Comment il est possible d’apprendre dans votre sommeil<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Science
Un état de sommeil doit suivre impérativement la phase de l’apprentissage pour une restitution optimale de ce qui a été appris.
Un état de sommeil doit suivre impérativement la phase de l’apprentissage pour une restitution optimale de ce qui a été appris.
©Flickr

Pas de temps à perdre

Apprendre en dormant, c'est un fantasme partagé par beaucoup, même si la technique de glisser un livre sous son oreiller n'a pas encore fait ses preuves. Cependant, les neurologues se penchent sérieusement sur le sommeil qui constitue 30% de notre vie, et qui pourrait être plus productif qu'il n'y parait.

André Nieoullon

André Nieoullon

André Nieoullon est professeur de neurosciences à l'université d'Aix-Marseille.

Voir la bio »

Atlantico : Comment peut-on établir un lien entre la connaissance et le sommeil? Peut-on acquérir un savoir en dormant?

André Nieoullon : A vrai dire, le bon sens populaire est le premier indice qu’il existe bien une relation entre mémoire et sommeil. Chacun peut attester par sa propre expérience qu’un sommeil de qualité est le gage de capacités d’apprentissage meilleures. Mais ici il ne s’agit pas de cela… Ce qui est évoqué en général a trait aux processus attentionnels, bases d’un apprentissage productif. Ainsi la « bonne nuit de sommeil » va permettre aux élèves de faire preuve de capacités attentionnelles qui leur permettront –plutôt dans la matinée et encore pendant une période qui ne doit pas être trop longue- de mobiliser toute leur énergie pour comprendre ce que le professeur va leur enseigner. Mais ce n’est pas de rythmes scolaires dont il est question ici… Ce qui est fondamental sur le plan des neurosciences c’est de comprendre que les mécanismes de la mémorisation font intervenir une phase dite de « consolidation » des informations acquises après l’apprentissage impliquant un état de sommeil qui doit suivre impérativement la phase de l’apprentissage pour une restitution optimale de ce qui a été appris. Et donc, si une nuit de sommeil perturbée nuit aux capacités d’apprentissage, ce qui est plus important c’est que ces perturbations vont aussi contribuer à ce que ce qui a été acquis dans la journée ne soit pas retenu, pour donner une vision un peu schématique des choses…

Le lien entre apprentissage et sommeil relève d’abord d’expériences de neuropsychologie où il est très simplement demandé à des sujets de restituer par exemple une liste de mots qui leur est présentée, immédiatement après l’apprentissage (ce que l’on nomme le rappel « immédiat ») ou après un certain délai, par exemple le lendemain ou plusieurs jours après. Les données de ces expérimentations très simples rejoignent le bon sens populaire : si l’apprentissage est suivi d’une bonne nuit de sommeil, alors la restitution du lendemain est elle-même de bonne qualité ; a contrario, si la nuit qui suit l’apprentissage le sommeil a été perturbée soit de façon naturelle chez des sujets ayant des difficultés à dormir, soit expérimentalement, alors la restitution du lendemain est mauvaise, voire très mauvaise. Mais ces données illustrent clairement l’importance du sommeil dans la « consolidation » des informations afin de restitution, c’est-à-dire schématiquement dans le rappel de ces souvenirs.

Deux autres types d’expériences permettent d’aller un peu plus loin au plan des mécanismes neurobiologiques. D’abord, toujours chez le sujet humain, dans une très belle série expérimentale, des chercheurs de l’Université de Louvain en Belgique, ont utilisé les méthodes de l’imagerie cérébrale fonctionnelle pour analyser les effets du sommeil. Ici il s’agissait d’une tâche dite de mémoire spatiale, c’est-à-dire de travaux visant par exemple à acquérir la mémorisation d’un parcours dans une ville inconnue, à partir de présentation d’une carte virtuelle de la ville. L’analyse porte sur l’activation d’un certain nombre de structures cérébrales impliquées dans cet apprentissage. Les données montrent qu’à partir des informations visuelles à la base de la mémorisation du trajet proposé, pendant la nuit qui suit l’apprentissage il existe un « transfert » de cette activité à des régions cérébrales (le striatum), qui vont contribuer à conserver l’information. Si dans le contexte de cette expérience les chercheurs empêchent les sujets de s’endormir après l’apprentissage, alors le lendemain les performances sont très médiocres pour retrouver le chemin virtuel. Mais surtout les chercheurs notent que le transfert des informations acquises pendant l’apprentissage n’a pas eu lieu et que le striatum « ignore » ce qu’il s’est passé la veille. Dès lors, c’est bien le sommeil qui contribue normalement à « construire » cette représentation de la ville permettant de retrouver son chemin.

Plus encore, un autre type d’expérience a été réalisé cette fois chez le rat. Ici il s’agit d’électrophysiologie et de mesure directe de l’activité des neurones. Pour faire simple, on va dire que l’activité des cellules d’une région particulière du cerveau impliquée dans la mémorisation que l’on nomme l’hippocampe, est enregistrée pendant que l’animal apprend à se retrouver dans un environnement particulier (il s’agit ici encore de mémoire spatiale). Cette activité est spécifiquement liée au déplacement de l’animal dans son environnement. Deux situations se présentent alors : dans un premier temps l’animal est « privé » de sommeil expérimentalement c’est-à-dire qu’on le stimule en permanence pour qu’il ne s’endorme pas. Dans ce cas, le lendemain il ne reste rien de l’apprentissage et l’animal se comporte comme s’il n’avait rien appris, ce qui vérifie les résultats acquis expériences mentionnées ci-dessus. Dans une autre série expérimentale visant à comprendre pourquoi le sommeil est si déterminant pour la mémorisation, les chercheurs ont poursuivi les enregistrements des activités des neurones pendant le sommeil du rat. Mais cette fois c’est une autre région que l’hippocampe qui a été enregistrée, le cortex cérébral. A leur grande surprise les chercheurs ont constaté que l’animal « revivait » dans son cortex cérébral ce qui s’était passé dans l’hippocampe pendant l’apprentissage, c’est-à-dire que les mêmes types de décharges neuronales étaient enregistrées dans le cortex du rat qui dort ! Tout se passe ainsi comme si le sommeil permettait là encore le « transfert » de l’information sous forme d’activité neuronale, de l’hippocampe qui représente en quelque sorte « l’entrée » dans le cerveau au cortex qui apparait dès lors comme le premier « dépositaire »  de cette information précieuse.  Bien entendu les mécanismes de ce que l’on nomme la « consolidation à long terme » de l’information ainsi mémorisée viendront dans les quinze jours suivants parachever cette consolidation mnésique, mais ceci est une autre histoire.

Alors, il n’est pas étonnant que les personnes qui souffrent de troubles du sommeil (et c’est une plainte tellement fréquente notamment chez les personnes âgées, notamment) se plaignent également de troubles de la mémoire… et ceci n’est pas forcément en rapport avec une maladie grave de type maladie d’Alzheimer.

Musique, odeur, beaucoup de pistes sont explorées pour parvenir à créer une musique, un rythme, aidant le cerveau à fixer les informations apprises. Quels sont les instruments qui permettent d'optimiser le cycle de la mémoire?

Ici nous ne sommes plus dans le même registre mais plutôt dans le cadre de stratégies permettant d’optimiser le rappel des informations. Chacun sait là encore que le rappel mnésique est facilité par des indices. Souvenez-vous de Proust et de la madeleine dans « A la recherche du temps perdu », qui permet d’évoquer avec une précision quasi chirurgicale le temps de la tante Léonie… Tout le monde a expérimenté ce que nous nommons le « rappel indicé », qui facilite l’évocation des souvenirs anciens. Mais, au-delà de ces indices, il existe aussi des formes d’apprentissage, pour revenir à un rappel plus immédiat, qui facilitent la mémorisation. Par exemple, l’association de mots dans un même registre (des villes, des noms d’hommes politiques, des objets, etc.) permet une catégorisation (une forme de « classement » de l’information) qui permet de mieux retrouver l’information. Et puis, certains d’entre nous ont une mémoire « visuelle » plus développée que chez d’autres, ce qui permet en « photographiant » littéralement une page, de pouvoir aisément la restituer. Ceci est certainement un privilège… mais tout le monde n’est pas doté de cette même capacité. Brefs, des stratégies permettent de faciliter l’acquisition… mais nous nous éloignons là des effets du sommeil sur la mémorisation !

Quel est le sommeil le plus propice à l'apprentissage? Le sommeil séquencé ou prolongé? Que se passe-t-il pour les insomniaques?

Comme vous l’évoquez, la notion de sommeil est complexe et certainement pas univoque… Au-delà du sommeil fractionné par rapport à un sommeil plus continu, dont les effets sur la mémoire sont encore à préciser, les neurobiologistes reconnaissent deux grands « stades », c’est-à-dire deux grandes catégories de sommeil, faisant appel à des mécanismes neurobiologiques très différents. Schématiquement, on distingue le sommeil profond, que l’on qualifie de « sommeil lent » du fait de ses caractéristiques électrophysiologiques, du sommeil léger et rapide, que l’on appelle aussi sommeil « paradoxal », ce type de sommeil représentant environ 25% du total du sommeil de la nuit. Il est de ce fait difficile de dire aujourd’hui avec précision quel type de sommeil est celui qui facilite la mémorisation et le débat est très présent dans la communauté mais il est vraisemblable que les deux types de sommeil contribuent à la mémorisation. Alors les insomniaques sont manifestement pénalisés, quel que soit le trouble du sommeil dont ils souffrent.

Le temps de sommeil pourrait-il à l'avenir être investi pas différentes aides à l'apprentissage?

Si l’on se place dans une perspective physiologique, c’est-à-dire hors pathologie, alors il est clair qu’un sommeil réparateur permettant une bonne mémorisation, correspond chez le jeune adulte à un temps de 7 à 8 heures, en moyenne. Mais il existe de fortes disparités interindividuelles et certains sujets revendiquent des durées très courtes alors que d’autres sont plutôt des gros dormeurs. Il n’est pas certain que dans l’un ou l’autre cas les performances ménisques soient moins bonnes, ce qui amène à penser que c’est plus la qualité du sommeil que la quantité qui est peut-être le facteur essentiel pour une bonne mémorisation. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !