summers et de l’ancien ministre des finances de Syriza. Trois personnalités d’orientation clairement libérale, et un ministre des finances considéré comme un membre de l’ultragauche européenne. Il y a donc une erreur de jugement quelque part.

>>> Lire aussi - Budget 2016 : le gouvernement s’enferme (encore) dans des hypothèses irréalistes et une erreur de diagnostic sur les maux de l’économie française

L’alternative élaborée et proposée par ces personnalités consistait à réduire l’intensité des politiques d’austérité menées en Grèce. En premier lieu, il s’agissait de faire passer l’excédent primaire de 3.5% à 2%, c’est-à-dire que l’Etat Grec se devait encore de dégager un budget excédentaire, hors charge de la dette, mais d’une plus faible ampleur que celui prévu auparavant. En second lieu, il s’agissait simplement de rétablir l’équité au sein de la zone euro en rendant la dette grecque éligible au plan de relance monétaire mené par la Banque centrale européenne. En dernier lieu, la principale réforme structurelle consistait en une refonte et un approfondissement du système fiscal grec, ce qui est en réalité réclamé par toutes les parties. La combinaison des trois éléments, sans être la panacée, permettait, non pas une amélioration réelle de la situation du pays, mais au moins une stabilisation. Ce plan était en cela pragmatique, il offrait une solution qui pouvait permettre un rétablissement progressif de l’économie grecque. Et ce, à l’inverse du plan actuel, qui semble voué à l’échec, presque par nature. Mais ce plan alternatif a été refusé pour une raison simple, la Grèce s’était d’ores et déjà engagée sur des termes plus contraignants, et la Troïka n’a pas transigé sur ce point.

La construction européenne s’est érigée sur le respect des règles fixées, et celles-ci ont peu évolué depuis l’origine. Or, les conditions économiques, notamment depuis l’entrée en crise, sont radicalement différentes. Le cadre européen se révèle extrêmement strict à cet égard, et la prise en compte du contexte n’est malheureusement pas prévue au programme. Les règles européennes sont considérées comme étant "vraies" par nature, et donc immuables.

L’écart entre les propositions économiques de personnalités libérales comme Jeffrey Sachs,  Norman Lamont, ou Larry Summers, et ce qui est exigé par la troïka s’explique de cette façon. La cage de fer des règles européennes est une frontière infranchissable, et les Européens se contentent de raisonner dans le cadre. A l’inverse, les anglo-saxons ont plutôt tendance à remettre le cadre en question si celui-ci s’avère inefficace.

Les politiques économiques de droite en France et en Europe ne sont-elles pas teintées d'idéologie plus que de pragmatisme ?

Chaque pays, et la France n’y fait pas exception, a tendance à raisonner à sa propre échelle, en oubliant trop vite la dimension européenne. Une politique économique devrait pourtant s’envisager sur le plan le plus large, en termes macroéconomiques, et chaque responsable politique doit d’abord se concentrer sur le cadre économique européen avant de considérer la politique budgétaire de son propre Etat. Depuis que le transfert de souveraineté des principaux outils économiques s’est effectué au profit de l’échelon européen, une telle approche semblerait évidente, mais elle ne se retrouve pas dans la pratique. Parce que les programmes économiques se contentent le plus souvent d’aborder la question sur le seul angle national, ce qui réduit considérablement l’impact potentiel de telle ou telle politique économique sur le pays.

Mais la crise de 2008 a également eu un rôle important. Les politiques de droite, en France, se sont construites depuis plus de 30 ans sur un discours à tendance plutôt libérale, centrée sur la politique de l’offre, les réformes structurelles, la nécessité de libérer l’économie française, notamment vis-à-vis d’un Etat omniprésent. Depuis 2008, le contexte macroéconomique a été bouleversé, et relègue au second plan la nécessité d’une telle politique de l’offre. Or, il est périlleux pour un parti de prendre le contrepied total de ce qu’il a pu dire depuis 30 ans. Cela serait le signe d’une inconstance qui aurait pour conséquence de déstabiliser une partie de son électorat habitué et attaché à un habituel discours de rigueur. Il ne s’agit pas de dire qu’une politique de l’offre est inutile en soi, surtout en France, mais il est essentiel de considérer que la nature de la crise est autre aujourd’hui.

Si une personne identifiée comme "libérale" se risquait à indiquer que le problème n’est pas le coût du travail mais, par exemple, la politique de la Banque centrale européenne, il serait rapidement identifié comme un vague extrémiste, de droite ou de gauche, et ce, alors même qu’il ne ferait que reprendre la doctrine libérale anglo-saxonne. Encore une fois, la droite a encore préféré s'attaquer au budget présenté par le gouvernement de Manuel Valls, plutôt que d'affronter l'ensemble de la politique économique européenne et française, ce qui aurait pourtant une portée bien plus large.

Pourquoi des personnalités de gauche, comme Yanis Varoufakis, montrent un état d'esprit plus ouvert à ce pragmatisme économique, même libéral, que la droite elle-même ? N'est-ce pas un boulevard, une brèche laissé(e) à la gauche ?

Yanis Varoufakis n’est pas un homme politique, il est économiste de formation, et ancien enseignant à l’Université du Texas. Il n’est donc pas prisonnier d’une appartenance à un parti, mais plutôt de son analyse de crise. Son approche peut être classée comme étant à l’ultra gauche par certains, mais son diagnostic de crise reste conforme au consensus des économistes anglo-saxons. C’est-à-dire une crise de la demande, comme 1929 l’a été. En dehors du diagnostic, qui me semble tout à fait correct sur ce que l’Europe vit depuis 2008, ce sont les solutions qui peuvent être discutées. Varoufakis propose surtout une relance par la voie budgétaire, et là, il existe une fracture avec de nombreux économistes. Si les anglo-saxons, qu’ils soient libéraux ou keynésiens, partagent tous le diagnostic d’une crise de la demande, les libéraux proposent d’y répondre par la voie monétaire (les monétaristes) alors que les keynésiens veulent une relance budgétaire. C’est sur ce point que le débat devrait avoir lieu, parce que l’histoire du diagnostic devrait être évidente pour tout le monde. Puisque la demande est la somme de la croissance et de l’inflation, et que ces deux variables s’affichent à un niveau proche de 0%, il est naturel de considérer comme évidente l’idée que nous traversons une crise de la demande. Si nous avions une véritable crise de l’offre, nous aurions une croissance 0 et une forte inflation sous-jacente, comme cela a été le cas dans les années 70 et comme c’est aujourd’hui le cas au Brésil.  Mais ce n’est tout simplement pas le cas.

Et c’est là que la droite européenne, ou française, pourrait trouver un boulevard pour renouveler son discours économique. En s’engageant dans la nécessité de refonte du système économique européen, en mettant le plein emploi (donc la demande) comme objectif prioritaire de la zone euro (via la Banque centrale européenne) comme cela est le cas aux Etats Unis, tout en stabilisant le niveau des dépenses publiques, et en libéralisant une part de l’économie française, les résultats pourraient être rapides et significatifs. Mais sans cette prise en compte de la nécessité de remodeler les règles européennes, les résultats ne pourront pas être concluants. C’est donc une obligation, qui suppose un affrontement assez sérieux avec le voisin allemand, parce ce pays n’a pas besoin de telles réformes, parce qu’il bénéficie plutôt des conditions actuelles. L’enjeu est la recherche de l’intérêt général européen, et non une simple addition d’intérêts particuliers contradictoires.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !